Au pays des rêves noirs, publié par les éditions des Équateurs, est le premier roman de Félix Macherez. Fasciné par Antonin Artaud, le jeune écrivain évoque son voyage au Mexique chez le peuple Maharashtra, au sein duquel le célèbre dramaturge connut une expérience mystique qui le bouleversa.
Beaucoup partageront avec Félix Macherez son constat désabusé sur la laideur de notre époque. D’aucuns comprendront aussi son désir de fuite, son écœurement face à un monde mouvant et sans repères, dans lequel le sacré et les dieux ont disparu, son refus de l’idée d’une modernité radieuse et de son insolente rationalité, celle que défendent avec enthousiasme Jacques Attali et Laurent Alexandre. « L’évolution du monde, c’est l’anéantissement du mien », écrit ainsi le jeune écrivain, ancien journaliste pour le très peu conservateur Vice Magazine. Incontestablement, Félix Macherez a changé depuis le temps où il grattait du papier pour ce média qui s’intéresse plus aux corps, et à ce qui se trouve en-dessous de la ceinture, qu’aux âmes. « J’arrive d’un pays où les âmes se comptent en solitudes additionnées. Où être ne console plus à exister. Où la vie est un ersatz », ajoute-t-il avec un talent certain pour la « punchline » comme on l’écrit chez Vice.
Où retrouver du sens dans le désert contemporain ? Où étancher sa soif au cœur des espaces arides de nos villes ? Des questions auxquelles tente de répondre l’auteur au cours d’un voyage voulu comme une quête initiatique afin d’échapper à l’enfermement d’une vie parisienne. Cette quête d’absolu, il choisit de la mener au Mexique, sur la terre du peuple Tarahumaras. C’est dans cette région isolée, aujourd’hui ravagée par les cartels et la misère, qu’Antonin Artaud – que l’auteur considère comme son maître – partit en 1936 vivre une expérience mystique, quand son génie étouffa au sein de la vieille Europe. Expérience mystérieuse au sein d’un peuple encore animé par ses traditions ancestrales, le dramaturge écrira qu’il est « venu au Mexique pour chercher une nouvelle idée de l’homme » à un moment charnière de sa vie, alors qu’il vient de rompre avec le mouvement surréaliste et avant une période de sept années d’internement dans divers asiles psychiatriques. L’homme, soumis à la drogue et aux multiples névroses, chercha alors à fuir la rationalité en entrant en contact avec une culture où le surnaturel et le merveilleux sont encore au cœur des rapports sociaux. Dans une lettre, il écrivit sur cette expérience : « Je suis venu sur la terre du Mexique chercher les bases d’une culture magique qui peut encore jaillir des forces du sol indien. »
La déchéance des Tarahumaras
Macherez arrive au Mexique pour mettre ses pas dans ceux d’Artaud, avec l’idée de revivre les expériences mystiques qui bouleversèrent en son temps le poète. Hélas, les ravages du temps et la modernité ont gangrené la région, devenue une vaste étendue sans horizon. La misère et la violence n’offrent plus d’avenir à ce peuple dont le passé s’estompe. Ce sont désormais des Indiens coupés des traditions qui animaient encore leurs ancêtres il y a près d’un siècle quand Artaud partagea avec eux certains de leurs rites. C’est dans la description de la déchéance de cette région que le livre est le plus convaincant. On y lit un constat sinistre et presque naturaliste de ses habitants, sur lesquels pèse la présence toujours menaçante des cartels. C’est un peuple aux aguets avec lequel la communication est difficile et les relations souvent faussées par l’argent. Les villes et la frontière américaine sont les seuls rêves offerts à la jeunesse. On se désole avec l’écrivain de cette extinction qui n’empêche cependant pas l’humour sur ce pays où on est passé, selon lui, du « Père-Soleil et de la Terre-Mère au Père-Schnouff et à la Terre-Monnaie ».
Le récit que nous livre Macherez est désabusé, reflet d’un pays où l’espoir a disparu et où les traces de ce que vécut Artaud demeurent insaisissables. Un Artaud, malheureusement, qui reste jusqu’au bout lui aussi insaisissable pour le lecteur. Celui-ci n’apprend rien ou presque sur l’homme ainsi que sur les raisons de la fascination qu’il exerce sur Macherez. À moins que ce dernier ne soit réellement fasciné que par lui-même tant tout lui paraît justifier l’introspection. On se lasse des multiples évocations de ses états d’âme. Jamais celui-ci n’arrive à percer le mystère Artaud ni à éclairer l’opacité de sa vie. Ajoutons que le récit se fait trop souvent bavard et accumule les réflexions parfois naïves, même si certains de ses constats antimodernes ne manquent pas d’une fulgurante pertinence comme celui-ci : « Y a–t-il quelque chose de plus révolutionnaire de nos jours que de vivre loin du monde, de croire en Dieu, au sacré et à l’impossible ? »
Un moment hébergé par un vieux prêtre dans un presbytère, il vit dans la promiscuité avec cet homme qui perpétue, non pas la magie indienne, mais les rites de l’Église et la lumière de la foi. C’est un îlot illuminant la noirceur de cette région qui vit à l’abri des maux contemporains. Peu à peu, au contact du prêtre, l’auteur semble se délester de ses doutes sur le catholicisme : « Produit de mon éducation, j’ai toujours trouvé que dans la religion, la forme l’emportait sur le contenu », écrit-il avant cette expérience, qui mène ainsi jusqu’à une conversion aussi soudaine que celle de Claudel, non pas près d’un des piliers du chœur de Notre-Dame-de-Paris, mais dans la chaleur moite de cette petite église perdue dans le désert. Cette domination de la forme sur le contenu est une critique que l’on pourrait émettre également à propos de l’écriture de Macherez. Celui-ci accumule les formules esthétisantes mais trop souvent creuses. Il reste ainsi malheureusement à la surface de cette aventure à laquelle il souhaite, au fil des pages, donner une dimension spirituelle, et dont pourtant la grâce et le divin restent désespérément absents. Cette conversion laisse ainsi dubitatif quand, fraîchement baptisé, l’auteur affirme : « Le catholicisme comme échappatoire à ce branlage négatif. » Ce court extrait est symbolique de l’ensemble du livre, où toutes les grandeurs et les misères du monde sont dominées par l’égo de Félix Macherez, qui peine à s’élever malgré les nobles sujets de son ténébreux récit de voyage.
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