Dans les définitions de la res cogitans, que Descartes propose dans les Méditations métaphysiques, est révélé un ego cogito capable de cogiter de plusieurs manières. L’ego doute, entend, veut (ou ne veut pas), imagine et sent. Dans la Méditation II : « Mais qu’est donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. » (Cf. AT VII, 28, 20-23). Dans la Méditation III : « Je suis une chose qui pense, c’est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. » (Cf. 34, 18-21). La définition de l’ego cogito semble donc conditionné par un certain nombre de fonctions. L’ego cartésien est, en tant qu’il est capable d’actualiser au moins un de ces modes, bien qu’il soit potentiellement capable de tous les réaliser. Cependant, si l’existence de l’ego est aussi bien performée par un ego qui doute que par un ego qui imagine, on peut tout de même se demander si un des modes de la cogitatio relève d’une pensée qui soit plus fondamentalement de la pensée que les autres, si une hiérarchie au sein de ces modes est possible, ou bien si l’ego cartésien est irréductiblement neutre et que tout privilège accordé que ce soit quantitativement (un mode de pensée comme plus intrinsèquement pensée), épistémologiquement (un statut particulier du point de vue de la méthode et de la théorie de la connaissance) ou encore ontiquement (un mode qui soit essentiellement plus fondamental que les autres qui ne feraient qu’en dériver) à l’une ou l’autre de ses fonctions aboutit à une considération faussée de l’ego cogito.
Nous étudierons, dans un premier temps le point de vue de la tradition interprétative de Descartes qui semble accorder un privilège à l’entendement. Il s’agira également de montrer les limites d’une telle position. Nous dirons ensuite en quoi la juste interprétation de l’ego cogito semble devoir se limiter à la stricte équivalence de ses modes. Ensuite nous soulignerons le statut particulier (ce qui ne veut pas dire privilégier) de la modalité de la volonté. Finalement, nous achèverons notre devoir en développant l’interprétation contemporaine de JL. Marion sur l’ego cogito en tant qu’ego senties en passant par la mise en lumière du concept de chaire obscurci par les commentateurs antérieurs.
I)
La tradition interprétative de Descartes semble se décider pour l’entendement. Nous nous demanderons si cette prise de position est légitime, ou si c’est un autre mode qu’il faut mettre en avant. La troisième posture possible consistera à soutenir que tout primat accordé à un des modes de la pensée est une erreur et que la juste compréhension de la res cogitans réside dans une interprétation neutre de ses différentes déclinaisons. Qu’en est-il de l’entendement ?
Aux yeux de Martial Guéroult (Cf. : Descartes selon l’ordre des raisons, chap. I), il y a chez Descartes une double exigence. La première est philosophique, il faut chercher les limites de notre intelligence. La seconde est d’ordre méthodologique, il est nécessaire de douter préalablement de tout, mais de ne pas douter de notre propre intelligence. Il y aurait donc une faculté dont il n’est pas permis de douter, c’est l’entendement. Pour Gueroult, l’indubitable, c’est l’intellectus, car sans lui, il serait impossible de réguler le doute. Ce serait, en plus d’un doute hyperbolique, un doute fou, indissoluble, car ayant renoncé à la condition de possibilité de son affranchissement. La thèse de Gueroult est, à proprement parler, intellectualiste. Elle voit, dans ce mode particulier de la cogitatio qu’est l’intellectus, une fonction reine qui viendrait donner à toutes les autres un maître étalon.
Qu‘en est-il de Descartes lui-même ? Quelle position soutient-il dans les Méditations ? Le passage qui permettrait de se décider pour un éventuel primat de l‘entendement est en soi problématique : « Je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison. » (27, 13-14).Y-a-t-il une équivalence stricte entre esprit (mens), entendement (intellectus) et raison (ratio) ? Peut-on assimiler la res cogitans à l’intellectus, c’est-à-dire à une fonction unique ? Cela semble tout à fait discutable. Pourquoi Descartes aurait-il alors consacré quatre méditations sur six aux autres modes ? Si deux méditations sur six portent sur l’entendement, cela ne nous permet pas de nous décider pour un éventuel primat de celui-ci En effet, s’il est peut être plus complexe et nécessite un développement plus long, cela ne veut pas dire pour autant qu’il soit plus essentiel. Il est possible que le doute soit autant de la pensée que l’entendement.
