Emmanuel Macron, le candidat que la France mérite

La détestation que suscite Emmanuel Macron ne peut qu’être suspecte. Parmi ceux qui lui vouent la haine la plus déterminée, combien de jeunes gens affichant le même sourire, employant le même langage et cultivant les mêmes ambitions ? Pourquoi les enfants de la communication refusent-ils de voir domptée par l’un des leurs la bête qui les a si généreusement nourris de son sein ? Étrange spectacle que celui de ces visages grimaçant à la vue de leur reflet dans le miroir qui leur est tendu. Pourtant, contrairement à ses adversaires, Emmanuel Macron ne fait pas semblant d’être proche de ce peuple du nouveau millénaire : il en est issu. Il ne fait pas de communication – il est la communication.

Le futur du passé

Synthèse absolue de cette France qui fait sens vers n’importe quoi et participe de tout, peuplée d’acteurs décidés à réinventer le monde, Emmanuel Macron parle la langue dans laquelle s’écrit la mythologie de notre temps. Jargon technique façonné dans les open-spaces des start-ups et les couloirs de la Mairie de Paris, il est parvenu à infiltrer le langage courant, y disséminant ses tournures artificielles, ses anglicismes dissonants et son vocabulaire indigent. Dans les rues, il n’est plus rare d’entendre deux individus échanger des propos saturés de cette terminologie d’entreprise, si laide et si creuse, et dont l’usage semble leur être devenu instinctif, même pour exprimer des réflexions ou des sentiments pourtant éminemment personnels.

Or, sitôt filtrée par ces mots sans âme ni histoire, la pensée s’appauvrit de tout le sel qui lui conférait sa richesse et son individualité. Elle devient industrielle, prête à être entendue, comprise puis reproduite par la masse – elle se consomme. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le discours d’Emmanuel Macron, forgé dans le matériau même de ce langage multiforme, constitue le discours politique par excellence. S’il semble vide, c’est parce qu’il est en réalité plein de l’esprit de notre époque creuse, dont il est la plus parfaite traduction. Il est le plus véritable et le moins feint des discours, prononcé par le plus parfait des candidats – l’œuvre la plus fidèle à sa reproduction.

Le vide aspire la matière et se nourrit du vide

Emmanuel Macron n’est pas davantage usurpateur qu’imitateur, puisqu’il est la voix même de la politique agonisante. Il n’est ni le symptôme qui indique le cancer ni l’élément qui le provoque, mais la métastase elle-même, déjà multipliée à l’infini dans le corps qui se meurt. Mal avisé qui en accuserait Emmanuel Macron en particulier – comme s’il suffisait d’arracher une cellule malade pour arrêter la progression du mal.

Le passé du futur

La haine ressentie pour Emmanuel Macron par certains de ses clones s’explique alors parfaitement. Imagine-t-on que les forces actives de la maladie, qui croissent avidement dans la chair, sous prétexte d’être portées par le même mouvement d’anéantissement, s’aiment les unes les autres ? Chaque cellule maligne, dans son expansion, ignore la cause qui meut sa semblable, à côté d’elle, dans la même direction. Elle ignore jusqu’à la cause qui la guide elle-même. Pour prospérer, la tumeur n’a nullement besoin que ses agents se coordonnent ; la destruction s’accomplit même mieux dans le chaos. Le vide ajouté au vide ne l’annule pas – il le renforce.

Ainsi, ce ne sont pas les locuteurs de cette novlangue morte, acteurs de demain déjà acquis à la pensée du néant, qu’Emmanuel Macron séduit. Ceux-là sont à son niveau et ne se laissent pas impressionner. Il peuvent bien le détester, ils œuvrent déjà dans le même sens, de manière concurrente ou adverse, mais rigoureusement parallèle. Ceux sur lesquels il exerce son influence sont, au contraire, ceux qui ne sont pas encore tout à fait malades. Ce sont les demi-parvenus qui sentent que le pouvoir culturel leur échappe encore et qu’il leur faut en apprendre les codes faute d’en avoir hérité, la province aux yeux rivés vers Paris et la bave aux lèvres de frustration et d’admiration mêlées, les éternels perdants qui voudraient gagner au moins une fois en misant sur le bon cheval, tout ce que la France compte de corps encore sains, de gens encore réels, d’humains non standardisés. À ces Français que l’on a fini par convaincre qu’ils vivaient dans le passé, il apporte l’avenir – et tout les préparait à accepter un peu de la part du rêve qu’on leur avait promise. La France mérite Emmanuel Macron : il ne la décevra pas.