Nabe chez Taddéï : offensive contre Soral et Dieudonné

Nabe a l’habitude d’être mal compris.  C’est sa routine, sa croix.  Mais sa position n’a jamais été aussi risquée. Nabe est venu chez Taddéï. Il a parlé. Peu l’ont entendu, certains l’ont écouté. Seuls quelques uns l’ont compris. Tandis que le plateau s’agitait, murmurait angoissé « Nabe est là », « Taddéï nous a piégés », Alain Zannini a présenté son prochain livre.

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Alain Soral

Il a dit des choses importantes. Une chose surtout : le problème de la sphère Soral-Dieudonné, ce n’est pas l’antisémitisme mais le conspirationnisme. Accusé lui-même d’être un antisémite, Nabe ne fait pas repentance. Il ne déclare pas la guerre à Soral et Dieudonné pour être réhabilité par Jakubowicz. Il ne déclare pas la guerre tout court non plus. C’est Soral qui la lui a déclarée, il y a environ trois ans. Et Dieudonné a suivi Soral, en signant une bande-dessinée dans laquelle Nabe était décapité.

Soral a rompu avec Nabe parce que celui-ci n’a jamais cédé à la tentation conspirationniste. L’antisémitisme d’un Soral ne se comprend en dernière instance que si l’on accepte les présupposés complotistes. Démonter le soralisme ne consiste pas en la démonstration de l’immoralité de l’antisémitisme mais en la démonstration de l’absurdité du complotisme. Il faut regarder les vidéos de Soral. Écouter ce qu’il dit. Ce qu’il dit sur les chambres à gaz, ce qu’il dit sur le 11 septembre, ce qu’il dit sur Merah, ce qu’il dit sur Boston. Ce qu’il dit du complot judéo-talmudo-sionisto-mamono-maçonnique. Pour Soral, il y a continuité dans le complot. Les complots servent les mêmes et sont l’œuvre des mêmes. Pour Soral, le politique, c’est le complot. Tous les événements s’expliquent par le complot. Tout ce qui arrive est monté, orchestré, décidé. L’événement du complotiste est un événement mathématique, un événement pur qui n’implique aucune contingence. Le complotisme, c’est un monde de logicien où tout arrive par préméditation, tout est calculé, prévu. C’est le monde de l’éther puisque jamais rien  ne vient entraver l’accomplissement du complot. Comme le disait déjà  Péguy à l’époque de l’Affaire Dreyfus : « D’abord généralement en histoire on ne monte rien du tout ou enfin on ne monte pas tant que ça. Ce qu’il a de plus imprévu, c’est toujours l’événement. Il suffit d’avoir un peu vécu soi-même hors des livres  des historiens pour savoir, pour avoir éprouvé que tout ce qu’on monte est généralement ce qui arrive le moins, et que ce qu’on ne monte pas est généralement ce qui arrive. »

Nabe a raison. Le complotisme est bien une « maladie mentale ». En fait, Patrick Cohen ne fait que copier Nabe lorsqu’il évoque les « cerveaux malades ». Sauf que Cohen amalgame les cerveaux. Le complotisme est la maladie de notre temps. Maladie qui consiste à interpréter le surgissement de l’événement à l’aune du contexte présent. Comme le dit encore l’indépassable Péguy : « il (nous dirions aujourd’hui le conspirationnisme) obéit ici à la plus grande illusion intellectuelle […] de substituer partout , dans tout l’événement historique, la formation intellectuelle à la formation organique ; mais très particulièrement à cette illusion d’optique historique intellectuelle qui consiste à reporter incessamment le présent sur le passé […] » Le complotiste ne cherche à comprendre l’événement qu’a posteriori, il ne s’intéresse jamais à sa genèse. Le complotiste tire de faits présents les clés d’interprétation des faits passés. Le complotiste pose la question : à qui profite le crime ? Le bénéficiaire devient alors l’instigateur.

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Dieudonné

Si Nabe a dit que le combat contre le conspirationnisme est le combat qu’il faut mener, il n’a pas dit que l’antisémitisme était absent du phénomène Dieudonné. Il existe évidemment. Il est d’ailleurs temps de faire comprendre quelque chose aux fans idiots de Dieudo. M’Bala M’Bala est antisémite. Dieudonné (comme Soral) dit : « Je ne suis pas antisémite puisque je ne suis pas racialiste ». Comme si l’antisémitisme était nécessairement un racialisme. Ceux qui s’intéressent un peu à la question juive savent très bien que l’antisémitisme ne s’est pas toujours constitué comme un racialisme. L’antisémitisme anticapitaliste de la gauche ne dit pas « nous n’aimons pas les Juifs parce qu’ils sont inférieurs par leur race », mais bien plutôt « nous n’aimons pas les Juifs parce qu’ils tiennent la finance et l’argent ». De même, l’antisémitisme catholique ne dit pas « nous n’aimons pas les Juifs parce qu’ils sont inférieurs par leur race », mais bien plutôt « nous n’aimons pas les Juifs parce qu’ils ont tué notre Dieu ». De même l’antisémitisme d’Etat d’un Maurras ne dit pas « nous n’aimons pas les Juifs parce qu’ils sont inférieurs par leur race », mais bien plutôt « nous n’aimons pas les Juifs parce qu’ils occupent les postes clés de l’État ».

Nabe a dit aussi : « Dieudonné est lâche ». Le lendemain, Dieudonné, qui prétendait être prêt à aller en prison et vouloir la révolution par la quenelle, annonçait qu’il arrêtait la tournée du Mur. Comprendre : qu’il ne défiait pas la décision du Conseil d’État et l’autorité de Valls. Dieudonné, le révolutionnaire millionnaire qui fait des appels au don pour payer ses procès perdus. Dieudonné, le révolutionnaire millionnaire qui, après la décision du Conseil d’État, n’oublie pas de vendre les DVDs de son spectacle 43 euros.

Après son passage chez Taddéï, Nabe est plus seul que jamais. Cerné entre le Système et le nouveau Système, j’ai nommé l’anti-Système. Nabe est pris dans le feu croisé des « bien-pensants » et des « dissidents ». Leurs arguments se recoupent (il faut se demander pourquoi). Les balles fusent au-dessus de sa tête, sifflent à ses oreilles. Mais Nabe a fait le bon choix. Celui que nous devrions tous faire. Ne pas choisir entre Valls et Dieudonné. L’alternative pourrie. Le dilemme moisi. Le livre annoncé, qui ne sort pas en 14 pour rien, promet d’être celui de la troisième voie.