Aymeric Caron : le nocher des Enfers cathodiques

Aymeric Caron
Aymeric Caron

Nul n’ose le regarder en face de peur d’être vaporisé par sa force d’indignation. Aymeric Caron, Aymeric Charon, le nocher des Enfers cathodiques, le vampire brushingué du service public, l’inénarrable gauchiste végétarien, l’éternel remplaçant d’Eric Naulleau, livre chaque samedi soir dans l’émission On n’est pas couché la quintessence de son talent à travers des analyses critiques d’une profonde intelligence et d’une parfaite impartialité. Admirez ces sourcils circonflexes, cette crinière léonine et ces canines immaculées. Admirez ce menton prognathe, ce regard insolent et ces costumes impeccables. Aymeric Charon vous fait traverser le Styx et échouer dans le célèbre fauteuil bleu ; vous qui avez fait l’erreur de ne pas vous coucher.

Il paraît que l’homme était autrefois grand reporter, qu’il a mis les pieds au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. On peut lire ça sur sa fiche Wikipedia. Il paraît qu’il faut se méfier de Wikipedia. En effet, on imagine assez mal ce dandy raté braver le danger. On l’imagine mal décoiffé et sale. Ceux qui l’on vu rigoler comme une petite fille hystérique sur le plateau de Ruquier comprendront. Charon, c’est le politiquement correct cristallisé ; avec toute l’arrogance que cela implique. Il pense être le Bien mais est paré des atours du Mal. Il pense dire le Vrai mais est incapable de produire un discours articulé. De sa bouche ne sortent que des poncifs, des invectives et des éléments de rhétoriques progressistes. C’est le digne successeur d’Audrey Pulvar.

Les cibles préférées d’Aymeric Charon sont les petites auteures (quel mot horrible !) bien nulles et les gens de droite. Il suffit de voir ce Dracula du pauvre s’acharner contre Amanda Sthers. La jeune femme a écrit un très mauvais livre. Soit, ce ne sera pas la dernière. Mais Charon lui fait bien remarquer. Il se délecte de l’embarras de l’auteure (décidément!), il l’humilie, l’écrabouille, la supplicie, la ridiculise, la martyrise, la néantise, la viole presque et en tire une obscène satisfaction télégénique. Sachez-le Aymeric Charon n’est jamais plus fort qu’avec les faibles.

Il avait déjà fait le coup avec l’affreuse Véronique Genest, fraîchement convertie à la cause israélienne. Genest est une idiote et ses compétences politiques sont inexistantes. On peut lui pardonner car elle ne sait pas ce qu’elle fait. Mais Charon, lui, ce couard, devant la vulnérabilité de son interlocutrice sort l’artillerie lourde. Encore une fois : il insiste, insiste et insiste. Il tourne le couteau dans la plaie, saisit son écarteur, plonge sa main crochue dans la chair boursouflée et se délecte du sang écarlate de Julie Lescot.  La naïve Genest, face aux assauts répétés tente bien une sortie honorable, elle essaie vaguement de charmer le Charon par une blague. Mais l’intransigeant vampire ne se laisse pas facilement séduire, il boira ce soir là le fluide vital de Genest jusqu’à la lie.

Si donc Charon semble ignorer la miséricorde et pratiquer l’acharnement systématique envers les faibles, il se recroqueville comme un ver dès lors qu’il a en face de lui un interlocuteur plus qualifié. Devant Michel Onfray, par exemple, le terrible Charon devient timide, il se réfugie derrière son ami Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, spécialiste de Sade, pour faire de toutes petites critiques au philosophe. Il s’infantilise quand Onfray lui montre l’invalidité de ses arguments. Il devient alors hésitant, il bafouille presque et affiche une moue de petit garçon puni, à défaut de rigoler comme une petite fille. Il s’aplatit progressivement, triture ses notes puis disparaît. Heureusement, Natacha est là pour le tirer de l’embarras.

Eric Naulleau
Eric Naulleau

Aymeric Charon est victime de sa propre malédiction. Il réussit toujours l’exploit de rendre ceux qu’il exècre sympathiques ou, du moins, il se rend tellement antipathique qu’il force le spectateur à prendre partie pour celui qu’il agresse. La télévision, média de l’émotion, a le mérite de révéler au grand jour sa rage moralisatrice. Souvenez-vous Laurent Obertone, l’auteur de La France Orange mécanique, un bouquin hypersécuritaire qui, à coups de faits divers sordides et de statistiques alarmantes, signifiait que la France était condamnée, livrée à des hordes d’animaux. Charon n’a pas pu résister. Il a cédé à la passion. Incapable de contrôler ses tripes droitsdelhommistes, il se jette sur l’ubiquiste Obertone et le traite d’emblée de « raciste », ajoutant que la France Orange mécanique est le « livre de chevet de Marine Le Pen » avant de conclure la bave aux lèvres « Vous n’avez rien, vous n’avez rien. Vous n’avez pas de preuve. » L’habile Obertone, voix voilée et posture d’agneau, n’a plus alors qu’à se contenir pour s’attirer l’affection du public. Le mépris explicite de Charon a éclipsé brillamment les doutes que le spectateur averti pouvait avoir sur Obertone, soupçonné par Mediapart d’être le tenancier d’un blog xénophobe, Le Pélicastre jouisseur. Le plus embarrassant dans tout ça, c’est que le Charon n’avait pas d’arguments valables à opposer à Obertone, si ce n’est le procès d’intention zélé et l’utilisation de mots en vogue du type : « haine », « nauséabond », « stigmatiser ».

Plus récemment, face au philosophe réactionnaire de gauche (sic) Alain Finkielkraut, Aymeric Charon s’est particulièrement illustré. Il a voulu démontrer à l’auteur de L’identité malheureuse que son livre était un livre xénophobe. Car Charon lit entre les lignes. Il ne lit pas ce qui est écrit mais ce qu’il veut voir écrit. Il dénonce la « dialectique dangereuse » de Finkielkraut et l’accuse de produire un discours élégant et érudit pour cacher des motifs profonds : la peur de l’étranger. Car aux yeux de Charon, Finkielkraut, comme Obertone avant lui, fait « le jeu du Front National ». Toujours la même rengaine, la même obsession. Le discours du philosophe n’existe pas en tant que tel, mais seulement en tant qu’il peut être récupéré par le FN.

Mais le spectacle le plus affligeant que Charon ait produit, au moins d’un point de vue symbolique, est celui qui le met en scène lui et son illustre prédécesseur Eric Naulleau. Dans un jeu de miroir ou Charon interprète le reflet médiocre, les deux chroniqueurs s’écharpent et se lancent des vannes puériles. Charon, qui a pour l’occasion muté en hyène, déploie une énergie insoupçonnée pour mettre à mal l’ours Naulleau. Mais le copain de Zemmour a de la ressource et une pratique séculaire de la joute télévisuelle. Les offensives de Charon sont comme mouchées, elles rebondissent sur Naulleau et le giflent en retour. Charon veut faire du Naulleau. Il veut se faire Naulleau. Naulleau n’a que faire de Charon. Naulleau passe le Styx en mortel et ne paie pas. Il n’échoue pas sur sur le fauteuil bleu mais y trône. Charon a beau s’agiter dans tous les sens, rouler des mécaniques devant son patron, jouer les prophètes retardataires  « J’étais sûr que vous alliez dire ça. J’aurais dû l’écrire sur un papier », rien n’y fait. Naulleau est le maître, Charon, l’élève.