En début de semaine, nous apprenions que la Mairie de Paris refusait d’accorder une sépulture à l’écrivain Michel Déon dont les cendres ont pourtant été rapatriées en France. Pénélope Komitès, adjointe au maire de Paris en charge des affaires funéraires, mettait en avant des arguments juridiques pour masquer une décision de nature politique.
« Quelle indignité », pourrait-on s’exclamer, tel un Nicolas Sarkozy qui serait sincère. En effet, le 10 février, nous apprenions que la Mairie de Paris, après maintes sollicitations de l’Académie française, refusait une sépulture à l’écrivain et académicien Michel Déon, décédé le 28 décembre 2016 à Galway, en Irlande. À cela, le premier édile et sa cour avançaient des raisons purement juridiques fondées sur des dispositions du Code général des collectivités territoriales. Or, il s’avère, après un rapide examen, que les vraies raisons seraient bien moins neutres que cela.
Qu’on nous permette, dans un premier temps, de répondre à ces arguments en se cantonnant au domaine du droit. C’est sur Twitter (puisqu’il faut bien se résoudre dorénavant à ce que toute communication politique ne puisse se faire en dehors de ce réseau social) que Pénélope Komitès, adjointe au maire de Paris en charge des affaires funéraires, justifie le refus d’accueillir les cendres de l’écrivain dans un cimetière parisien. Le Code général des collectivités territoriales précise que, pour être inhumé sur le territoire d’une commune, un des quatre critères suivants doit être rempli :
- la personne doit être décédée sur le territoire de la commune, quel que soit son domicile ;
- la personne devait être domiciliée sur le territoire de la commune, bien qu’elle soit décédée dans une autre commune ;
- la personne doit avoir une sépulture familiale dans la commune, bien qu’elle n’y résidât pas et qu’elle n’y soit pas décédée ;
- la personne devait être inscrite sur la liste électorale de la commune, bien qu’elle n’y résidât pas et n’y ait pas de sépulture de famille.
Si l’on s’en tient scrupuleusement à ces raisons juridiques et si l’on met de côté toute autre considération éthique, il devient compréhensible que l’auteur des Poneys sauvages, résidant en Irlande au moment de son décès, n’ayant pas de caveau de famille à Paris et n’étant pas inscrit sur la liste électorale, n’ait pas le droit de se faire inhumer au cimetière du Montparnasse, comme cela était envisagé dans un premier temps. Or, la Mairie de Paris occulte délibérément un fait : la possibilité pour la municipalité d’accorder une concession dans un cimetière, qui ne relève que de sa seule volonté. Cette possibilité est accordée quand le défunt ne dispose pas du droit d’être enterré sur le territoire de la commune. Il est dès lors aisé de conclure à une volonté délibérée de blocage de la Mairie de Paris, qui refuse d’accéder à la requête de la famille de l’écrivain et de l’Académie française pour des raisons qui dépassent le simple respect des dispositions du Code des collectivités.
Ces querelles picrocholines de droit montrent en effet que la tartufferie est la chose du monde la mieux partagée à la Mairie de Paris. Tout d’abord, Michel Déon a eu le tort de cumuler plusieurs défauts impardonnables aux yeux du dernier surgeon du socialisme idéologique sectaire, retranché derrière les murs de l’Hôtel de Ville : secrétaire de rédaction à l’Action française durant la guerre, proche de Charles Maurras (d’ailleurs rayé de la liste des commémorations de 2018 sur l’injonction de certaines bonnes âmes indignées et influentes), sympathisant royaliste, aux opinions de droite assumées, partisan de l’Algérie française, hussard… L’ensemble de ces critères ne cadrant pas avec les exigences de vivre-ensemble solidaire et inclusif dans la fête permanente de l’équipe municipale actuelle. Bien sûr, il est toujours plus habile de se réclamer à la lettre du droit bête et méchant, quitte à passer pour l’archétype du monstre kafkaïen bureaucratique, froid et sans âme, car cela choque moins l’opinion publique. Après tout, puisque le droit l’affirme… La France est en effet ce pays où, à la quête du Saint Graal a succédé celle du formulaire A38. Comme le disait Emile de Girardin : « La bureaucratie, en France, a pour unique fonction de ne rien faire et de tout empêcher. Elle remplit son rôle d’une façon irréprochable. » Refuser ouvertement, pour délit d’opinion, une sépulture à un éminent écrivain, commandeur de la Légion d’honneur, officier des arts et des lettres, aurait fait tache. Le Code des collectivités fait donc office de paravent efficace.
