Depuis près de 30 ans, Emmanuel de Waresquiel trace son sillon d’historien incontournable avec des ouvrages remarquables, mélange d’érudition et d’élégance littéraire. Biographe du vice et du crime avec Talleyrand et Fouché, tortueuses figures de la période révolutionnaire et impériale, il a consacré par la suite de nombreux livres à la Restauration. Avec Juger la reine, il s’est donné le défi, cette fois, d’extraire du silence de l’histoire le procès de Marie-Antoinette.
Trois jours de parodie judiciaire pour une reine condamnée à l’avance. Voilà un des crimes sur lequel notre république a posé ses fondations. Nul besoin d’avoir le cœur monarchiste pour constater que les premières pierres de notre république furent éclaboussées du sang d’innocents. Les rives de la Loire ou les rues de Lyon où officièrent Carrier et Fouché, pour ne citer qu’eux, en ont été les témoins impassibles. Alors que notre époque sanctifie des valeurs républicaines auxquelles elle prête toutes les vertus, alors que nos responsables politiques les convoquent de manière incantatoire, il est bon de rappeler certaines vérités. Si de nombreux ouvrages ont été écrits sur Marie-Antoinette, aucun ne s’était jusqu’alors centré exclusivement sur son procès. Par l’étude d’archives inédites, l’ambition de Waresquiel est donc de dissiper le brouillard qui voile cette procédure expéditive conduisant à la mort de la veuve Capet, comme l’appelèrent avec raffinement ses juges.
Ce procès débute en octobre 1793, près de huit mois après l’exécution de Louis XVI, place de la Révolution, actuelle place de la Concorde. Longtemps, les autorités de la république ont gardé la reine comme monnaie d’échange potentielle avec les puissances européennes en guerre contre la France. Face à l’échec des négociations, Marie-Antoinette perd son dernier espoir et la Convention décide de la livrer au tribunal. Le rideau peut s’ouvrir sur ce drame. Une pièce à l’unité de lieu, de temps et d’action, chère au théâtre classique. C’est une catharsis nationale qui commence alors après des années d’exécration populaire. Avec le procès de Marie-Antoinette, c’est l’Ancien Régime qui est sur la sellette. La jeune femme représente pour la nouvelle république l’ancien monde exécré comme l’écrit l’auteur : « On flaire, derrière toutes ces attaques, une qualité de haine qu’on ne retrouve pas contre le roi. Louis XVI n’avait que le tort d’incarner la monarchie, la reine en personnifie le crime. »
Une odieuse justice
On l’oublie parfois, c’est aussi le procès des femmes qui se joue alors. L’ancienne monarchie était accusée d’être dominée par la gent féminine, ce qui fera même dire à l’ambassadeur américain : « Nous sommes au pays de la femme. » La Révolution développe en effet une misogynie presque institutionnelle et met en avant les valeurs viriles pour juger, au travers de la reine, le rôle politique des femmes sous l’Ancien Régime. Mais, c’est aussi un procédé de subversion sociale dans lequel rien ne sera épargné à Marie-Antoinette. La déchéance de cette femme honnie doit ainsi être la preuve du remplacement de souveraineté : le peuple parle maintenant d’égal à égal avec l’ancienne souveraine. Or, lors de cette humiliante procédure, la jeune femme autrefois insouciante a su s’élever en dignité pour affronter un procès inique.
Car si la révolution peut prendre les atours flamboyants du soldat de l’an II ou de Danton appelant, avec sa faconde légendaire, la Convention à l’audace, elle peut prendre aussi parfois ceux, beaucoup moins séduisants, de Hébert qui avec sa coutumière grossièreté accuse la reine d’inceste sur son propre fils. Elle prend aussi l’aspect hirsute et brutal du geôlier Simon chargé de rééduquer le dauphin que l’on vient d’arracher à sa mère. Elle prend encore l’aspect impitoyable du sinistre Fouquier-Tinville, accusateur public du Tribunal révolutionnaire, la bouche éructant des propos haineux issus d’un dossier d’accusation monté de toutes pièces. Elle prend l’aspect de cette odieuse procession où l’ancienne reine est installée dos au sens de la marche dans une charrette la conduisant sur le lieu de son exécution sous les crachats et les insultes de la foule et des sinistres tricoteuses… Marc Bloch, dans un écrit célèbre formulait cette vérité : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. » Dans le même esprit, on pourrait ajouter qu’on ne peut comprendre l’histoire de France sans éprouver de la compassion face à la mort de Marie-Antoinette.
Contrairement au juge du tribunal Martial Herman, Emmanuel de Waresquiel, ce « dévoreur d’archives », selon son éditeur, juge à charge et à décharge afin d’autopsier minutieusement ce moment exceptionnel d’histoire. Mais autour de cette autopsie à la rigueur toute scientifique, l’historien crée une œuvre littéraire et sait donner à son récit les couleurs réalistes, mais si ternes, de la Conciergerie où fut jugée la reine. Plus loin, pour atteindre l’intimité des acteurs autour desquels la mort rôde – la plupart sont appelés à être exécutés dans les mois qui suivent –, son écriture se fait compassionnelle et ce sont peut-être ces basculements de point de vue qui font de ce livre l’œuvre la plus personnelle et la plus poignante de son auteur.