Descartes, quand il évoque « esprit », « entendement » et « raison », veut mettre en avant la difficulté d’une terminologie stricte. Il s’agit peut être de critiquer, ou du moins, de mettre en avant les insuffisances des concepts traditionnels (en l’occurrence scolastique) pour exprimer ce que je suis fondamentalement, c’est-à-dire une res cogitans (plus qu’un simple esprit, entendement ou raison).
A ce niveau là des Méditations, Descartes admet, de par la terminologie même du concept de res cogitans, de la difficulté de son entreprise et de l’exigence de définition. Descartes dit je suis une chose qui pense. C’est bien le terme de chose (res), concept intrinsèquement indéterminé qui met le doigt sur l’impossibilité d’une définition claire et distincte de ce que je suis. Si je suis une chose qui pense, quelle est donc la nature de cette chose qui a pour fonction de penser ? Descartes semble donner une définition seulement fonctionnelle de l’ego. Le contenu de la définition est dans l’acte de la chose qui, elle, n’est pas définie.
Dans les règles pour la direction de l’esprit, Descartes semble mettre en avant l’entendement parmi les facultés de l’ego. Selon JL. Marion (Cf. : Notes sur les modalités de l‘ego in Chemins de Descartes, p.86), il dégagerait seulement une priorité épistémique, c’est-à-dire dans le déploiement de la connaissance et non un primat ontique que pourrait exiger les Méditations. Dans les Règles, l’entendement serait un premier principe, mais seulement d’ordre transcendantal et théorique, mais donc l’existence réelle ne peut être affirmée. : « Aucune connaissance ne peut précéder celle de l’entendement, puisque c’est de lui que dépend la connaissance de tout le reste, et non inversement. » (Cf. X, 395, 22-24). La priorité de l’intellectus n’est donc pas essentielle, mais seulement relative à la méthode de Descartes.
II)
Peut-on donc postuler un statut particulier d’un des modes de la cogitation ? Il semble difficile de l’affirmer. En effet, quand Descartes définit l’ego cogito, il semble le présenter comme irréductible à la pluralité de ses modes. Chaque mode de la cogitatio en vaut un autre en tant qu’il permet à l’ego d’exister. L’entendement n’est en rien un meilleur moyen de performer l’existence de l’ego que le doute ou une autre fonction. « L’indifférence de ce que performe le performatif permet donc à l’ego de résulter de n’importe quelle pensée, pourvu qu’elle se pense de fait. C’est pourquoi même la pensée qui ne sait pas certainement ce qu’elle pense ou ne sait pas si ce qu’elle pense est vrai (ou non) peut parvenir à performer son existence ; ainsi même le doute suffit à établir l’existence de l’ego (…) » (Cf. JL. Marion, Notes sur les modalités de l’ego in Chemins de Descartes, p. 87). Si le critère décisif pour discriminer les modes de la cogitatio est l’efficacité pour rendre compte de l’existence de l’ego, alors il est impossible de trancher en faveur de l’une ou de l’autre. En effet, que l’ego soit un ego intelligens, un ego dubitans, ou encore un ego imaginans, l’existence de ce même ego est performée de manière égale. Je ne suis pas plus en tant qu’ego intelligens qu’en tant qu’ego senties, il n’y a pas de différence quantitative (et encore moins qualitative). Nous verrons d’ailleurs à la fin de notre étude que, bien que la tradition interprétative ait érigée l’intellectus en paradigme de la cogitatio, une posture symétrique peut être adoptée, c’est-à-dire envisager le sentir comme la faculté la plus intrinsèquement liée à la pensée, en tant que se sentir.
