Visage d’écrivain : Léon Bloy

« Il avait dix-huit ans, une de ces physionomies rurales où le mufle atavique n’avait pas encore eu le temps de livrer sa dernière bataille à l’envahissante intelligence […] Il tenait de sa mère, morte depuis longtemps, le ridicule romantique d’une origine espagnole […] Cette origine, – à peine démentie par des yeux d’un bleu si naïf qu’il avait toujours l’air de s’en servir pour la première fois […] Bouche close, narines vibrantes, sourcils presque barrés et entrant l’un dans l’autre à la plus légère commotion, il avait parfois des colères muettes et blanches de séditieux comprimé, qui eussent donné la colique à un éventrable despote. […] Les yeux noyés et d’une tendresse presque enfantine, – seuls capables de tempérer l’habituelle dureté de l’ensemble, – changeaient alors de couleur et devenaient noirs !… » (Le Désespéré, p. 44-45)

Il est habité d’une foi vivace, de cette foi venue apporter non pas la paix mais l’épée.

1244533396_extras_ladillos_1_0Léon Bloy est le genre d’homme qui fait baisser les yeux. Le regard incandescent de ce purificateur soumet les viles volontés. Il est habité d’une foi vivace, de cette foi venue apporter non pas la paix mais l’épée. Foudroyant Léon Bloy ! L’ours pourrait écrire avec ses yeux. L’homme est charpenté. Son gros corps puissant, forgé par la misère, « formé pour le malheur » (p. 40), lui autorise ce regard despotique. Caïn Marchenoir (Léon Bloy) a les moyens de sa colère, colère contre l’injustice, colère contre le lucre. Colère conte les ploutocrates, colère contre les tièdes. Colère contre le règne de Mammon, colère contre les lâches. Cette saine colère, Bloy ne peut la contenir. L’aversion qu’il éprouve envers les écrivains et les poètes de son époque déborde le champ de l’esprit pour envahir sa chair. « Ah ! S’il fut simplement agi d’un combat physique, en pleine caverne, il se sentait une vaillance à les défier et à les massacrer tous. » (p. 322) Cette tension toujours vivace, toujours tournée vers cet Autre répugnant passe par sa poigne de géant. « Sans même y penser, il lui serra la main d’une telle force que le poète sigisbée ne put retenir ce cri : – Ah ! Vous me faites mal ! – Je vous étreins comme je vous aime, mon cher ! lui répondit-il, en le fixant avec des yeux froids et clairs plus inquiétants que la colère. » (p. 296)

Visage illuminé

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Nietzsche et le jeune Bloy

Léon Bloy a le visage de sa révolte, la fougue de son désespoir. Face d’insoumis ! Moustache virile ! Le jeune Léon ressemble à Nietzsche mais lui n’est pas malade. Le visage de Léon Bloy, c’est celui de Nietzsche plus Dieu. Alors que la face nietzschéenne témoigne d’un manque, de cette absence obsédante de Dieu, la bloyenne est remplie de sa présence, elle déborde, elle luit. Visage illuminé. Preuve irréfutable de la transcendance ! Oser regarder l’écrivain dans les yeux, c’est contempler son âme. Une âme qui n’a qu’une envie : sortir de son corps. Cette enveloppe lourde et dense contraste avec ces deux orbites éclairés. Deux orbites qui terrorisent les rédacteurs du Pilate (le Figaro), les Gilles de Vaudoré (Maupassant) et autre Gaston Chaudesaigues (Alphonse Daudet). « Ayant vociféré ces derniers mots d’une voix qui parut presque surhumaine, l’imprécateur s’en alla frémissant, la tête haute et les yeux en flamme. Les auditeurs comprirent probablement qu’il ne ferait bon pour personne de lui barrer le chemin […] (p. 344)

Léon Bloy a le visage de sa révolte, la fougue de son désespoir.

Le style bloyen est un style de combat. Cette gueule de fanatique, de soldat de lumière est à la fois cause et conséquence de sa plume ravageuse. Le vieux Bloy a les cheveux blancs mais les sourcils restent noirs. Malgré l’âge, le regard ombrageux ne faiblit pas. Au contraire, sa conviction est renforcée à l’approche de la mort. Le sacrifice habille ses traits : les poches sous les yeux disent la fatigue et la peine de l’homme dévoué corps et âme à l’écriture. Sa moustache flotte sous son nez tel un nuage. Seul signe de légèreté sur ce visage grave et courroucé. L’ours est distendu. La bête est aussi féroce qu’elle est bonne. Elle n’attaque que les puissants et les hypocrites. Le verbe bloyen, éternellement fidèle à Dieu, brise les forts et célèbre les faibles, anéantit les jouisseurs et consacre la piété. Qui survit à la plume de l’écrivain est broyé par son poing. Le corps prolonge l’esprit, le visage figure l’âme.

M.