De Gaulle : une certaine idée de la France dans le monde

Depuis 2007, sous les présidences successives de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, la politique étrangère française a entamé un virage atlantiste, en contradiction avec une tradition diplomatique héritée du Général de Gaulle. Pour être en mesure de comprendre cet héritage gaullien qui part à vau-l’eau, la lecture de C’était de Gaulle, un recueil d’entretiens menés par Alain Peyrefitte avec le général de Gaulle entre 1959 et 1969, est aujourd’hui précieux. Il nous livre la vision d’un homme politique hors norme. Une vision qui a imprégné et guidé la politique de la France pendant près d’un demi-siècle.

Dominique de Villepin à l’ONU le 14 février 2003

« C’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. » En 2003, au Conseil de Sécurité de l’ONU, Dominique de Villepin prononce ces paroles puissantes, lors d’un discours devenu historique, dans l’objectif de faire opposition au projet américano-britannique de guerre en Irak. Cette position française est la manifestation d’une des dernières lueurs de la grande politique extérieure française menée au cours des années 60 par le général de Gaulle. Depuis dix ans environ, la France est entrée dans une nouvelle ère, celle de l’assujettissement à la politique extérieure américaine. C’est un des fondements de la Vème République que l’on passe par pertes et profits.

La Vème République est née d’une réaction à l’impuissance. L’impuissance de la IVème République à trouver une stabilité politique ; l’impuissance d’une république moribonde à répondre aux nouveaux défis de la France face aux enjeux du monde de l’après-guerre ; l’impuissance d’un pays face à la guerre d’Algérie qui entraîne la France dans un conflit qu’elle refuse de nommer. En 1958, de Gaulle apparaît comme le recours salvateur, le seul capable de redresser la situation d’un pays au bord du gouffre. Afin d’enrayer cette crise politique et institutionnelle, de Gaulle fonde la Vème République, régime présidentiel capable d’offrir à la France la stabilité et à son président les moyens concrets pour résoudre les crises qui secouent alors le pays.

Rapidement, malgré un positionnement ambigu lors de son arrivée au pouvoir, de Gaulle, en tant que premier président de la Vème République, comprend que la France doit clore au plus vite la guerre d’Algérie. Cette guerre plombe en effet l’économie, entretient un climat insurrectionnel et discrédite la France sur la scène internationale. Il confie en 1959 à Alain Peyrefitte lors de l’un de leurs entretiens : « Le drame algérien, il ne se confine pas à l’Algérie elle-même, ni aux rapports entre la France et l’Algérie. Il affecte les Français eux-mêmes. Il pourrit tout en France. Et il mine la situation de la France dans le monde. »

La France a fini de se blottir

Les accords d’Evian de 1962 terminent peu après cette « sale guerre » et permettent enfin à la politique étrangère gaullienne de se déployer dans toute son ampleur : la France se tourne alors pleinement sur le monde. Un monde bipolaire, partagé entre l’URSS et les États-Unis. Pour de Gaulle, le pays a un rôle essentiel à jouer face à cette polarisation des relations internationales. La France doit marquer sa différence et influer sur le sort des nations dans le sens de ses propres intérêts mais aussi dans celui des peuples du monde. Il s’agit là de la conviction de l’homme du 18 juin : « La France, chaque fois qu’elle est-elle même, est humaine et universelle. La vocation de la France, c’est d’œuvrer pour l’intérêt général. »

De Gaulle à Londres
De Gaulle à Londres durant la guerre

À cette fin, la France se doit de s’arracher à l’emprise américaine, subie depuis la fin de la seconde guerre mondiale, emprise que la faiblesse politique de la IVème République avait entretenue. Pour le fondateur de la Vème République, la voix de la France ne peut être réellement entendue tant qu’elle se cantonne à être l’écho de la voix américaine. La France doit cesser de rester dans l’ombre et œuvrer en toute indépendance à la défense de ses valeurs et convictions : « Voyez-vous, la France est souveraine. Ou plutôt elle le redevient, ce qui ne lui était pas arrivé depuis la première guerre. Elle s’était blottie à l’ombre des anglais dans l’entre-deux guerres, puis des américains après la seconde. Tout ça, c’est fini. La France a fini de se blottir. » Dans la pensée gaullienne, la souveraineté réside exclusivement dans la nation. Cette dernière est sacralisée et a le devoir de rester indépendante. La nation ne peut pas être autre qu’autonome et émancipée de toute influence étrangère, position impossible à tenir sous la domination américaine étreignant la France avant 1958. Ce raisonnement s’inscrit dans une continuité, celle du combat de de Gaulle à la tête de la France Libre durant la Seconde Guerre Mondiale. En effet, pour lui, Vichy avait trahi la nation et ne pouvait donc incarner la France, son gouvernement étant sous domination étrangère.