De plus, si on se penche sur d’autres œuvres de Descartes, on se rend compte qu’il existe une forme singulière du cogito pour chacun de ses modes. En effet, dans la Recherche de la vérité, Descartes formule un dubito, ergo sum. Le cogito de l’intellectus est explicitement formulé dans la deuxième méditation. Le cogito de la volonté prend la forme de la générosité dans la quatrième méditation. Le cogito de l’imagination peut être ramenée à l‘interprétation heideggérienne du cogito comme représentation. En effet, pour Descartes, le terme de représentation correspond à une image mentale, « regarder comme présents avec les yeux de mon esprit. » (Cf. : VII, 72, 15), ce qui la distingue de la seule conception. Dans la sixième méditation, le cogito du sentir passe par l’épreuve de la douleur en tant que cogito de l’auto-affection, de la chair.
Considéré ainsi, l’ego cogito ne semble pas pouvoir être appréhendé à travers le primat d’un de ses modes, mais se voit ramené à l’équivalence fondamentale de ses différentes déclinaisons. L’ego cartésien en tant qu’il a pour fonction de cogiter, cogite originellement selon une pluralité qui ne peut être dissoute. Cogiter, pour Descartes ne signifie donc pas d’abord, comme le pensait Gueroult, entendre, au sens de concevoir. Cogiter, c’est admettre un éventail de possibilités. Cependant, il semblerait qu’un des modes de la cogitatio, à savoir la volonté, nécessite un traitement particulier, du fait de sa redondance dans la définition et de son statut problématique.
III)
Dans les Méditations, et plus particulièrement dans les deux définitions canoniques de la res cogitans, la formule pour exprimer l’acte du vouloir est redoublé : « qui affirme qui nie, qui veut, qui ne veut pas… ». Comme le souligne JL. Marion dans son article déjà cité plus haut, la forme même de l’expression du mode de cogitatio qu’est la volonté suscite des interrogations. Pourquoi ce redoublement? Question strictement formelle qui peut être dissoute en rappelant le fait que la volonté implique un décision, qu’elle peut aussi bien être « nolonté », c’est-à-dire une volonté qui ne veut pas. L’autre question apparaît plus fondamentale et d’autant plus problématique. La décision, la volonté, relève-t-elle en tant que telle de la pensée ? Descartes dans la Lettre à Mersenne du 28 janvier 1641 semble donner son avis sur la question : « nous ne saurions rien vouloir sans savoir que nous le voulons, ni le savoir par une idée. ». La volonté présuppose donc la pensée, mais cela ne veut pas dire que la volonté soit intrinsèquement de la pensée. Une question mérite tout de même d’être posée : Dois-je vouloir penser avant de penser ? Ou bien l’acte même de la pensée est-il indépendant de la volonté ? La question est ouverte.
JL. Marion s’attache également à montrer le statut, si ce n’est privilégier, du moins particulier de la modalité de la volonté dans l’entreprise même de l’instauration du doute méthodique, universelle, radical, hyperbolique et provisoire. En effet, pour instaurer le doute, il faut l’avoir décidé et donc voulu : « n‘échappe au doute que la modalité de la res cogitans qui le rend possible en le décidant – en le décidant – c’est-à-dire par un choix, donc un acte du libre arbitre, donc une libre volonté. » Plus d’ailleurs que le doute, la modalité de la volonté conditionne aussi l’épreuve du malin génie. « j’emploie tous mes soins à me tromper moi-même, feignant que toutes ces pensées soient fausses et imaginaires », le latin est plus explicite « voluntas plane in contrarium versa » (Cf.: VII, 22, 13). De plus, la modalité de la volonté semble être la plus formelle car potentiellement infinie. L’existence de l’ego cartésien passe par la reconnaissance de sa finitude. Cette finitude n’est pensable qu’en étant confrontée à l’infini. C’est sous la forme du manque que l’infini se manifeste à moi. Le problème est très bien exposé par JL. Marion dans son article : « Mais justement, comment l’infini peut-il m’affecter s’il me manque ? Faudrait-il admettre que le manque lui-même atteste l’infini en moi ? C’est ici qu’intervient la volonté, réponse réelle et non plus seulement formelle à la figure du cogito perçu simultanément avec l’idée d’infini. »
Alors, comment comprendre l‘affirmation de Descartes dans la médiation quatrième : « car la lumière naturelle nous enseigne que la connaissance de l’entendement doit toujours précéder la détermination de la volonté. » (Cf. : VII, 60, 3-5) ? Ici, Descartes thématise l’usage légitime du libre arbitre. Il ne s’agit pas ici de la volonté brute, sans contenu, mais d’une volonté qui tend à être bonne. Cette volonté qui veut être bonne doit être donc appuyée par une connaissance issue de l’entendement. Cependant, cette volonté bonne conditionnée par l’entendement doit elle-même être voulue. Vouloir faire un usage légitime de sa volonté, c’est déjà présupposer un choix, choix qui provient de l’autodétermination d’une volonté brute et infinie; et c’est cette volonté là qui nous rapproche de notre créateur. Idée que l’on retrouve développée dans la lettre à Mersenne du 25 décembre 1639 (Cf. : II, 628, 6-9) : « C’est principalement à cause de cette volonté infinie qui est en nous, qu’on peut dire qu’il nous a créés à son image. ». C’est bien parce que la volonté, en tant que faculté seulement formelle, n’a pas encore décidé et conserve sa figure alternative, « volens, nolens » que l’on peut dire que l’homme est capable d’éprouver l’infini en lui.
