Crèches de Noël et repos dominical : la terrible invasion du christianisme

À l’approche de Noël, de nobles indignations républicaines s’élèvent dans la bouche des furieux défenseurs de la laïcité. Insupportablement outrageantes, les crèches de Noël dans l’espace public, dans les Mairies ou les Conseils Généraux, doivent disparaître. Et qu’importe si, entre les mains de ces scrupuleuses vigies de la neutralité religieuse, la laïcité qu’ils brandissent imbécilement se trouve vidée de son esprit originel et hideusement transformée en machine à abattre le christianisme, et avec lui, les racines culturelles de la France.

Scène de rue quotidienne à Paris
Scène de ferveur chrétienne quasi quotidienne dans les rues de Paris

Menace perpétuelle et sans cesse plus dangereuse à l’égard de nos institutions, l’Église catholique fait l’objet d’une vigilance à la fois nécessaire et justifiée si l’on considère les tentatives d’ingérence dans l’espace public, inexorablement plus nombreuses chaque année, habilement orchestrées par les archevêques de France pour s’emparer enfin du corps temporel de la fille aînée de l’Église. Le climat général en ce début de millénaire est, sans aucun doute possible, à la christianisation des esprits, et un simple coup d’œil au monde qui nous entoure suffit à convaincre le plus naïf des sceptiques de la ferveur spirituelle croissante que fomentent au quotidien la publicité et ses exhortations outrageusement christiques à la pudeur, l’humilité et le partage. On ne dénoncera jamais assez l’inclination dévote des arts et des modes devant les traditions et les valeurs séculaires, ou encore la bigoterie consternante des responsables politiques qui, s’imaginant lancer la dixième croisade contre le monde non-chrétien, continuent de s’opposer farouchement à l’ouverture de l’économie très catholique de la France aux capitaux païens des Chinois, des Qataris et des Japonais.

Suivant la logique de ces observations qui mobilisent à peine davantage le bon sens que les yeux, comment ne pas reconnaître l’ombre effroyable du christianisme qui intrigue dans les coulisses du pouvoir et de la presse pour interdire aux femmes, sur la simple et noble base du volontariat le plus désintéressé, de procéder à la gestation pour autrui ? Autrui : n’est-ce pas là pourtant le semblable, l’ami, le frère que la Bible, scandaleusement omniprésente dans les rayons chargés d’effluves d’encens des supermarchés, nous exhorte à aimer comme nous-même ? C’est cette même Église qui voudrait réduire le nombre glorieux de nos 200.000 avortements annuels, et ainsi priver la libre citoyenne du droit de maîtriser sa grossesse et son corps, en la poussant à maîtriser son corps et sa grossesse jusqu’au point d’en prévenir le déclenchement indésiré – quelle absurdité.

En réalité, derrière chaque régression se dissimule le spectre médiéval de la papauté, assistée avec zèle par son efficace réseau de prêtres aux ressources financières si conséquentes qu’il en devient presque impossible de compter le nombre de clochers qui s’élèvent chaque jour dans nos villages et nos banlieues, au gré des constructions frénétiques de nouveaux édifices religieux. L’Église est l’ennemie du progrès. Pire encore, c’est la ferveur folklorique, presque attendrissante, des masses indéfectiblement attachées à leurs chimères résurrectionnelles, qui doit inquiéter tout bon défenseur de la laïcité, lorsque, les fêtes de Pâques venues, on voit parader par milliers de ces croyants à travers les rues de France, ceux-là même qui manifestent si bruyamment pour maintenir les crèches dans les bâtiments publics et sur la place des marchés.

