Pourquoi je voterais pour Nathalie Arthaud, si…

Yves Lepesqueur contribue à l’Atelier du Roman. Il nous explique pourquoi il préférerait Nathalie Arthaud à Philippe Poutou, si…

Je voterais pour Nathalie si j’étais trotskyste. Jusqu’à présent, le Ciel m’a épargné cette disgrâce, et je ne vois aucune raison d’y tomber, mais sait-on jamais ? On prétend que certains saints ont été sujets à des crises de possession diabolique. Moi qui ne suis pas un saint, suis-je certain de n’être pas saisi un soir d’une crise de possession trotskyste ?

La candidate qui ne sourit jamais (même pas le matin devant ton miroir, Nathalie ?), qui fulmine en silence en attendant son tour de parole, furibonde comme un bourreau retardé par une panne de guillotine, puis se met à glapir dès qu’on ouvre son micro, ne manque pas d’une certaine cohérence qui permet d’aisément la situer dans un continuum historique : descendante des dames sans-culottes qui dépecèrent la belle et douce princesse de Lamballe, descendante des Démons de Dostoïevski, parente d’une collègue de travail dont je tairai le nom, avec qui je m’entendais assez bien, m’amusant de son naturel râleur et gouailleur, mais à qui je n’aurai pour rien au monde donné mon adresse, de crainte qu’elle n’y débarque au premier jour de la révolution, accompagnée de la police politique.

Avec Nathalie, on est en terrain connu. Le trotskyste impénitent y reconnaîtra les siens.

Et Poutou ?

Poutou me paraît bien suspect et je ne donne pas cher de sa peau si Nathalie est élue. S’il s’en tire avec une rééducation à Cayenne, il aura de la chance.

Voici un garçon, représentant un parti prétendument « anti-capitaliste », mais dont tout le marketing est basé sur les méthodes de la publicité capitaliste. Poutou n’argumente pas, ne débat pas, ne cherche pas à convaincre nos intelligences : il vend une image. Il se vend comme un produit de consommation ; une identité : « je suis un ouvrier » ; une identification « affichez-vous ouvrier, c’est chic ».

On peut se demander ce qui lui permet de parler au nom de la classe ouvrière, laquelle lui préfère très largement d’autres candidats, alors que ce sont des bourgeois d’humeur mutine qui lui donneront son 1%, mais c’est aussi une règle de la publicité : pour vendre une automobile comme un modèle pour aventurier viril (ou aventurière effrontée, respectons la parité), il n’est absolument pas nécessaire que les baroudeurs l’apprécient effectivement ; il suffit que les acheteurs aient envie de jouer les aventuriers quand ils iront à l’hypermarché, ce qui est légèrement différent.

Poutou, c’est donc un style vendeur et rien d’autre : cool comme un chewing-gum, pleurnichard comme une victime médiatique (quelle chance qu’une écervelée ait pouffé au lieu de le laisser exposer comment il comptait interdire les licenciements, il aurait été bien embêté qu’on le laissât parler, le Poutou), reconnaissable au premier coup d’œil à sa coiffure et ses oripeaux, comme un personnage de jeu vidéo ou catcheur de la WWE. On vendra demain des tee-shirts « Poutou pou’ toujours », comme en vend des tee-shirts « Che Guevara » fabriqués au Bangladesh par des esclaves.

« – Ça ne vous trouble pas camarades, votre conformité aux modes de communication du capitalisme ? Seriez-vous assez naïfs pour croire qu’on adopte les mots et les méthodes de l’adversaire sans s’y inféoder ? N’est-elle pas un peu contradictoire votre campagne ? »

Et si, au contraire, elle était très logique ? Il ne dit pas grand-chose M. Poutou, mais j’ai quand même réussi à saisir ceci : son gros problème, c’est que les ouvriers travaillent trop et ne gagnent pas assez d’argent. Rien d’inconvenant à cette préoccupation, mais ce qui est ennuyeux c’est que, selon M. Poutou, ce soit apparemment le seul problème de notre société : que l’ouvrier gagne plus et consomme plus, que le manœuvre puisse consommer autant que l’ingénieur et tout ira pour le mieux. Il est modeste, Poutou, il n’en demande pas plus : le capitalisme pour tous, le consumérisme enfin universel. Nos camarades soi-disant révolutionnaires me rappellent toujours le mot de Flaubert : leur ambition, c’est d’« élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois ». Pourquoi donc se donneraient-ils la peine d’argumenter pour le convaincre, ce prolétaire, Il suffit de lui parler comme à un consommateur : « – Achète une Rolex, tu seras beau sur ton solex », disait l’autre, et celui-ci : « – Affiche toi Poutou, et fais le fier comme un matou » : la voilà la révolution ! Dire que c’était si simple. Ce n’était en somme qu’une affaire de pride ; la pride : l’extase mystique du consommateur.

Et le haut clergé, que fait-il ? Où sont les gros matous, les Raminagrobis du bureau politique de la défunte Ligue communiste révolutionnaire ? N’ont-ils plus aucune autorité sur les freluquets du Nouveau parti anticapitaliste ? Laissent-ils faire ? Ont-ils oublié leur robuste dialectique ? Le révérend Alain Krivine, d’heureuse mémoire, et ses discrets confrères, ne voient-il pas que cette campagne est une acte d’allégeance au capitalisme consumériste ?

Ou bien, est-ce là ce qu’ils désiraient depuis toujours sans oser se l’avouer ?

Il est plus d’une manière de rejoindre le capitalisme après avoir été soixante-huitard. On peut le faire sans vergogne, avec une tranquille indécence (vous voyez à qui je pense) ou bien plus subtilement, comme les trotskystes de la LCR devenue NPA. Je me souviens du temps où j’étais un jeune idiot progressiste (jeunes idiots progressistes, je vous annonce la bonne nouvelle : vous ne serez pas toujours jeunes, et peut-être ne serez-vous pas toujours progressistes ; l’espoir vous est permis), rêvassant quelque part dans l’écologie gauchisante. En ce temps, bien que nous ne fussions pas de la même chapelle, nous trouvions tout de même assez sympathiques les gaillards de la LCR, contrairement à leurs revêches concurrents de Lutte ouvrière. Ils avaient déjà la coolitude à l’âme. Leurs flottements, leur petits écarts idéologiques, leur humour ne révélaient-ils pas, malgré leurs efforts pour la dissimuler, une profonde envie de se réconcilier, de se détendre, de s’amadouer, d’entrer dans la ronde d’un progressisme compatible avec les bonheurs du consommateur épanoui ? Le vide et souriant Poutou est-il le secret que recelait le sévère Krivine ?

Voilà pourquoi je voterai pour Nathalie, si jamais le démon du trotskysme me saisit et qu’aucun exorciste ne m’arrête sur le chemin des urnes.