Après la station de radio RTL, c’est au tour de la marque de pâte à tartiner Nutella de boycotter Eric Zemmour. D’aucuns diront qu’on a les ennemis qu’on mérite. Le polémiste, lui, mérite sans doute ses soutiens – une petite horde d’indignés bruyants, à qui le miroir flatteur des réseaux sociaux fait cruellement croire, à chaque fois qu’ils s’éprennent d’une nouvelle lutte finale, qu’ils sont des millions à la soutenir. Mais alors même qu’ils prétendent sans relâche qu’on cache la vérité aux Français, la vérité ne tarde pas à les décevoir : l’écrasante majorité des Français n’en a rien à faire de ces scandales mondains. Pas plus qu’elle ne semble avoir envie de pleurer le terrible sort réservé à Eric Zemmour.
Quoi de plus normal, répondent-ils, puisque les masses sont depuis longtemps anesthésiées par la télévision ? Cette télévision dont on veut priver Eric Zemmour. Cette même télévision qui finit toujours malgré tout par le salarier, moyennant une rémunération plus qu’honorable, comme l’a sans surprise démontré la récente annonce de sa venue prochaine sur la chaîne CNews.
Bien sûr, l’indifférence de la majorité n’atteste en rien l’ineptie d’une cause. Elle tendrait même plutôt à en prouver la grandeur. Mais dans le cas d’Eric Zemmour, les notions mêmes de majorité et d’indifférence sont brouillées. Les perpétuels rebondissements de sa carrière font les gros titres d’une presse qui aime à se contempler et déchaînent les passions des éditorialistes, donnant ainsi l’impression que le sort tout entier de la liberté d’expression est suspendu au contrat de travail d’Eric Zemmour – auquel l’entreprise qui l’emploie a par ailleurs tout à fait le droit de mettre un terme. Si la liberté d’expression était réellement menacée par ce minuscule événement, sans doute serait-il légitime de se révolter, d’incendier les usines Ferrero et de camper une ZAD devant le siège du groupe M6. Mais tel n’est pas le cas. Eric Zemmour n’est victime d’aucune forme de censure.
Cette mise en scène est alimentée par l’intéressé lui-même, qui compense ses lacunes académiques par un sens aiguisé des affaires, et qui a donc depuis longtemps compris tout l’intérêt qu’il pouvait tirer d’une infréquentabilité minutieusement érigée en argument de vente. C’est ainsi qu’est né le concept de « censure médiatisée ». Car ce sont moins les idées d’Eric Zemmour qui le rendent bankable aux yeux des médias que le décorum politiquement incorrect dont il a soin de parer ses interventions. Tel est le paradoxe du cas Zemmour : ses idées sont impopulaires, mais elles se vendent. Les médias le savent, sans quoi il n’aurait pas le loisir de passer de tribune en tribune pour se plaindre qu’on lui interdise de s’exprimer.
Ce à quoi sert réellement Eric Zemmour
On sait que le spectacle se nourrit indifféremment de la répulsion et de l’attirance ; en cela, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on parvienne à vendre une idée qui déplaît. Le corollaire de cette évidence, bien plus difficile à admettre pour une grande partie de cette droite qui a fini par geler sur place à force d’attendre hors les murs, c’est que le spectaculaire ne parvient que très difficilement à convaincre. C’est ce qu’avait compris Marine Le Pen, qui était parvenu à hisser son parti jusqu’à des sommets électoraux que son père n’avait jamais envisagés, en lissant assez cyniquement son discours au point, selon les déçus de son propre camp, de le dénaturer. À l’inverse, les emportements fulgurants de Jean-Marie Le Pen resteront comme des moments de télévision d’anthologie, en dépit de leur évidente stérilité électorale. La radicalité marque les esprits, mais elle échoue à les mobiliser.
La plus grande malhonnêteté d’Eric Zemmour réside peut-être en ceci qu’il sait pertinemment que l’idée selon laquelle l’opinion se radicaliserait, ironiquement défendue à la fois par les adorateurs aveugles de l’alt-right et par les gardiens du temple de la tolérance, est un fantasme. La majorité, cette créature docile et si convoitée, se donne au plus tendre. Les vérités qui dérangent la séduisent dans une certaine mesure, mais il n’existe aucun point de rupture au-delà duquel le réel finit par provoquer chez elle une prise de conscience et la pousse à agir politiquement. Plus la réalité est douloureuse, plus son seuil de tolérance à la douleur augmente, et plus elle est ramenée vers le centre.
C’est la raison pour laquelle le messie Zemmour, au risque de décevoir des militants sincèrement réduits à espérer un miracle, ne viendra pas. S’il laisse volontairement planer le doute quant à ses intentions, jamais il ne se risquera à descendre dans l’arène politique – il serait en tout cas bien mal avisé de liquider ainsi son fonds de commerce et de s’attirer le discrédit de sa clientèle pour glaner quelques 2% à une élection. Son argument de vente serait aussitôt vidé de sa substance ; il sait bien que son influence est bien plus grande là où il se trouve, au cœur du système médiatique parisien.
Les journalistes ont d’ailleurs trouvé avec Eric Zemmour et sa « censure médiatisée » une ressource inépuisable leur permettant d’organiser avec une parfaite solennité de grands débats parfaitement sous contrôle sur la liberté d’expression et la censure. Le cœur du sujet, les véritables interrogations et les vraies victimes de censure sont ainsi précautionneusement laissés là où est leur place : dans l’ombre. Et le temps passé à feindre de s’écharper sur la place des idées d’Eric Zemmour à la télévision est autant de temps que la télévision ne consacre pas à discuter de ses idées – s’épargnant ainsi fort utilement le risque de les voir validées ou démontées.
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