George Romero est mort le 16 juillet 2017, dans son sommeil, des suites d’un cancer foudroyant.
Cette mort a peiné, bien évidemment, elle a aussi surpris, d’autant que le réalisateur avait annoncé, il y a peu, un nouveau projet, Road of the Dead qui se voulait une sorte de Fast and Furious avec des zombies. Aussitôt, un concert de louanges a retenti répétant, inlassablement, les mêmes lieux communs, dont le principal est celui d’un Romero qui serait, sinon l’inventeur du film de zombies, du moins, selon les mieux informés, celui qui a donné un nouvel essor au genre en le traitant d’une façon originale et en démontrant qu’au-delà du simple divertissement, il pouvait dire quelque chose du monde qui était le nôtre.
Cependant, sa carrière ne se résume ni aux films de zombies ni même aux films d’horreur, lui-même craignant d’ailleurs, à raison, d’être réduit à cela. De fait, il a surtout réalisé des films de ce genre, car c’est ce que les producteurs attendaient de lui. Il se plaignait même de devoir, parfois, promettre de verser quelques litres de sang à l’écran pour obtenir des financements… Mais certains de ses films, y compris quelques-uns de ceux que l’on rattache à l’horreur, échappent à ce genre et au cinéma de genre pour être des œuvres cinématographiques à part entière.
Reste que Romero est surtout connu pour Night of the Living Dead (1968), son premier film, et ses suites, c’est-à-dire pour ses films de zombies. De fait, il a donné une nouvelle vie à ce genre moribond en l’arrachant entièrement au surnaturel afro-américain et au scientisme foncièrement optimiste de l’époque atomique. Désormais, le zombie est sans pourquoi, sans remède et sans espoir, mais, surtout, il est notre semblable ou, plutôt, mais cela ne deviendra clair qu’avec le temps, nous sommes le sien.
C’est pour cela que nous croyons utile d’évoquer aujourd’hui son second film de zombies, Dawn of the Dead, le plus original, à tout prendre, croyons-nous. James Russel, dans son ouvrage sur le cinéma de zombie, Book of the Dead (FAB press, 2005), remarque très judicieusement qu’au fond, tout le film se résume à détruire des têtes. Au sens trivial, bien sûr, puisqu’il faut tirer dans la tête du zombie pour le neutraliser définitivement, mais, aussi, dans un sens plus profond.
Tout au long du film, nous voyons la société, puis des groupes aussi petits que le petit groupe des quatre protagonistes, enfin, les individus eux-mêmes, agir tout entiers animés par leurs désirs, leurs pulsions, sans logique et, bien souvent, à leurs propres dépens — comme s’ils avaient perdu la tête. Ainsi, face à l’épidémie de zombification, l’État réagit par la loi martiale et l’assassinat théoriquement ciblé des zombies. Mais, inévitablement, ces violences en entraînent d’autres et tout finit en une immense boucherie. Or, comme le fait remarquer le fameux prêtre unijambiste : « Quand les morts marchent, Señores… nous ne devons plus tuer… ou nous perdrons la guerre…» Tuer revient donc à recruter pour l’ennemi.
De même, les quatre héros, une fois réfugiés dans le centre commercial et assiégés par les zombies et des pillards — des bikers… — agissent avec la plus grande maladresse. Libres de consommer tout ce qu’ils désirent jusqu’à la satiété, l’ennui et la folie, ils se laissent aveugler par les free stuff, comme le zombie par la chair vivante qu’il fait tout pour consommer. Et, finalement, en voulant tout garder, ne rien lâcher, même l’inutile, même l’impossible à tenir, ils finissent par tout perdre, y compris la vie — les premiers à mourir devenant les ennemis des derniers à survivre.
Il faut d’ailleurs faire ici un sort à la quasi happy end. Certains ont voulu voir dans la fin — une femme blanche, enceinte, qui s’enfuit protégée par un homme noir — le véritable sens du film. Le progressiste Romero aurait voulu transmettre un message optimiste — de l’écroulement catastrophique du capitalisme naîtra une société libre et multi-raciale. La vérité est que ce n’est qu’une fin par défaut. C’est très trivialement parce que, pour une fois, les effets spéciaux de Tom Savini n’étaient pas à la hauteur qu’il a fallu renoncer à ce qui était prévu… Mais la fin voulue par Romero, celle présente dans le script, était la mort de tous, y compris des deux derniers protagonistes, l’homme se sacrifiant dans l’espoir de permettre à la jeune femme de fuir, mais celle-ci offrant, finalement, sa tête aux pales d’un hélicoptère désormais sans pilote…
Terrible leçon, donc, que ce film, et l’humour trivial, la dérision, le grotesque dont Romero joue, tout au long du film, avec infiniment de plaisir et de finesse, ne font, dans une certaine mesure, que rendre la chose plus horrible encore. La mort de Romero nous prive d’un cinéaste capable d’un tel film. Revient alors nous hanter Dawn of the Dead et nous mordre son atroce lucidité.