Le Parisien est décidément le plus chanceux des hommes. S’il fait abstraction de la crasse de ses rues, des loyers indécents, des pics de pollution, de la déliquescence de ses services publics jamais en mal d’occasion légitime ou non de cesser le travail, il pourra alors se conforter dans ce résidu du génie national français qui semble avoir fait de la Grande Nation — et plus précisément de sa capitale — l’épicentre universel d’une des protubérances gangrenées de l’esprit festif si bien décrit par le regretté Philippe Muray.
Cette nouvelle tumeur contemporaine consiste à encourager nos concitoyens à s’approprier des espaces jusque là inexploités au sein de ce grand bac à sable pour adultes qu’est devenue l’ancienne cité d’Étienne Marcel. Les caciques parisiens ont donc décidé de transformer ces territoires afin de servir d’espace ludique et de détente à une certaine faune parisienne composée de publicitaires crétins, d’étudiantes ignares, d’humanistes à l’ego boursouflé, de danseuses de zumba illettrées… Oui, le parisien a cette chance de pouvoir oublier son existence terne et dénuée de sens, destinée à fabriquer du vent pour des entreprises du tertiaire. Ainsi, grâce à ces multiples expériences, il peut regarder de haut son compatriote de province franchouillard ringard et arriéré. Cela, il le peut donc, grâce à l’activisme frénétique de sa mairesse et de son phalanstère d’adjoints explorateurs de territoires à revisiter afin d’enchanter le quotidien de leurs administrés. Tout doit y passer ! Il y a quelques années, ce furent les toits de la capitale qui devinrent un nouveau territoire à appréhender. Le parisien se devait d’occuper ces cimes trop délaissées pour s’ouvrir à de nouvelles perspectives et conquérir le territoire des pigeons et autres piafs pour admirer le coucher de soleil sur des rooftops improvisés.
Cette année après les quais de Seine piétonnisés, ce sont les cimetières qui viennent de sortir de la boîte à idées des joyeux drilles de l’Hôtel de Ville. Il s’agit donc cette fois de se familiariser avec ces espaces méconnus des Parisiens, et de ne plus les voir uniquement comme la lugubre dernière demeure des morts d’un passé réactionnaire au regard de notre lumineuse époque qui sait, elle, s’amuser de tout. « Les Parisiens n’osent pas y aller parce qu’ils pensent que c’est un lieu de recueillement », nous dit la Mairie qui a organisé cette première édition du « Printemps des cimetières » le 26 mai dernier. Du recueillement, des prières ? N’y pensez pas, voilà bien de ces foutaises du passé qu’on ne souhaite plus voir et une évidente perte de temps… De nos jours, la mort se doit d’être pétillante, et si on ne peut tout de même pas encore raisonnablement décorer les pierres tombales de cotillons, essayons tout de même de mettre un peu de « fun » dans ces milliers de mètres carrés qui plombent lourdement l’ambiance d’une
ville qui s’apprête à célébrer la grande kermesse olympique. Pour cela, il est nécessaire de faire des cimetières plutôt des espaces ludiques où se mélangeront chants gospel, questionnaires culturels et randonnées bucoliques. On y croise même des renards, n’est-ce pas merveilleux cette biodiversité à portée de main ? Mais ce n’est qu’un début presque modeste, on ne doute pas que dans les années qui viennent arriveront les ateliers de graff sur pierres tombales, les slams mortuaires et un escape game de la mort, et pourquoi pas l’installation d’un bar éphémère au Père Lachaise. Tout cela afin de « briser le tabou de la mort », nous répète la sympathique Pénélope Komitès, chargée espaces verts et affaires funéraires qui, avec un autoritarisme sectaire, avait courageusement refusé pour des raisons politiques à Michel Déon une sépulture au sein d’un cimetière parisien. Mais revenons à notre sujet, n’en doutons pas, grâce à la Mairie de Paris, les Parisiens appréhenderont mieux la mort. Elle aidera sûrement certains d’entre eux, pour qui la transcendance ressemble à une sorte de nirvana mâtiné d’idées chrétiennes à la sauce Frédéric Lenoir, à mourir sereinement. Elle leur montrera surtout un aperçu de l’enfer qui ressemble peut-être tout simplement à un événement pseudo culturel de la Mairie de Paris qui n’aurait pas de fin, dans lequel le silence n’existerait plus et où le bruit serait partout. Requiem in pacem n’est malheureusement plus à l’ordre du jour.