L’ancien président de la République nous a quittés. C’est l’occasion pour nous de revenir non pas sur son parcours politique, mais sur son rapport au monde.
Jacques Chirac a très souvent changé d’avis. Sa curiosité et son ambition en sont sans doute les principales raisons. Jeune homme, il aurait appris le russe au point de traduire Pouchkine. À la même époque, il va jusqu’à signer l’Appel de Stockholm – d’inspiration communiste – contre l’armement nucléaire. En 1952, ce sont les États-Unis et la Summer School de Harvard qui l’attirent. L’homme politique incontournable de la Ve République qu’il deviendra plus tard gardera une relation complexe avec ce pays.
Davantage pompidolien que gaulliste, Jacques Chirac commence sa carrière fulgurante en entrant au gouvernement en 1967. Il participe à divers gouvernements jusqu’en 1974, année où il devient le Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing qu’il a en grande partie fait gagner. Après la rupture entre les deux hommes en 1976, Chirac deviendra maire de Paris (1977), puis président de la République (1995).
Un cultivé honteux
Dans sa conquête du pouvoir, Jacques Chirac aimait donner l’impression que la culture l’intéressait peu. Certains témoins affirment qu’il dissimulait ses lectures érudites derrière les couvertures de magazines « populaires ». En marge d’un déjeuner à Bruxelles, alors qu’il était le Premier ministre de François Mitterrand (première cohabitation), interrogé sur sa date historique favorite (quelle drôle de question !), il aurait répondu « 1664, Kronenbourg ». Le futur président savait être facétieux.
Jacques Chirac ne voulait sans doute pas ressembler à son principal rival des années 1980, François Mitterrand. Pourtant, Chirac était bien un homme cultivé. Un amoureux de la culture russe, mais aussi des arts premiers auxquels il dédie le musée du Quai Branly qui porte désormais son nom. Le Jacques Chirac maire de Paris (1977-1995) aimait quant à lui s’entourer d’artistes populaires aussi différents que Georges Brassens et Johnny Hallyday.
Finalement, les goûts artistiques de Chirac étaient aussi éclectiques que ses partis pris politiques. Il aimait à la fois les arts africains, océaniens, asiatiques et Line Renaud. En politique, il pouvait défendre le libéralisme le plus débridé dans les années 1980 avant de se faire élire en 1995 en déplorant la « fracture sociale ». « Plus c’est gros, mieux ça passe », aimait-il dire.
À la fois russophile et américanophile
Des décennies après avoir traduit Pouchkine, une fois président de la République, Jacques Chirac agit en faveur d’un rapprochement franco-russe. Au moment de la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), il soutient son « ami » Boris Eltsine et prend garde à ne jamais se montrer humiliant ou condescendant avec cette Fédération de Russie naissante. Ses relations avec Vladimir Poutine seront tout aussi amicales.
S’il disait avoir oublié la langue russe, il parlait en revanche assez bien l’anglais. En dépit de plusieurs désaccords politiques, Jacques Chirac a connu une période très américaine : les années 1980. Il fait alors de Ronald Reagan un modèle, mais la ligne très libérale qu’il privilégie échoue et c’est en renonçant à ce libéralisme (dans le discours) qu’il devient président en 1995.
Chirac était un américanophile, mais pas un atlantiste. Sa politique étrangère était en partie fidèle à la ligne gaulliste de l’indépendance nationale. Comme le général de Gaulle, il n’hésite pas à se saisir de la question québécoise en manifestant un soutien prudent au camp souverainiste en plein référendum sur l’indépendance du Québec. Les partisans d’un Canada uni pouvaient compter sur Washington.
Il sera surtout pour toujours l’homme du « non » à la guerre en Irak en 2003, et donc l’homme du « non » à l’Amérique de George W. Bush. Mais dès 2004, Paris et Washington se rapprochent pour contrer la Syrie sur la scène libanaise. L’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri – un proche de Chirac – l’année suivante et la mise en cause de Damas les rapprocheront davantage.
Pusillanime sur l’Europe
Sur l’Europe, en revanche, il est difficile de parler de fidélité à l’égard du général de Gaulle. Comme sur tant d’autres sujets, il y a eu deux Jacques Chirac. Celui de « l’Appel de Cochin » (rejet de l’Europe fédérale et du « parti de l’étranger » depuis l’hôpital Cochin, à Paris) en 1978, largement inspiré par le tandem Pierre Juillet-Marie-France Garaud, et celui qui applaudit l’Acte unique européen en 1986 et qui demeurera – une fois débarrassé de Juillet et de Garaud – très attaché à la construction européenne. Comme s’il ne pouvait concevoir sa victoire sans la posture du bon « Européen ».
En 1992, lors du référendum sur le traité de Maastricht, Chirac est à la tête d’un parti (le Rassemblement pour la République [RPR]) profondément divisé. La courte victoire du « oui » le conforte, mais l’euroscepticisme demeurera fort et viendra fragiliser sa présidence en 2005, quand le « non » l’emportera au moment du référendum sur le Traité constitutionnel européen.
L’ami du monde arabe
Pour beaucoup d’observateurs de la politique étrangère française, Jacques Chirac est le dernier président à s’être véritablement intéressé au monde arabe dans sa diversité (pas seulement les monarchies du Golfe). Comme sous le général de Gaulle, on parlait encore sous Chirac d’une « politique arabe », à savoir d’une volonté d’apparaître comme un partenaire privilégié pour les différents pays du monde arabe.
Après avoir été le Premier ministre du rapprochement franco-irakien et de la coopération franco-irakienne dans le domaine du nucléaire, au grand dam des Israéliens, Chirac se montre prudent dans ses discours dans les années 1980. Il se montre même un temps hostile à l’existence d’un État palestinien. Là encore, il n’y a pas qu’un seul Chirac.
Une fois président, Chirac se rapproche de Yasser Arafat et des Palestiniens. En octobre 1996, son exaspération face aux hommes de la sécurité israélienne à Jérusalem fera le tour du monde. Il est alors perçu comme le grand ami des Palestiniens. Les critiques répétées à l’encontre d’Israël et sa fermeté sur le dossier irakien expliquent sa très grande popularité dans le monde arabe. Il bénéficiera d’un accueil triomphal en Algérie en 2003. La fin de sa présidence sera toutefois marquée par un réchauffement des relations avec les Américains et les Israéliens.
En définitive, on n’aime pas tant Chirac pour ce qu’il a été que pour ce qu’il a représenté. Cet homme goguenard, facétieux, bon vivant incarnait assez bien son pays. Il a eu le mérite de préserver sa réputation dans le monde et on ne peut pas toujours en dire autant de ses successeurs.
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