Hollywood n’a pas fini d’explorer l’espace. Si Sandra Bullock s’était contentée d’évoluer en orbite autour de la Terre dans l’excellent Gravity d’Alfonso Cuarón, Matthew McConaughey, quant à lui, visite l’infini de la galaxie, du temps et du son dans Interstellar. Pour son dixième long-métrage, le réalisateur Christopher Nolan conserve la force visuelle de Inception tout en y incorporant un scénario plus solide. Malheureusement, Interstellar cède à certains poncifs du cinéma américain. Cette odyssée n’est donc pas le chef d’œuvre inter-dimensionnel annoncé mais une tragédie d’une efficacité redoutable.
Il faut être clair d’entrée : Interstellar est avant tout un blockbuster. Psychique, intellectuel et soigné. Certes. Mais il reste un divertissement grand public. Son instantanéité interdit les doubles interprétations. Ses innombrables rebondissements s’expliquent par une volonté de captiver n’importe quel type de public. Les explications scientifiques, proposées au compte-goutte, au fur et à mesure des événements, embrouillent volontairement plus qu’elles ne transcendent réellement. Ainsi, l’histoire déployée est simple et concise : dans un futur proche, la Terre devient de plus en plus hostile à l’Homme. Un groupe d’explorateurs part alors à la recherche d’une nouvelle planète, dans une autre galaxie, pour sauver l’humanité.
Comme dans Inception, Nolan s’amuse à filmer l’immensité. Si ce dernier était une introspection vertigineuse dans le monde du rêve et les abysses du cerveau, Interstellar au contraire s’intéresse au(x) monde(s) et repousse les limites du possible et du connu. Le récit démarre dans une Amérique devenue profonde, où la population semble totalement réquisitionnée pour nourrir son prochain. Dans quel endroit se trouve-t-on réellement ? Pas de réponse. Peut-être dans la région d’un New-York entre réel et irréel, dépourvu de ses constructions passées (le logo des Yankees sur les maillots des joueurs de baseball).
Pendant une heure, Matthew McConaughey (Cooper) développe son rôle préféré de cow-boy (True Detective, Dallas Buyers Club). Proche de sa fille, il découvre, avec elle, un énorme complexe secret qui appartient à la NASA. Le héros deviendra (trop rapidement) le pilote de la mission Lazarus. Et très vite, le film bascule enfin et l’image prend une ampleur insoupçonnée. Elle réunit dans une même esthétique l’œil, l’oreille et l’horloge. Tous sont conviés lors de cette escapade dans les confins de l’univers. Nolan effectue un travail remarquable sur le silence. Ce dernier est sourd, pesant, rempli de significations qui s’imbriquent de manière fascinante dans une quête censée être exceptionnelle.
Une expérience sensorielle
Par conséquent, nos sens sont mis à l’épreuve tout comme notre rapport au temps. D’abord dans la mission même, menée par l’équipage. Chaque planète possède sa propre horloge biologique. Sur la première, une heure correspond à sept années sur la Terre. Dès lors, la durée du film ne correspond plus à celui des personnages du début. Ce qui offre d’ailleurs une scène fondamentale quand Cooper découvre les messages de ses enfants pendant plus de 28 ans.
Nolan bouscule nos certitudes et les codes du cinéma. Contrairement à Kubrick dans 2001, Odyssée de l’Espace (même si la parenté est évidente), il place sa caméra aux deux extrémités de l’univers et montre avec justesse les conséquences sur les uns et les autres. La dérive cosmique n’est alors plus la seule à l’écran et s’adosse à une émotion nouvelle et nécessaire. En d’autres termes, la musique de l’univers entre grincements et explosions peut, dès lors, être entendue de tous. En cela, le travail du compositeur Hans Zimmer est remarquable.
Seulement, Christopher Nolan doit s’accommoder des contraintes hollywoodiennes. Interstellar délivre un flot de rebondissements impressionnants mais tapageurs et s’abandonne vers la fin aux facilités scénaristiques. Mais, ces dernières s’effacent sans peine face à un casting absolument gigantesque. Le trio McConaughey, Anne Hathaway et Jessica Chastain sublime une narration parfois engoncée bien que toujours palpitante. En effet, les personnages sont l’essence d’un blockbuster à la complexité apparente qui réenchante l’imaginaire collectif. Le but ultime du cinéma US.
Surtout, ils servent la double critique présente dans l’œuvre. D’abord, celle d’une Amérique conquérante qui part, seule, à la découverte d’un nouveau monde. Le drapeau étoilé est planté dans chaque région explorée comme si les États-Unis pouvaient être les seuls à sauver la Terre du danger inexorable qui la guette.
Une métaphysique superficielle
De plus, Interstellar délivre une vision assez pessimiste et acide du progrès. Cherchant à tout prix la survie selon un instinct somme toute primaire, le monde scientifique s’autorise le mensonge, la falsification et la tromperie. La découverte de l’univers ramène ces intellectuels à ce qu’ils exècrent par nature : la repentance face à leurs actes ou face à leurs propres échecs. Même chez Cooper. Abandonnant ses enfants, il ne retrouve ceux-ci que par le souvenir ou la mort. Son désir de transmission se retrouve réduit à néant. Chez Kubrick, la chute des protagonistes provient d’une âme qui se dérègle face aux situations qu’elle rencontre. Pour Nolan, c’est toute une communauté qui néglige l’individu et tente de survivre dans une postérité impossible.
Finalement, le long-métrage fascine principalement par son efficacité et par sa propension à dessiner de nouveaux horizons. En créant une matière singulière et mouvante, le film offre à son public un spectacle démesuré et fabuleusement mis en scène, accouchant d’une tragédie passionnante. Mais c’est dans ses recoins silencieux et ses zones d’accalmie que l’œuvre saisit le plus. Dans les larmes d’un père face à une vie qui défile sans lui. Dans les yeux d’une femme qui retrouve celui qu’elle pensait disparu. Interstellar s’inscrit comme une aventure profonde, qui repousse les limites du possible mais qui oublie de le décrire. Un film ultra-rythmé qui laisse la métaphysique à la surface.