En 1960, dans cette logique et pour sanctuariser le territoire national, de Gaulle fait entrer la France dans l’ère du nucléaire militaire et quitte, en 1966, le commandement intégré de l’OTAN. Une nécessité pour ne pas être dépendant d’une dissuasion nucléaire dirigée outre atlantique et d’un commandement militaire américain sous lequel l’ensemble de l’Europe occidentale est assujetti. Cependant, cette prise d’indépendance ne doit pas être un acte d’hostilité. La France se doit de maintenir l’alliance avec les États-Unis. « Ils devraient comprendre que le meilleur allié des États-Unis, ce n’est pas celui qui s’aplatit devant eux, c’est celui qui sait leur dire non. »

HOMMAGE DE NICOLAS SARKOZY AU GÉNÉRAL DE GAULLE
Nicolas Sarkozy tourne le dos à l’héritage gaulliste

Comme elle semble lointaine, aujourd’hui, cette volonté d’indépendance, alors que notre politique extérieure est toujours plus inféodée à la puissance américaine comme les dernières crises internationales en sont un exemple flagrant : Syrie, Ukraine, Iran… Nicolas Sarkozy et François Hollande semblent avoir tous deux enterré l’héritage gaullien encore défendu auparavant par Jacques Chirac, dernier héritier, en matière d’affaires étrangères, de cette posture gaullienne. Un héritage pourtant longtemps partagé à gauche et à droite. C’est maintenant son achèvement le plus radical qui semble unir notre classe politique dont la médiocrité n’a d’égal que son manque de vision stratégique. Elle enterre ainsi ce qui avait fait le rayonnement de la France depuis presque 50 ans et lui avait permis de peser dans le jeu international, malgré un poids politique et économique toujours plus faible.

Pour parachever cette perte totale de souveraineté, la Défense Nationale, clé de voûte de l’indépendance du pays dans la pensée gaullienne, est également remise en cause, considérée tragiquement comme une simple variable d’ajustement budgétaire par de biens sombres fonctionnaires de Bercy dont les tableaux comptables semblent prioritaires sur la sécurité du pays. Dans un monde instable, et toujours plus menaçant, voilà une attitude potentiellement funeste. La France, sans un outil militaire performant doublé d’une diplomatie réellement indépendante, voit son influence sur le monde diminuée.

Ne pas partager cette vision politique est évidemment légitime, mais se réclamer d’un héritage gaullien, comme le font la plupart des responsables politiques actuels de gauche comme de droite, tout en liquidant violemment ce qui en fait son essence est d’un cynisme absolu. Un cynisme qui discrédite toujours plus le pouvoir politique dont les sondages démontrent la rupture plus que consommée avec le peuple français.

Mais quelle Europe ?

L’image marquante du président Mitterrand et du chancelier Kohl, main dans la main à Verdun, fait parfois oublier que de Gaulle a grandement contribué, lui aussi, au réchauffement des relations franco-allemandes. Ainsi il a très rapidement voulu associer les deux pays pour construire une Europe continentale unie face aux puissances anglo-saxonnes, dont l’impérialisme politique et économique lui apparaissent comme de véritables menaces pour les intérêts français. Pour cela, la France, sous sa présidence, va œuvrer à la cicatrisation des blessures de guerres des deux pays. « Il n’y aura pas de construction européenne si l’entente de ces deux peuples n’en est pas la clef de voûte. C’est la France qui doit faire le premier geste, car c’est elle, en Europe occidentale, qui a le plus souffert. « 

Pour de Gaulle, l’union des pays d’Europe est également une nécessité pour contrer les deux super puissances de la Guerre Froide. Toutefois, loin de notre Union Européenne supranationale, il s’agit dans sa pensée de créer une coopération entre nations sans pertes de souveraineté pour les pays membres. L’idée même de créer une entité communautaire capable de prendre en main une partie du destin national est inconcevable. « Vouloir faire l’Europe supranationale sans les nations, ou à plus forte contre les nations, c’est une absurdité ! La seule réalité internationale qui tienne, au moins dans ce siècle et sans doute, dans le prochain, ce sont les nations. »

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Le parlement européen

L’évolution de l’Union Européenne depuis le traité de Maastricht en 1992 est à l’opposé de l’Europe conçue par le général de Gaulle. La perte de souveraineté, au profit de fonctionnaires sans légitimité démocratique et à l’autorité toujours plus grande, est en opposition complète avec sa vision du pouvoir politique.« Mais quelle Europe ? Il faut qu’elle soit véritablement européenne. Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques plus ou moins intégrés, elle sera une histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. » Plus de 50 ans ont passé depuis cette prédiction pessimiste, à une époque où l’idée européenne était encore balbutiante. Or, la prédiction semble s’avérer juste. Le rejet de l’Union Européenne est grandissant : les dernières élections du parlement européen l’ont brutalement prouvé.

La vision politique du général de Gaulle n’est donc nullement désuète et semble, plus que jamais, nécessaire pour réorienter la politique étrangère française. Cette pensée a des principes simples et clairs : souveraineté des peuples, indépendance nationale et condamnation de toute forme d’impérialisme. Une politique étrangère se doit d’avoir ainsi un axe et une continuité d’action sur le long terme. Il est temps pour la France de retrouver cet axe gaullien qui a fait l’honneur de sa politique étrangère et assuré son prestige sur la scène mondiale.