Éric Zemmour est à l’identité française ce que le salafiste est à l’islam : une maladie de l’intelligence, qui détruit toute intériorité d’esprit et de cœur pour n’en faire qu’une vulgaire exhibition.
Sur les plateaux et dans les studios, Éric Zemmour ne hurle pas « Faranssa akbar », mais c’est tout comme. Avec la promotion mouvementée de son dernier livre, Destin français (où il explique que la France « coule dans [s]es veines » mais que celle-ci court à sa perte depuis Mai 68 – puissante thèse déjà défendue dans Suicide français en 2014), il montre à chaque intervention qu’il n’a rien perdu de la pugnacité qu’exige son jihâd identitaire.
Bien au contraire, il délivre simultanément des fatwas médiatiques et posthumes contre Maurice Audin, le militant de l’indépendance algérienne mort sous la torture en 1957 – mais qui « méritait 12 balles dans la peau » en plus pour s’être engagé « contre la France » –, tout en théorisant les nouvelles règles de l’orthodoxie, comme dans le désormais célèbre passage des Terriens du dimanche où il a rappelé une règle de sa charia à la chroniqueuse Hapsatou Sy.
Son prénom est « une insulte à la France », lui a-t-il expliqué, car « la France n’est pas une terre vierge, c’est une terre avec une histoire, avec un passé, et les prénoms incarnent l’histoire de la France ». Un Français doit donc avoir un prénom français pour être vraiment Français, comme un musulman doit porter une barbe pour l’être vraiment. Éric Zemmour montre, encore une fois, qu’il est à l’identité française ce que le salafiste est à l’islam – une maladie.
« Avoir l’air de »
Comme le salafiste qui n’existe que dans l’exhibition permanente de son orthodoxie, Zemmour considère lui aussi qu’être Français se résume à « avoir l’air » de l’être. Le salafiste montre sans cesse qu’il est musulman : il porte la barbe du musulman, se donne un patronyme arabe lorsqu’il n’en a pas, parle comme un musulman, revêt les habits pour faire musulman, applique avec une diligence soigneusement exposée les mœurs de l’islam. De même, leur oppose Zemmour : le Français doit avoir un prénom français, parler comme un Français, manger français pour, surtout, montrer qu’il aime la France.
Comme l’étalage de la foi cache la misère d’une vie intérieure, le salafiste qui déclame à haute voix sourates et hadiths au lieu de les méditer ne peut supporter celui qui, dans l’humble secret de lui-même, mène la plus enragée des batailles. Éric Zemmour, lui aussi, préfère l’ostentation de celui qui montre à celui qui est. Notable est d’ailleurs le propos d’Hapsatou Sy qui le conduit à l’outrage : « Jamais je n’ai entendu quelque chose d’aussi blessant, parce que pour moi qui aime ma France, que j’aime ce pays, que ça vous plaise ou ça vous déplaise, je trouve que ce que vous venez de dire n’est pas une insulte à mon égard, c’est une insulte à la France. »
C’est à cela qu’il répond, retranché sur son dogme : « C’est votre prénom qui est une insulte à la France. » Ainsi la France n’est pas un esprit, une adhésion charnelle, mais la seule superposition d’attributs. Il préfère donc un jeune homme sous perfusion de films américains et de fast-foods, mais qui s’appelle Pierre Durand et aura la peau bien blanche, à un Ahmed engagé dans la police par amour pour son pays et qui en aura payé le prix du sang. À quelques heures d’avion, le wahhabite ne voit aucun mal aux selfies devant une boutique Gucci, du moment que la burqa de sa femme est bien mise.
Les écorces mortes
Pour l’un comme pour l’autre, s’il s’agit d’une maladie, elle procède du même virus car ces deux symptômes sont les revers d’une même pièce – peut-être est-ce pour cela qu’ils se détestent tant, contraints pour exister d’abhorrer en l’autre des traits symétriquement identiques. Et ce virus a germé dans une même époque dont Bernanos avait saisi l’un des traits en la décrivant dans La France contre les robots comme une « conspiration contre toute espèce de vie intérieure », trait que nous prolongions en évoquant l’inversion qui suivait, celle de l’exhibition de cette vie intérieure réduite à néant. Et ces exhibitions sont ici si zélées, selon les préceptes de l’imam salafiste et du curé Zemmour, qu’elles finissent par ressembler à une vaste pornographie.
Selon une image bien connue des musulmans, la religion islamique – comme les autres – vit par la réunion de deux parts complémentaires, l’une ésotérique renfermant la part spirituelle de la révélation comparée au noyau, l’autre exotérique, constituée des rites et des dogmes, semblable à l’écorce. Et c’est ici, dans le salafisme né il y a même pas deux siècles comme dans la sclérose d’identité promue par Éric Zemmour, le même meurtre : celui du noyau, c’est-à-dire de l’esprit. Alors, est-ce étonnant que leur victoire soit celle du bruit sur le silence, de l’ostentation sur la pudeur, de la certitude sur l’hésitation, de la vulgarité sur la dignité… Bref : de la bêtise sur l’intelligence ? Malheureusement, il arrive que les arbres morts tiennent longtemps debout.