La laïcité de gauche au XXIe siècle : comment se passer la corde au cou

Comme Clémenceau en son temps, élu du même arrondissement, Delanoë célèbre le Ramadan
Comme Clemenceau, père de la laïcité et élu du même arrondissement, B. Delanoë célébrait le Ramadan

Plutôt de gauche, le renouveau de la fièvre laïque semble principalement s’intéresser à la religion catholique, alors même qu’il est né, paradoxe amusant, concomitamment à plusieurs faits-divers concernant exclusivement la religion musulmane. Lorsque Jean-Luc Mélenchon se fend d’une lettre argumentative pompeusement adressée au Pape François pour lui expliquer, à raison, que sa présence au Parlement européen n’est en rien légitime, d’étranges œillères semblent restreindre le champ de son sens critique, et tout partisan honnête de la laïcité s’interroge : pourquoi donc la gauche laïcarde se fait-elle subitement plus silencieuse lorsque le Président de la République s’exprime au congrès annuel du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France ? Pourquoi ne s’indigne-t-elle pas lorsque Anne Hidalgo, Maire de Paris, célèbre le nouvel an juif, la rupture du jeûne du Ramadan ou le nouvel an chinois, pourtant fêtes religieuses ou traditions spirituelles ?

La réponse à cette interrogation trouve sa source dans un constat qu’établissent, parfois de manière inavouée, parfois inconsciemment, les laïcs « de gauche ». Minoritaires, et donc insoupçonnables d’exercer une influence quelconque sur le pouvoir politique, ces religions peuvent bien faire l’objet d’une attention particulière de la part des représentants politiques. En d’autres termes, c’est le caractère culturel de ces fêtes, prétendument vidées de leur substance spirituelle, qui est ainsi célébré, comme un hommage amical aux individus se reconnaissant dans ces traditions. Il suffit d’écouter les discours prononcés en ces occasions pour s’en convaincre : ce sont systématiquement des adresses aux « communautés », par essence minoritaires, et à leurs représentants. Un geste de la part de la République, en somme, presque diplomatique, dépourvu de toute prétention religieuse. Si ce même geste ne saurait décemment être reproduit à l’occasion de fêtes catholiques, et si l’on ne verra jamais Anne Hidalgo assister à une messe de minuit célébrée en salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de Paris, c’est précisément parce que la religion catholique se voit opposer un refus de reconnaissance en tant que culture. Identifié comme purement religieux, le christianisme constitue ainsi seul une menace à la laïcité, en raison de son influence historique sur le pouvoir en France.

Or c’est justement dans cette ambiguïté que réside l’incohérence de ce raisonnement, au-delà même de la peste communautaire et du négationnisme historique qu’il véhicule : s’il bénéficie d’un traitement d’exception aux yeux des laïcs fanatiques du XXIe siècle, c’est précisément parce que ces derniers reconnaissent au christianisme, malgré eux, une histoire particulière en France. Il y a pourtant fort à parier qu’aucun d’entre eux ne consentirait à admettre l’héritage chrétien de notre pays si la question lui était soumise ainsi formulée. C’est pourtant sur ce point que l’Histoire les rattrape, et une cohérence absolue devrait normalement leur faire exiger que l’on renomme les jours de la semaine, les rues de nos villes, ainsi que tous les individus portant des prénoms qui, comme le mien, évoquent des saints d’ici ou d’ailleurs. L’absurdité d’une telle entreprise semble évidente à quiconque réalise la profondeur des racines de nos traditions qui, même sécularisées et devenues entièrement laïques, se plongent dans une terre éminemment religieuse. Les laïcards de gauche ont tort de mépriser l’attachement que peuvent avoir certains Français aux crèches de Noël, y compris dans l’espace public, comme ils ont tort d’y voir un prosélytisme larvé. Et qu’ils ne s’étonnent pas si, lorsqu’ils voudront défendre le repos dominical face à l’ouverture des magasins si violemment exigée par les prêtres de la consommation absolue, seule déesse encore vénérable dans le monde moderne, ils se voient rétorquer que rien, sinon l’attachement à des traditions d’origine éminemment chrétienne, ne justifie que l’on ne travaille pas le jour du Seigneur.