Manuel et Michel ou la farce journalistique

Hier soir, avec son émission Conversation secrète, Canal Plus a montré son vrai visage. Celui de la soumission au pouvoir en offrant à notre fringuant Premier ministre une heure d’une interview à la complaisance dérangeante. Vous pensiez le temps de l’ORTF révolu, détrompez-vous, Michel Denisot l’a ressuscité pour le grand bonheur d’un gouvernement au plus bas dans les sondages.

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Michel Valls

Sur la forme, il faut reconnaître que cet entretien télévisuel est une réussite. Canal Plus sait réaliser de bonnes émissions, mettre son talent de publicitaire au service des puissants. Tout y est ! Le rythme, les prises de vue en champ-contrechamp, la caméra à l’épaule… Sur le fond, en revanche, on cherche encore une question ou une réflexion pertinente susceptible de faire avancer le débat politique français. Nous approchons donc du vide de la pensée politique auquel pourtant les éditoriaux politiques de Jean-Michel Aphatie ont habitué les téléspectateurs de Canal Plus. Natacha Polony n’y peut rien malheureusement, il est difficile d’élever un cancre même avec la meilleure volonté du monde.

L’entretien se construit donc comme un jeu de piste que doit suivre le téléspectateur et futur électeur que l’on prend décidément pour un élève abruti du cours préparatoire. Manuel Denisot et Michel Valls se retrouvent donc devant l’hôtel de Ville d’Évry. Pardonnez ma confusion, je ne sais plus différencier les deux tant la basse collusion entre le politique et le journaliste est forte. Voilà donc nos deux compagnons qui se livrent à un entretien à bâtons rompus, plongés dans cette ville où le formidable destin du matador catalan a débuté. Les deux compères discutent au contact de ce peuple que la gauche a perdu. Un peuple avec lequel ils tentent de mimer la proximité dans une mise en scène ridicule, mais un peuple avec lequel ils ne parlent pas et qui est tenu à l’écart grâce à des agents de sécurité et des policiers que les multiples angles de vue peinent à cacher. Les regards inquiets de Michel Denisot, plus habitué aux cocktails de la rive gauche qu’au cosmopolite marché d’Évry, ajoutent à l’artificialité de la séquence. Tout est balisé, le trajet comme les questions et les réponses récitées comme par deux acteurs d’un mauvais téléfilm marseillais du service public.

Amicalement vôtre

Manuel Denisot
Manuel Denisot

Après le marché, Manuel et Michel pénètrent dans la sinistre et moderne cathédrale d’Évry où le Premier ministre feint l’intérêt pour les questions religieuses en invoquant d’improbables lectures philosophiques. De ce haut lieu de spiritualité, les deux hommes prennent la direction de Paris où le passage devant un monument en hommage aux déportés offre l’opportunité de livrer quelques coups « aux ennemis de la République ». Les Français doivent oublier le chômage mais pas la menace qui pèse sur notre pacte républicain et qui risque à tout moment de faire revivre à notre pays les heures les plus sombres. Canal Plus et le Premier ministre connaissent leurs classiques.

Afin de ne pas réduire le matador à la violence qui découle de son sang chaud, les deux complices prennent la direction de maison familiale où les attend la mère de Manuel. Après ce moment familial sans émotion, c’est une séquence dans l’école où le petit catalan a usé ses fonds de culottes qui tente péniblement de créer de l’empathie. C’est peu dire que l’effet est raté. De cette séquence, il se dégage à peine plus d’émotion que lors de la découpe d’une carcasse de bœuf au marché de Rungis.

La conclusion de ce cirage de chaussures JM Weston est proche, nous voilà enfin arrivés à l’hôtel Matignon où Manuel Valls nous livre un sempiternel hommage à son modèle en politique, Clemenceau dont il a suspendu un portrait dans son bureau. Enfin, Michel Denisot peut laisser notre tigre de papier travailler, il a fait son devoir au service du pouvoir. Un travail aussi éloigné de la déontologie journalistique que la ligne éditoriale du Monde Diplomatique l’est de celle du Journal de Mickey. Le travail de propagande continue dimanche prochain avec l’interview par Maïtena Biraben de notre Président de la République. Vivement dimanche prochain comme dirait Michel Drucker qui aura sûrement apprécié la complaisance avec laquelle a été mené cet entretien.