Nabe, l’enfant révolutionnaire

En 1985, Marc-Edouard Nabe fonce tête baissée dans la société du spectacle. Les convenances, la bienséance, la courtoisie, il ignore. Son but : injecter de l’énergie brute dans la littérature. Si son passage est remarqué dans Apostrophe, l’émission de Pivot, son entreprise a échoué. Hier, il joutait avec Sportès et Roberts. Aujourd’hui, Lévy et Musso occupent le premier plan. Mais l’homme a de la ressource. Cette année, il a réédité son premier livre Au régal des vermines. Portrait de l’écrivain en jeune homme.

« Mais parce que tu es tiède, et ni froid ni chaud, je te vomirai de ma bouche. »  Apocalypse III

Cette parole, Nabe l’a entendue. Son mépris pour la modération est sans limite. Sa philosophie est celle de l’excès. Il ne connaît que deux mots : l’amour et la haine. Son manichéisme est artistiquement assumé. Il n’apprécie pas, ne tolère pas, ne dénigre pas, ne condamne pas, ne désavoue pas, n’estime pas… Il aime et hait. Admire et méprise. Au milieu, il n’y a rien. Pour Nabe, se situer entre les deux, c’est déjà ne pas être. Exister vraiment, c’est être capable de sentiments exacerbés. L’homme nabien est un être de passion. La raison est reléguée au second rang. Pour Nabe, l’artiste doit avoir un rapport, non pas rationnel, mais mystique aux choses.

Nabe ne pense pas en logicien. Sa pensée est toujours incarnée dans son corps. Il ne dissocie pas, il unie. Nabe est un moniste, un phénoménologue qui s’ignore. Il sait que toute pensée procède du corps, que toute œuvre lui est due. Une âme pure pourrait écrire éternellement. Le corps pose la limite et invite à l’effort. Une œuvre artistique n’est jamais propulsée dans le monde d’un coup. Les Muses n’existent pas. Tout art est tributaire d’une chair, d’une vie, d’un pouvoir. Nabe est capable, musclé. Il aime soulever de la fonte littéraire. Chez Nabe, l’effort est aussi musical. Le rythme et le swing animent son style. Nabe est un écrivain de jazz. C’est possible. Comme Céline, il joue du stylo.

Nabe est aussi un vitaliste. C’est le digne héritier de Nietzsche. Sa vie est son œuvre, son œuvre, sa vie. Nabe écrit pour vivre, vit pour écrire. Son sang est d’encre, sa chair de papier. Nabe sue des mots, pleure des lettres, dégueule des paragraphes. Son monde est un livre vierge qu’il remplit. Mais le vitalisme de Nabe n’est pas un vitalisme en soi. Vivre n’es pas une fin, c’est un moyen. Vivre pour écrire seulement. Vivre pour récolter de la matière littéraire. « Qui vomit a dîné ».

Nabe est partisan d’une subjectivité absolue. Etre pour Nabe, c’est faire en sorte que les autres ne soient pas, c’est se saisir de leurs vies et les ramener à la sienne propre, littérairement. Pour autant, Nabe ne sacrifie pas les autres dans une logique égotiste. Il tue pour mieux créer. C’est un démurge qui commence par l’Apocalypse. De sa plume doit naître, non pas un Nabe littéraire, mais un monde nabien purifié, une vision du monde, universelle, cosmique. Nabe, assassin créateur, tue pour offrir aux autres l’immortalité. L’écrivain est généreux. Peu l’ont compris. Nabe s’en fout. Il nous emmerde tous. Nabe est libre. C’est bien.