Paul Perrin est conservateur des peintures au musée d’Orsay et commissaire de l’exposition « Spectaculaire Second Empire » visible jusqu’au 15 janvier 2017. Autour de l’exposition, le musée d’Orsay organise un cycle « l’Empire de l’opéra » du 5 au 27 novembre 2016 autour de l’opéra bouffe sous le Second Empire. Son auditorium accueille une série de concerts du 11 octobre au 13 décembre 2016. Enfin, l’agenda des visites, conférences et ateliers pour enfants peut être consulté sur le site du musée.
PHILITT : Quelle place joue l’art pour le gouvernement de Napoléon III ? Peut-on parler durant le Second Empire de mise en scène du pouvoir ?
Paul Perrin : Napoléon III n’est pas un souverain qui a un goût prononcé pour la création contemporaine. L’empereur s’intéresse peu à l’art mais il a compris son importance pour son image, pour le prestige du régime et de sa dynastie. Il ne se prive donc pas de passer des commandes de portraits, de tableaux qui commémorent les grands moments du règne comme les victoires militaires ou les grandes cérémonies. Il a la volonté de se servir des arts pour restaurer le prestige impérial. Pour cela, il utilise la Maison de l’empereur, une institution qui gère les musées, les manufactures royales, les grandes fêtes, les grandes célébrations… Tout ça doit concourir au prestige de Napoléon III, de l’empire et donc de la France afin de créer une adhésion et de légitimer son pouvoir. Il fait donc un usage très politique des arts.
Au niveau social et économique, nous sommes alors dans une période charnière qui amène la France vers la modernité. Peut-on dire la même chose à propos de l’art en général et de la peinture en particulier avec cette confrontation superbement mise en scène dans l’exposition entre l’art académique et le naturalisme ainsi que les prémices de l’impressionnisme ?
Oui tout à fait, les tensions sont les mêmes que dans les autres domaines de la société. À ce moment du XIXe siècle, on passe d’un monde à un autre. Cela concerne la sphère bancaire, scientifique, économique mais aussi les arts où plusieurs générations d’artistes se côtoient. Certains sont plus dans le passé et dans la réinterprétation des modèles anciens. D’autres essaient de créer de nouvelles formes, de peindre autrement : les futurs impressionnistes et les réalistes. Nous voulions mélanger ces artistes et non pas les mettre dos à dos afin de montrer qu’il s’agit de différentes réponses aux questions que pose l’époque. Nous refusons la vision manichéenne qui distingue les bons et les mauvais, les académiques et les modernes, comme les musées le faisaient jusqu’à présent. Le but était de relier tous ces artistes. Ils se positionnent différemment mais autour d’un même enjeu.
L’orientalisme est assez présent dans l’exposition avec par exemple le sculpteur Charles Cordier ou les peintres Adrien Dauzat ou Jean-Léon Gérome. Quelle influence l’Orient a-t-il eu sur les arts sous le règne de Napoléon III ?
Le goût pour l’Orient dans l’art est ancien. Il remonte au XVIIIe siècle puis à la campagne d’Égypte et au début de la conquête de l’Algérie sous Louis Philippe. Cela s’inscrit dans une certaine tradition, celle du regard de la France vers l’Orient. Sous le Second Empire, la politique coloniale est très active en Afrique du Nord et en Asie. Ces lointaines colonies sont mises en avant lors des expositions universelles. La connaissance de l’Orient s’améliore comme celle de l’ornement de l’art islamique par exemple. Il y a durant cette période une étude presque ethnographique et scientifique de cette région qui remplace le côté très romantique de la période précédente avec ses clichés tels que les harems de Delacroix. D’ailleurs, le fameux buste de Cordier est un buste ethnographique. L’idée de Cordier est de représenter les différents types humains (races à l’époque) : Africains, Orientaux, Asiatiques… La volonté scientifique de classer les êtres humains et de les répertorier. Mais l’Orient est une source parmi d’autres. Dans toutes les inspirations du Second Empire, il y a l’Orient mais aussi le Moyen Âge, l’Antiquité et puis ensuite le Japon – c’est le tout début de l’ouverture du Japon sur l’Occident. Et toutes ces sources sont parfois mélangées. On peut ainsi mêler l’Orient avec du néo-gothique par exemple !
