Ernest Hello : l’avare sacrifie la richesse sur l’autel de l’argent

[Cet article est initialement paru dans PHILITT #6]

Écrivain catholique et mystique né à Lorient en 1828, Ernest Hello est aujourd’hui tombé dans l’oubli. Dans son chef-d’œuvre, L’Homme : la vie, la science, l’art (1872) il dresse un portrait de l’avare touchant à un absolu tel qu’il ferait, selon le mot du critique Henri Lasserre, passer Molière ou Plaute pour des enfants.

Ernest Hello

Pour le sens commun, cupidité et avarice sont des synonymes qui désignent un appétit immodéré pour l’argent. On serait donc indifféremment cupide ou avare puisque les deux termes renverraient à un même mal, à une même pathologie liée au désir de possession de l’or ou de l’argent. Le rôle d’un grand écrivain est de révéler le sens profond des mots, de montrer, derrière l’habitude des usages, leur spécificité et leur caractère unique. Pour Ernest Hello, dont la pensée s’abreuve à deux sources – la Bible et Joseph de Maistre –, si cupidité et avarice sont deux aspects d’une même idolâtrie, les deux face d’une même médaille, elles ne sont en rien synonymes.

La cupidité désigne un principe actif, l’avarice un principe passif. « Les hommes s’effrayent facilement de la cupidité, parce que la cupidité est remuante et bruyante », écrit Hello dans L’Homme : la vie, la science, l’art. La cupidité se manifeste, elle se fait remarquer. L’homme cupide ébranle le monde, est prêt à tout chambouler pour l’argent. En d’autres termes, les hommes cupides désirent être vus, leur pathologie de l’or est liée à un désir de gloire, « ils abritent le vice sous le prestige de l’action ». La cupidité ne se développe pas dans le secret, elle « se déclare ». Ainsi, les hommes cupides sont connus du monde et eux-mêmes ont conscience de leur cupidité qui est leur moteur explicite. Nous les considérons avec crainte, nous dit Hello, car ce sont des destructeurs, mais, au moins, nous les considérons, nous pouvons facilement les identifier puisqu’ils ne cherchent pas à se soustraire à notre regard. Bien au contraire : « Les passions aiment à faire des ruines, et sur les ruines qu’elles font leur nom reste écrit. L’ambition, quand elle réussit, perd toute chance de rester secrète ».

C’est en cela que réside la différence fondamentale entre cupidité et avarice. Pour Hello, cette dernière est un mal plus sournois : « Cachée dans son principe, elle est, aussi, cachée dans ses effets. Elle n’exige aucun comportement, aucun éclat extérieur : comme certaines vertu , elle cherche l’obscurité. Elle évite le tumulte, elle vise à la concentration, elle cache, elle enfouit, elle garde au lieu de dilapider, elle prétend augmenter au lieu de détruire. » Alors que la cupidité était bruyante, l’avarice est silencieuse, alors que la cupidité était manifeste, l’avarice est cachée, alors que la cupidité était un vice, un excès parfaitement assumé par celui qui en est habité, l’avarice ne se déploie jamais mieux que lorsqu’elle est ignorée parce celui qui l’abrite en son sein. L’avarice est d’autant plus perfide qu’elle se pare des atours de la vertu. Elle a, si l’on veut, la forme de la vertu. Lorsque l’avarice retient, elle prétend toujours le faire pour de bonnes raisons : « Elle prend les airs et les noms de prévoyance, d’économie, de sagesse ; peut-être même parle-t-elle de famille, des enfants pour lesquels il faut se gêner, en vue de l’avenir. Elle est même capable de murmurer le mot de charité. Car enfin, si elle économise, c’est sans doute pour quelqu’un. »

L’avarice est un mal incurable car un mal inconnu

Voilà peut-être le tour le plus cruel que l’avarice joue à l’avare : lui faire croire qu’elle n’existe pas. « Les autres passions aiment à parler de la personne ou de la chose qu’elles ont pour objet. L’avare aime le silence. Il ose à peine nommer l’argent, et s’il le nomme, ce n’est pas pour parler de son amour. » L’avare n’a pas conscience de sa propre avarice, il se pense plutôt comme un bon bourgeois honnête, soucieux et travailleur, pour un homme qui rejette l’ostension et la brutalité qu’implique la cupidité. Il s’imagine comme quelqu’un de discret et d’humble passé maître dans l’art de la thésaurisation, sans comprendre que cette thésaurisation est – comme le montrera plus tard Léon Bloy, disciple de Hello – un mal qui empêche l’argent, symbole de la valeur, d’irriguer la société dans son ensemble et laisse donc des pans entiers de la vie mondaine totalement anémiés. L’avare pense régler sa vie sur le paradigme moderne de l’esprit bourgeois, de l’esprit protestant aurait dit Joseph de Maistre. Parce que l’avarice est une passion froide, elle donne à celui qui la subit l’illusion de la raison. « Les autres passions semblent prendre soin d’annoncer, par leurs allures, qu’elles vont à une catastrophe. L’Avarice semble annoncer, par son allure, qu’elle va à une fortune sage et durable, faite de patience et de sagesse. Mais, quand la catastrophe arrive, celui qui regarderait bien entendrait le rire du monstre caché sous les décombres : l’Avarice était là, et personne ne l’avait vue. »

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