[Ce récit est initialement paru dans la revue PHILITT #3 consacrée aux Illuminations du voyage.]
Sur les terres des légendes d’Homère, la mort des héros s’accompagne de signes célestes. Dans la petite ville grecque de Missolonghi, le 19 avril 1824, la foudre couvre d’un son assourdissant les derniers souffles de Lord Byron. Avec lui, l’espoir d’un peuple en lutte pour sa liberté est parti rejoindre les Champs élyséens. À L’annonce de cette fin tragique, l’Europe entière pleure le poète britannique dont les écrits, inspirés de ses voyages et de sa vie sulfureuse, animèrent les imaginaires et les rêveries du siècle.
Terrassé par la maladie à seulement 36 ans, son engagement pour la cause de l’indépendance grecque a scellé l’acte final de sa vie. Lord Byron s’éteint couronné par les lauriers de la gloire littéraire et guerrière. Suscitant le même engouement que les contes ossianiques, son œuvre poétique passionna ses contemporains et incarna avec superbe le romantisme britannique et l’orientalisme naissant. Sa renommée est née avec Le Pèlerinage de Childe Harold, poème en quatre chants qui, malgré le couvert de la fiction, exprime ses états d’âme au cours de son itinérance à travers l’Europe. La nature sauvage et les ruines de civilisations disparues y sont la source essentielle de l’expression d’une mélancolie exacerbée et de la création d’un décor littéraire à la fois fantasmé et mystérieux. Sa poésie est fondatrice pour la génération du « mal du siècle » pour laquelle le voyage devient une étape obligée de la vie artistique et de la quête de soi-même.
Ainsi se termine cette destinée baroque et nomade commencée dans les brumes d’Albion en 1788. Éduqué dans un austère collège d’Aberdeen, c’est à la lecture de l’Ancien Testament et des Mille et une nuits que s’inscrit dans le cœur de cet élève rêveur l’attrait pour l’Orient, la soif de l’exotisme et des amours romanesques. Le jeune homme, devenu lord par les hasards d’un héritage inespéré, ne trouvera cependant jamais sa place au sein d’une société anglaise trop opposée à son tempérament sulfureux. Son amour incestueux pour sa demi-sœur, ses attirances homosexuelles et sa vie sentimentale débridée le rendent en effet très vite scandaleux. L’étouffante pudibonderie de l’Angleterre prévictorienne le contraint à rechercher des terres plus bienveillantes envers ses mœurs et à même d’assouvir son désir d’ailleurs. C’est cette quête de liberté qui anime durant toute sa vie son âme vagabonde et son génie créatif. Entre 1809 et 1810, son premier voyage vers l’Orient le conduit du Portugal à Constantinople en passant par la Grèce et l’Albanie et lui inspire ses premiers chants poétiques.
D’Albion à Missolonghi
Lors de son retour en Angleterre, Byron reprend ses provocations. En 1812, il prend, lors d’un discours à la chambre des lords, la défense des ouvriers de Nottingham. Son intervention est marquée par les accents d’un socialisme pré-marxiste. À ces prises de position rebelles, s’ajoute l’expression de son admiration pour Napoléon, scandaleuse en pleine guerre franco-anglaise. En rupture de ban avec sa caste, mais déjà célébré et admiré pour son talent depuis la publication la même année des deux premiers chants de Childe Harold, il ne lui reste plus qu’à franchir la Manche pour reprendre le chemin de la liberté qu’il ne trouve que dans une vie itinérante. Cette condamnation sociale se retrouve chez tous les héros byroniens. Ce sont toujours des hommes proscrits ou en marge de la société. Le parallèle entre ces personnages et Byron s’impose de manière évidente : toute sa vie n’a été qu’une mise en scène afin de créer la confusion entre son œuvre et sa vie.
Le 24 avril 1816, il embarque à Douvres et ne reverra plus son pays. Ce départ lui inspire ces vers : « Alors il se lassa de sa terre natale, Et subit de l’ennui la tristesse fatale. » Une fois sur le continent, il part contempler le champ de bataille de Waterloo puis parcourt la vallée du Rhin dont la majesté sauvage lui inspire des chants aux accents panthéistes. Il découvre ensuite le charme serein des lacs suisses avec Shelley, l’autre génie de la poésie anglaise. Puis, il s’installe dans la péninsule italienne où les mœurs s’accordent aux siennes sur cette terre où nul n’est coupable de trop aimer. Ce séducteur insatiable trouve aussi dans la volupté des femmes de quoi rassasier sa soif constante d’aventures sentimentales.
Mais Byron se refuse à n’être qu’un versificateur, un poète dont l’égoïsme artistique n’envisage le monde qu’en simple miroir de son âme tourmentée. Pour lui, l’art doit se rapprocher de la vie. Aussi, son existence doit accéder à une dimension chevaleresque et héroïque afin de s’accorder à son œuvre poétique. Ainsi, de l’expression artistique d’une sensibilité individuelle absolue, il passe à l’engagement collectif et entre dans le combat politique. L’Italie, alors sous le joug autrichien, lui offre l’opportunité d’entrer dans l’action. Il y rejoint les rebelles carbonari dont l’insurrection échoue dans le sang. Changeant d’horizon, c’est finalement une autre cause, l’indépendance de la nation grecque, qui va le conduire irrémédiablement au dernier acte de sa vie. Il traverse l’Adriatique en 1823 pour participer à cette révolte contre l’Empire ottoman. L’homme épris de liberté ne pouvait que se porter vers la défense de ce peuple enchaîné dont il célébra l’antique grandeur dans ses poèmes. Pendant les quelques mois qui lui restent à vivre, Le poète devient un chef de guerre exalté par l’ultime défi de son existence. Il ne meurt pas les armes à la main mais emporté par une fièvre contractée sur le champ de bataille.
Dans le deuxième chant de Childe Harold, il écrivait : « Belle Grèce, triste relique d’une grandeur disparue, immortelle bien que tu ne sois plus… Qui va se mettre à la tête de tes enfants dispersés ? Qui te délivrera d’un esclavage auquel tu n’es que trop habituée ? Qui te réveillera dans ta tombe ? » Porté par une exigence intérieure nécessaire à l’accomplissement de son œuvre, Lord Byron a répondu à cet appel.