Tous les arts sont évoqués dans votre exposition qui brille par cette effervescence. La photo y est aussi présente, parfois de manière amusante avec les clichés d’Olympe Aguado. Quelle place commence à prendre cet art nouveau dans la société du Second Empire ?
Le Second Empire est le premier âge d’or de la photographie en France. Elle est inventée en 1839 par Daguerre. Jusqu’en 1850, c’est l’ère du daguerréotype, une plaque de métal sensibilisée à la lumière. Il permet d’avoir une photographie en un seul exemplaire. L’arrivée du négatif dans les années 1850 est une révolution : on peut dès lors reproduire à volonté les photographies. Les progrès techniques réduisent de plus les temps de pause. Plus besoin de rester vingt secondes devant l’appareil pour obtenir sa photo ! Ces avancées permettent l’éclosion d’un âge d’or et d’une industrie de la photo. Nous voulions le montrer dans l’exposition notamment à travers le portrait qui connaît alors un boom phénoménal. La bourgeoisie qui n’a pas forcément les moyens de se payer un grand portrait sculpté ou peint va se saisir de cette nouvelle technique moins onéreuse. On a ainsi dans l’exposition des portraits bourgeois. C’est le développement de la photographie commerciale dominée par André Disdéri qui invente le portrait carte de visite très peu cher et accessible au plus grand nombre. À coté de cela il y a des amateurs comme Aguado qui vont se saisir de la photographie pour en faire de l’art avec des mises en scène théâtrales, des tableaux vivants… On imagine une nouvelle manière de se représenter par la photographie. C’est le moment où elle acquiert un nouveau statut et touche toutes les couches de la population. Sont ainsi présents dans l’exposition une génération de grands photographes : Pierson qui fait des photographies incroyables de la comtesse de Castiglione ; Nadar qui représente toutes les personnes du spectacle, acteurs, musiciens… Il y a ainsi une génération d’artistes qui souhaite faire de la photographie un art.
Vous vous intéressez aussi à l’effervescence des bals et des spectacles durant cette période. Peut-on dire que le pays bascule alors dans une forme de société du spectacle ?
C’est l’idée phare de cette exposition. Nous voulions partir de ce cliché sur le Second Empire : la fête impériale. Nous avons voulu vérifier sa réalité historique, c’est chose faite. La cour est très jeune et veut s’amuser, toute une nouvelle classe récemment enrichie souhaite participer à ces fêtes. Au même moment, Paris s’affirme comme une capitale du spectacle : de nouveaux théâtres éclosent, de nouveaux genres comme l’opérette émergent avec Offenbach en figure de proue. C’est aussi la naissance du café concert pour les catégories populaires. Cette fête se retrouve ainsi un peu partout. Cependant, nous ne voulions pas réutiliser ce terme de fête impériale qui est connoté. Nous lui avons préféré l’idée de spectacle qui est présente dans tous les domaines de la création. Cela nous est apparu comme l’un des aspects les plus modernes. Finalement, le Second Empire n’est pas si loin de nous.
Avec cette exposition, avez-vous voulu contribuer à une réhabilitation du Second Empire ?
L’idée de cette exposition vient de Guy Cogeval, président du musée, qui avait à cœur de faire une exposition sur le Second Empire avant la fin de son mandat à Orsay. Nous nous sommes lancé deux défis. Premièrement, avoir un regard dépassionné sur le régime et montrer son apport objectif sur les arts. Ensuite, réhabiliter le Second Empire d’un point de vue artistique, souligner que c’est une période passionnante, loin des pastiches et du mauvais goût qu’on lui attribue habituellement. C’est un moment décisif dans l’histoire de l’art !