Ensuite, l’extrême indécence à laquelle se sont livrés le maire et son séide. Boileau célébrait ainsi les vertus de Pénélope dans un vers de ses Satires : « Aux temps les plus féconds en Phrynès, en Laïs, plus d’une Pénélope honora son pays. » Aux temps les plus sombres d’un Paris muséifié et envahi par les rats, notre Pénélope des temps modernes n’honore ni son pays ni sa ville ni la plus élémentaire bienséance. Ainsi s’est-elle félicitée sur Twitter, royaume éphémère du gazouillis balbutiant (triste ironie du sort d’évoquer par ce moyen la dernière demeure d’un immortel), que « devant la mort, cette même égalité en droits s’applique, que l’on soit une personnalité publique ou non, que l’on soit membre de l’Académie Française ou non. Et je suis fière qu’à Paris nous appliquions scrupuleusement ces principes fondateurs de notre République. » Si les principes fondateurs de cette République consistent à refuser les honneurs légitimement dus à une personnalité ayant mérité de la patrie, alors les penchants royalistes du promeneur stendhalien s’en trouvent d’autant plus justifiés. Il faut se souvenir que les hommages officiels rendus à l’écrivain au moment de sa mort avaient été plus que discrets : le service minimum avait été assuré par Audrey Azoulay, ministre de la Culture, qui n’avait pu s’empêcher de regretter les accointances idéologiques de Déon avec Maurras ; l’Élysée était resté muet. Il faut se souvenir que le président de la République de l’époque était François Hollande, ce qui constituait un sérieux handicap pour la culture.
Michel Déon, un citoyen lambda ?
Non, une personnalité qui a contribué au rayonnement de la France et du français ne peut pas être traitée comme une personne lambda. La digne et légitime distinction accordée aux enfants méritants de la nation ne peut passer sous le broyeur de l’égalitarisme progressiste sans frein. L’auteur de la Montée du soir et du Jeune Homme vert a mérité le droit à l’exception, que la modeste bureaucrate s’enorgueillit de lui dénier. Y aurait-il donc une « fierté » à refuser à un homme, de surcroît de la trempe de Michel Déon, de dormir de son dernier sommeil dans la sépulture de son choix ? Comment peut-on se féliciter de raviver la douleur d’une famille, de fouler aux pieds les demandes de l’Académie française dont les membres, faut-il le rappeler, agissent pour la défense et l’illustration de la langue française dans le monde, et de cracher en trois tweets sur l’œuvre d’un écrivain aux 40 romans et 70 ans de carrière ? Comment peut-on se réclamer de l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui dispose que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » quand cette même Déclaration, dans son article 10, précise que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions » ? Pourquoi, enfin, rabaisser un écrivain de cette qualité quand, sur le fronton du Panthéon, nous pouvons lire cette phrase, gravée sous la Première République : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante » ? Dans leur détestation de tout ce qui n’est pas progressiste, Mesdames les ronds-de-cuir, pour paraphraser le grand Courteline, ne sont-elles donc guidées par aucune cohérence ?
La cohérence, c’est bien ce qu’il manque au maire de la capitale, qui ne voit dans le même temps aucune objection à célébrer la mémoire de Che Guevara, « icône militante et romantique ». Une icône, à qui Paris rend hommage dans le cadre d’une exposition, et dont Huber Matos, son camarade révolutionnaire, disait : « Je crois qu’en définitive, cela lui plaisait de tuer des gens ». Michel Déon, lui, n’aura été coupable que d’une chose : avoir fourni des chefs-d’œuvre à la littérature française. Et si les Gens de la nuit n’en fait pas forcément partie, il est le roman qui atteste de la longue histoire d’amour qui a lié le jeune Edouard Michel, devenu plus tard Michel Déon, à la Ville-lumière. Déon, le Parisien de naissance, de la rue Férou (nom qui lui servit d’ailleurs de pseudonyme pour écrire un roman érotique polisson, Plaisirs, en 1955) et de la rue de Beaune, à proximité des éditions Gallimard ; le chantre de la faune des années 50, l’écumeur des bars de Saint-Germain-des-Prés et l’ami de la jet-set parisienne. Car, avant d’être grec, portugais et irlandais, Déon a d’abord été farouchement parisien. Il est d’autant plus ironique que ce soit une employée de bureau dont le patronyme trahit les origines helléniques qui refuse une sépulture à l’auteur des Pages grecques. C’est, enfin, dans les Gens de la nuit, que Déon a façonné cette phrase, définitive et si belle : « Retrouver le vrai Paris, c’est encore me reconnaître au nombre des vivants. »
L’écrivain immortel peut néanmoins compter sur son meilleur allié, le temps. Le socialisme doctrinaire n’en finit pas d’agoniser et gageons qu’il poussera son chant du cygne en 2020, à l’occasion des élections municipales. Il ne reste plus qu’à espérer que cette occasion permettra à l’homme qui s’est beaucoup promené de trouver enfin le repos dans sa ville qui lui tendra de nouveau les bras.
«Les Français n’aiment guère placer un héros sur son piédestal qu’une fois ce gêneur mort», disait Déon dans Lettre à un jeune Rastignac. M. Déon, héraut des lettres françaises, a gêné et gêne toujours les ignorants et les sots. Mais le piédestal lui est d’ores et déjà assuré, ainsi que l’immortalité qui lui est si familière.