Contre toute attente, Donald Trump vient de battre assez nettement la favorite démocrate Hillary Clinton. À l’issue d’une longue soirée et d’une nuit « à l’heure américaine », le prochain président vient d’être élu au grand dam des commentateurs qui espéraient le triomphe d’une « première femme ».
Comme au moment du « Brexit », où l’on a pu sereinement se coucher avec la certitude d’un Royaume-Uni bien européen et se réveiller avec la triste nouvelle d’une rébellion « anti-sondagière », l’impensable s’est produit. Le monde anglo-saxon est devenu ce pourvoyeur de surprises et de sensations fortes pour une France condamnée au consensus le plus austère et le plus prévisible. Tel l’enfant sage qui regarde par la fenêtre ses camarades gambader. Pas si sage puisque le spectre du Front national est régulièrement brandi. « La gauche est prévenue », a tonné le premier secrétaire du Parti socialiste, incapable de comprendre que si tournant il y a, il est précisément là : les populations ne veulent plus être prévenues.
Prévenus du danger que représente ce milliardaire grotesque, les Américains n’ont pas écouté. Car celui qui prévient n’est pas crédible. Une grande partie des observateurs obsédés par le sort des États-Unis a voulu croire qu’une femme expérimentée et bien installée dans le paysage politique américain devait constituer le rempart idéal à une bigoterie malpolie. La large victoire de Donald Trump aura fait mentir tout ce monde et des sondages (comme au moment du « Brexit ») visiblement mal accordés au réel.
Lui qui devait servir de faire-valoir à Clinton. Non, mieux qu’un faire-valoir, Trump était son blanchisseur : ses excès verbaux rendaient presque acceptables les frasques de son adversaire. Une belliciste tentée par toutes les guerres moyen-orientales possibles et imaginables, soutenue d’ailleurs par les architectes d’un messianisme destructeur : les néoconservateurs américains. Malgré lui, Trump a révélé une machine médiatique déconcertante qui a voulu faire passer le pire (la guerre, la mort) pour le « moindre mal » (voire l’espoir). Et quand le révélateur devient révélation, la machine s’adapte tant bien que mal.
Paradoxes politiques et ersatz identitaire
Du côté des thuriféraires du milliardaire (héritier), les excès sont d’un autre ordre : certains voient en lui – sans sourciller – le symbole du réveil populaire et de l’enracinement contre une élite mondialisée. Au-delà des sarcasmes que son parcours justifierait (un magnat de l’immobilier qui fustige la main d’œuvre étrangère), imaginer la rupture radicale s’apparente à une confiance exagérée dans l’autosuggestion. Son discours, s’il peut séduire à la fois économiquement (relance des investissements publics là où ses équivalents français promettent sottement du sang et des larmes) et en politique étrangère (désengagement), ressemble surtout à une série d’incantations contradictoires : qu’il s’agisse de certains dossiers internationaux (son présumé isolationnisme est peu compatible avec sa volonté de bousculer l’accord avec l’Iran ou sa promesse d’un soutien accru à Israël), des sujets dits « sociétaux » (entre ses convictions laïques et des proches attachés à la religion) ou encore de l’économie (entre volontarisme protectionniste et libéralisme). Rappelons aussi qu’il est difficile d’attendre une révolution copernicienne de la part d’une élite républicaine familière avec le pouvoir (citons, parmi ses proches, l’ancien maire de New York Rudy Giuliani).
L’une des analyses les plus intelligentes sur ce duel peu stimulant intellectuellement a été faite par l’Américain Walter Benn Michaels, dans un article intitulé « La race, le racisme et l’antiracisme sont essentiels au néolibéralisme »[1]. L’universitaire américain rappelle notamment que les questions identitaires sont davantage le moteur du néolibéralisme qu’une réponse à celui-ci. Trump et Clinton étaient exactement sur la même longueur d’onde sur cette question : le premier voulant rassurer les « petits blancs » (expression récurrente dans les commentaires français, popularisée par ce que la géographie française sait faire de pire), la seconde voulant faire du sexisme, du racisme et des droits des minorités sexuelles des priorités absolues. Lors d’un meeting, Clinton haranguait la foule dans ces termes : « Si nous démantelons demain les grandes banques […], est-ce que cela mettra fin au racisme ? Est-ce que cela mettra fin au sexisme ? Est-ce que cela mettra fin à la discrimination envers la communauté LGBT ? »[2]
L’ironie est aujourd’hui double. Au vote assimilé à un sursaut contre les méfaits de la mondialisation dans l’antre de la mondialisation s’ajoute le regard paternaliste et particulièrement arrogant (quasi-général en France) porté – par accident car qui pouvait l’imaginer ? – sur le nouveau président du foyer admis du paternalisme et de l’arrogance.
Notes :
[1] Walter Benn Michaels, « La race, le racisme et l’antiracisme sont essentiels au néolibéralisme », Le Monde, 29 juillet 2016. URL : http://www.lemonde.fr/festival/article/2016/07/29/la-race-le-racisme-et-l-antiracisme-sont-essentiels-au-neoliberalisme_4976081_4415198.html.
Pour les non-abonnés : http://blog.europa-museum.org/post/2016/08/09/La-race-le-racisme-et-l-antiracisme-sont-essentiels-au-neoliberalisme.
[2] Ibid.