Plus encore que la volonté, le mode du sentir mérite qu’on s’attarde sur son cas. Il s’agira de comprendre les implications du postulat du « je pense » en tant que « je (me) sens ».
IV)
La tradition interprétative de Descartes a délaissée un aspect de sa doctrine. Il semblerait que le concept de corps soit double chez Descartes, qu’il y ait d’un côté, les corps (habeam corpus), au sens des corps physiques extérieures et, de l’autre, mon corps auquel mon âme est intimement liée, ma chair (corpus meum). Cet aspect sous commenté de la philosophie de Descartes se révèle décisif dans la compréhension de l’union de l’âme et du corps. Comprendre l’union de l’âme et du corps c’est passer par la juste considération de la distinction entre les corps et mon corps et, comprendre l’ego cogito en tant qu’ego senties, c’est se pencher sur le concept de chair. Ce qui distingue effectivement les corps de mon corps propre, c’est que les premiers affectent le second. La chair, c’est cette portion de la matière qui, quand elle est touchée, le ressent. L’ego senties doit être envisagé, non pas en tant qu’il sent, mais en tant qu’il se sent lui-même sentant les autres corps. « Mais l’on me dira que ces apparences sont fausses et que je dors. Qu’il soit ainsi; toutefois, à tout le moins, il est très certain qu’il me semble que je vois, que j’ouïs, et que je m’échauffe; et c’est proprement ce qui en moi s’appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n’est rien autre chose que penser. » (Cf. : VII, 29, 16-18).
En quoi se sentir soi même peut-il être un mode privilégié de la cogitatio? Le sentir quelque chose peut être faux, mais le sentir du sentir est toujours vrai. Sentir, c’est penser et penser c’est d’abord sentir. C’est une idée que l’on retrouve également développée dans les Principes de la philosophie (I, §9). Ce que je sens est beaucoup plus en moi que ce que je veux ou que j’imagine. Ce n’est pas parce que je marche que je suis, mais parce que je suis certain que je marche que je suis. Comment en suis-je certain? Parce que je le pense ou parce que je le sens nous dit Descartes. Les animaux voient, mais ils ne pensent pas qu’ils voient. Etre conscient, c’est éprouver, s‘éprouver soi même. Penser, c’est sentir, au sens de se sentir. Le sentir, c’est le privilège de la cogitatio humaine (en opposition aux animaux et aux anges). Paradoxalement, penser le cogito, ce n’est pas se le représenter. Ce qui fait la vérité du cogito, c’est le se sentir. La cogitatio elle-même suppose un sentir originel. Le cogito est une affaire de sentir. Le cogito se sent parce que la chair se pense. Je suis en tant que je me sens. L’indubitable du cogito, ce n’est pas la cogitatio se redoublant en tant que telle, mais la cogitatio se sentant elle-même, c’est-à-dire sortant du domaine de la représentation. Une pensée de n’importe quoi est toujours un sentir de soi. La cogitatio est certaine en tant qu’elle est finie. La cogitatio ne peut rien en dehors de limites du sentir.
