Il avait de la gueule. C’est le moins que l’on puisse dire. Avec sa tête d’enfant attardé, son corps de Goliath paresseux et ses méthodes délicates, James Gandolfini alias Tony Soprano a donné de manière définitive ses lettres de noblesse à ce qui était jusque là un sous genre cinématographique : la série TV. Certes, il y avait déjà Zorro, Le Prisonnier et Walker Texas Ranger, mais avec The Sopranos on passe de la simple reconnaissance populaire à l’art.
Car The Sopranos n’est pas une simple série TV, c’est un véritable objet cinématographique. Comme Twin Peaks de David Lynch, comme le chef d’œuvre de R. W. Fassbinder, Berlin Alexanderplatz, The Sopranos excède infiniment sa catégorie et fait tomber la barrière entre grand et petit écran. Point de détail troublant : Tony ressemble à s’y méprendre au héros de Fassbinder, Franz Biberkopf (Günter Lamprecht). Même bonhomie, même corpulence, même charisme idiot (au sens dostoïevskien). Tous deux sont trop costauds pour la télévision : d’un coup d’épaule, ils transforment le 4/3 en 16/9.
Un grand homme du petit écran
On entre dans The Sopranos comme dans un bon roman. On y découvre progressivement la richesse du scénario, la densité psychologique des personnages et une véritable patte esthétique. Des vertus que l’on retrouve dans Madmen (Matthew Weiner est le scénariste des deux séries). The Sopranos a les qualités du cinéma plus quelques atouts. Notamment la longueur que permet le format télévisuel. Le spectateur est amené à s’attacher à Tony, à sa médiocrité et à ses vices. On aime Tony malgré ses défauts. Grâce à ses défauts. On lui pardonne sans cesse, comme à l’enfant qui torture un chat.
James Gandolfini est et restera pour toujours Tony Soprano. Les seconds rôles qu’il a interprété au cinéma (Zero Dark Thirty, The Barber, True Romance) ne lui ont jamais permis de s’imposer durablement. C’est pourquoi il doit être honoré comme un grand homme du petit écran. Comme un géant dans une boîte de conserve. Comme Gulliver. Tony mérite de reposer sans complexe auprès de l’autre Tony (Montana) et de Vito Corleone. Mais lui a quelque chose que le bouledogue romantique et que le Cubain au nez blanc n’ont pas : l’appui du réel. Tony ce n’est pas le mafieux tel qu’on voudrait qu’il soit mais le mafieux tel qu’il est.
M.