L’affaire Mila se caractérise par une injonction à se positionner pour ou contre la jeune femme, à la manière du slogan #JeSuisCharlie consécutif aux attentats de janvier 2015. Cette alternative est biaisée et témoigne de l’indigence intellectuelle dans laquelle se complaît le journalisme depuis des années.
Avec l’affaire Mila, le monde médiatique renoue avec un grand moment de binarité intellectuelle, binarité qui trouve son origine dans l’après Charlie Hebdo. Ce sont en effet les mêmes mécanismes qui se mettent à nouveau en branle : il faut choisir son camp, être ou ne pas être Mila, et, selon la réponse que vous apporterez à cette injonction, votre républicanisme, votre citoyenneté, votre honneur même seront évalués. Ceux qui ne sont pas Mila seront d’emblée accusés de complaisance, voire de complicité envers l’islamisme. Ceux qui sont Mila seront quant à eux perçus comme d’honnêtes républicains pour qui la liberté d’expression est le plus grand de tous les biens. Les médias qui décideront de ne pas accorder d’importance particulière à l’affaire, là où d’autres s’en sont saisis avec une volonté polémique évidente, seront accusés de détourner le regard et de se soumettre par pure lâcheté. Valeurs Actuelles, évidemment en pointe sur ce sujet, dénonçait le « silence radio des progressistes », en l’occurrence Télérama, Libération et les Inrockuptibles.
La confusion mentale est reine dans cette affaire, comme dans tous les débats qui traitent de près ou de loin de l’islam. Tout d’abord, certains journaux comme Le Figaro, Valeurs Actuelles ou Marianne avaient décidé de titrer leurs articles en affirmant que Mila avait « critiqué » l’islam. Toute personne possédant un esprit normalement constitué concédera qu’il ne s’agissait pas d’une critique, mais bien d’insultes caractérisées. Nous ne les reproduirons pas ici car notre préférence en matière de pamphlet va plutôt pour la verve d’un Léon Daudet. Nous mettrons tout le monde d’accord, a minima, en disant que Mila a blasphémé, c’est-à-dire qu’elle a formulé un outrage envers une religion. La loi française sur la liberté d’expression estime que l’on peut s’en prendre à un dogme, à une divinité, à ses figures et à ses symboles mais pas à ses croyants. On peut insulter formellement une religion, mais jamais les individus qui la pratiquent. Il est facile d’appréhender spontanément l’ambiguïté d’un tel dispositif légal. Formulée ainsi, la loi sous-entend que l’insulte faite à la religion en soi ne serait pas une insulte faite aux croyants. Or, pourquoi un fervent croyant ne se sentirait-il pas insulté lorsque l’on insulte ce à quoi il se dévoue au quotidien, à savoir son Dieu et sa pratique ? Lorsque l’on soutient que l’islam est une religion de haine ou qu’elle est une religion idiote, cela n’implique-t-il pas logiquement que ceux qui la pratiquent sont haineux et idiots ? Qu’est-ce que la religion, si ce n’est l’adhésion à un système de valeurs et à un dogme ? Cette séparation abstraite du croyant et de sa croyance n’est valide que pour un esprit sécularisé. La piété implique une adéquation entre l’individu et sa pratique religieuse.
Notre but ici n’est pas de refaire les lois, mais seulement de montrer que ce qui est présenté comme relevant de l’évidence ne l’est en réalité pas du tout. De même, dans l’affaire Mila, il est important de distinguer deux choses. En effet, on peut très bien estimer que la loi doit défendre la jeune femme du point de vue de la liberté d’expression et contre les menaces de mort qu’elle subit sans pour autant adouber moralement ce qu’elle représente. C’est sur ce dernier point que les médias, la plupart conservateurs ou laïcards, entretiennent une confusion grave en incitant les gens à se prononcer sur un mode binaire : « Je suis Mila » ou « Je ne suis pas Mila ». Si sur les réseaux sociaux, le #JeSuisMila n’a pas pris l’ampleur planétaire d’un #JeSuisCharlie, il atteint tout de même les 110 000 occurrences et certaines personnalités reprennent le slogan : Raphaël Enthoven, Marine Le Pen ou Robert Ménard. L’affaire Mila apparaît dès lors, du point de vue du conditionnement médiatique, comme une répétition dérisoire de l’après Charlie. Le microcosme intellectuel et journalistique ordonne de se prononcer sur l’alternative.
Ainsi le site internet de Valeurs Actuelles publiait récemment un article pour signaler que certains chroniqueurs de l’infiniment médiocre émission de Cyril Hanouna « n’étaient pas Mila ». Un péché visiblement aussi grave que celui de n’être pas Charlie. En réalité, que peut bien signifier cette injonction à être Mila ? Que la jeune femme doit pouvoir s’exprimer et être protégée par la loi ? Qui dit le contraire hormis ceux-là mêmes qui ont formulé des menaces de mort ? En réalité, l’injonction outrepasse très largement la simple observance de la loi. Elle signifie bien plutôt que Mila doit être un modèle à suivre, que son irrévérence vis-à-vis de l’islam est quelque chose qu’il faut encourager, qu’elle incarne la République dans un contexte de montée de l’islamisme. Ce dernier point est formulé explicitement par la philosophe Razika Adnani dans Marianne : « Voilà pourquoi cette affaire n’est pas seulement une menace contre Mila, elle est également une menace contre la République. » Il est clair, que pour certains garants d’une République identifiée abusivement à la laïcité, Mila est une icône et une martyre. Valeurs Actuelles, dont on connaît le grand engagement sur cette question, semble aller encore plus loin tant les réflexes pavolviens sont ancrés : ceux qui n’insultent pas l’islam sont ceux qui s’y soumettent. Tout honnête homme, tout honnête républicain se doit de mépriser l’islam et d’en dire du mal.
La scène de théâtre est donc installée pour obliger les gens à choisir entre les deux termes d’une alternative qui ne laisse aucune place à l’intelligence, peut être une à l’émotion quand ce n’est pas le cynisme qui domine. Vous serez valorisé médiatiquement si vous exprimez votre soutien à Mila. Attention ce soutient doit être total et ne souffrir d’aucune nuance. Surtout pas de « Je suis Mila, mais… » ! Vous serez déshonoré si vous estimez ne pas être Mila, car automatiquement renvoyé dans le camp des islamistes et des lâches. Restent ceux qui ne souhaitent pas se prononcer, qui refusent de répondre à une question si mal posée, ceux qui pensent que, dans un contexte de tensions identitaires, la liberté d’expression débridée, dont la seule motivation est l’outrage et la volonté d’humilier, ne peut être la boussole d’une société. Mais nous savons certainement de quel quolibet ces derniers seront affublés. Avec l’esprit de nuance qui caractérise cette affaire depuis son commencement, sans doute seront-ils appelés Munichois.
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