De plus, ce qui fait la force de l’ego cogito en tant que qu’ego senties, c’est qu’il confère au monde, à travers l’épreuve de la douleur, une preuve tangible de sa propre existence. En fait, le monde n’est pas en tant qu’il peut être touché, mais en tant qu’il me touche, qu’il m’affecte, qu’il me fait mal. C’est bien parce que je me sens moi-même dans l’expérience de la souffrance que je peux conclure de l’existence réelle du monde en dehors de moi. L’ego qui se sent lui-même dépasse le stade de la représentation et annule l’écart que celle-ci creuse habituellement entre le sujet et son objet. L’expérience de la douleur, par qu’elle est sans médiation, me permet d’un côté de me sentir existant de manière immanente, et, d’un autre côté, d’envisager le monde comme réellement réel, c’est-à-dire indépendamment de ma représentation. Quand je souffre, je ne me représente pas moi-même comme souffrant, mais je vis cette souffrance sans l’intellectualiser. Je pense en tant que je me sens.
Il semble donc que les points de vue diffèrent sur la question avec plus ou moins de légitimité. Si les définitions de la res cogitans nous présente un ego capable de se décliner selon un certain nombre de fonctions, il n’y apparaît explicitement de primat affiché. Les deux définitions annoncent avec neutralité la structure des Méditations métaphysiques : la première médiation portera sur le doute, les deux suivantes sur l’entendement, la quatrième sur la volonté, la cinquième sur l’imagination, la dernière, quant à elle, thématisera le sentir. Si la tradition interprétative de Descartes a vu dans l’entendement un mode privilégié de la pensée, notamment Martial Gueroult dans Descartes selon l’ordre des raisons, on est en droit de penser que cette prise de position est problématique et profondément réductrice, car l’ego cogito se définit fondamentalement par une pluralité de modes, et reléguer un ou plusieurs de ces modes c’est déformer l’essence même de l’ego. Cependant, si l’entreprise de fondation d’une hiérarchie est en soi illégitime, on peut tout de même constater des différences au sein des fonctions de l’ego. Nous avons donc vu que l’entendement pouvait s’octroyer un statut particulier au niveau de la théorie de la connaissance, en tant que condition de possibilité de celle-ci. Le doute, quant à lui, semble être la fonction la plus apte à conditionner une méthode pour la pensée. La volonté, de son côté, est le mode qui nous met en relation avec l’idée d’infini, car tant que je n’ai pas voulu effectivement, je peux vouloir infiniment. L’imagination est le mode qui se charge de la représentation, grâce à elle je peux forger des images mentales. Le sentir, en tant que se sentir, possède une double fonction ; premièrement, il témoigne de la réalité du monde hors de moi et, deuxièmement, il est ce repère, toujours vrai, de l’ego dans son appréhension du monde. Si les idées que j’ai sont fausses, le fait que j’ai ces idées est indubitable. Même si je suis dans la plus totale illusion, je suis toujours sur d’être, au moins en tant que victime de cette illusion. Le contenu du se sentir peut être faux, la pensée fausse que j’ai de moi sentant ne peut être discutée. Le se sentir est une pensée de moi-même qui fait l’économie de la représentation, c’est une pensée qui n’a pas besoin du concept, c’est une pensée de la chair, de l’expérience réelle de l’âme et du corps. Le primat des modalités de l’ego est donc toujours relatif à la tâche qu’il s’incombe. L’existence de l’ego n’est jamais amoindrie de par le mode qui l’envisage. L’être de l’ego ne dépend pas de l’application d’une de ses fonctions. Cependant, les modes de l’ego nous proposent un rapport au monde différent. Bien que j’existe toujours autant, que je produise toujours des pensées, le rapport de ces pensées avec les objets possibles varie. Je n’envisage pas de la même manière le même objet selon que j’applique l’un ou l’autre de mes fonctions. L’objet est conceptualisé ou jugé avec l’entendement, remis en question avec le doute, voulu ou non avec la volonté, représenté sous forme d’image mentale avec l’imagination, et éprouvé avec le sentir.
M.