Quel lien entre le piano de Chopin, la philosophie de Jean Paul II, la pensée d’Emmanuel Levinas et la doctrine du mouvement ouvrier Solidarnosc ? Réponse : Cyprian Norwid, poète méconnu de son vivant, passé à la postérité par le truchement de grands noms de la littérature européenne acquis à son génie. Professeur émérite de littérature polonaise à Sorbonne Université, membre étranger de l’Académie polonaise des arts et des lettres (PAU), Michel Maslowski publie Le Prométhidion et Le piano de Chopin (Cerf, 2020), un livre dense et passionné sur la pensée de Norwid.
Entretien réalisé par Max-Erwann Gastineau, essayiste et spécialiste de l’Europe centrale.
PHILITT : Méconnu de son vivant, Cyprian Norwid a exercé une influence posthume considérable sur la pensée politique et l’art poétique du XIXe et XXe siècle. Les noms de ses héritiers revendiqués en témoignent. Comment expliquer une telle influence ? Pouvez-vous revenir sur son parcours ?
Michel Maslowski : Il est difficile de présenter Norwid (1821-1883), dont on va fêter en 2021 le bicentenaire de sa naissance, d’une manière « cartésienne ». Il est inclassable, précieux et diablement ironique. « Poète maudit », dit-on en France, il n’est pas aisé de l’enfermer dans une école. Souvent traité de difficile, en fait en avance sur son temps, ses idées se sont incarnées ensuite socialement, politiquement et culturellement. Poète novateur, penseur eschatologique, mais attaché à la praxie des hommes, rationnel, comme inspiré par la sagesse des siècles dont il s’efforçait de sonder la profondeur. Penseur de l’Histoire, des civilisations, de l’homme et de ses efforts pour « être sur-humain ». Penseur de la culture avant tout où le terrestre dessine une dimension métaphysique « en se-parabolisant-sans-cesse » dans une discussion ininterrompue des sociétés. Dans ses pensées on retrouve des diamants sous les cendres – une de ses métaphores les plus connues.
Né dans la Pologne divisée par les empires, ensanglantée par les répressions des insurrections successives, il appartient à la seconde génération des romantiques ; mais assez vite il s’oppose à leur messianisme sacrificiel. Doué pour les arts plastiques, il part pour étudier les arts en Italie où sa vision de la stratification des civilisations successives se précise. En 1848, à Rome, il fait connaissance de Adam Mickiewicz (1798-1885), génie reconnu, et devient ami de Zygmunt Krasiński (1812-1859), prônant un messianisme conservateur. C’est là qu’il écrit Le Prométhidion, poème philosophique rejeté par ses contemporains, mais reconnu comme un chef-d’œuvre au début du XXe siècle. De là seront issues sa philosophie du travail et les inspirations du mouvement de « Solidarność » qui aura délégitimé le communisme en contribuant à sa fin. De là aussi viendront les idées d’une des premières encycliques de Jean Paul II sur le travail (Laborem exercens). (Il le considérait comme l’un des plus grands poètes et penseurs chrétiens).
À partir de 1849 Norwid s’installe à Paris, où il retrouve l’élite des émigrés polonais ; il fait connaissance du poète Juliusz Słowacki (1809-1849) et de Frédéric Chopin (1810-1949), à qui il consacrera Le Piano de Chopin, un autre de ses poèmes célèbres. À Paris il vit pauvrement, méconnu et souvent rejeté, il part aux États-Unis pendant deux ans (1853-1854), mais supporte mal la nouvelle civilisation « marchande et industrielle ». Il revient ensuite à Paris, où il passe le reste de sa vie, en réalisant des travaux plastiques (gravures, peintures) et en écrivant. Sa vie se termine dans un hospice à Ivry en 1883. Outre les essais novateurs Fleurs noires et Fleurs blanches, parus en Pologne en 1857, et un volume de ses poésies édité en 1862 à Leipzig, et d’autres poèmes épars, il n’arrive pas vraiment à une reconnaissance. Un nouveau recueil, exemple d’une nouvelle poétique Vade-mecum, préparé vers 1866, ne paraîtra que cent ans plus tard ; ses pièces de théâtre ne seront pas jouées ; seules deux conférences publiques, sur Juliusz Słowacki en 1860 et le poème philosophique De la liberté du verbe en 1869 auront assuré sa présence publique. Il y a encore quelques nouvelles dites « italiennes », puisqu’elles font revivre les années passées là-bas, mais il n’arrivera pas à les vendre.
Sa redécouverte vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle lui assurera par contre une notoriété qui ne cessera de grandir. Jusqu’à ce que la terre de sa tombe soit transportée en 2001 à Wawel, le Panthéon polonais de Cracovie, et placée à côté des tombeaux des rois, dans la crypte des poètes, Mickiewicz et Słowacki. Ses Œuvres éditées dans les années 1970 comptent XI volumes.
Personnaliste avant la lettre, Norwid ressentait les couches géologiques de la construction de l’humanité. Intéressé par l’anthropologie, la création des cultures, et la pensée historiosophique. Sans oublier le cadre général de la formation de la personne. Son origine était donc universelle, grecque, judéo-chrétienne et romaine.
Norwid est « inclassable » et, en même temps, « typiquement d’Europe centrale »… En quoi sa pensée, bien qu’iconoclaste, agissait comme le reflet d’un ancrage géo-culturel spécifique ?
Norwid n’oubliait pas sa patrie terrestre, la Pologne, ou plutôt la Respublica polono-lituanienne, dont l’Ukraine faisait partie pendant plusieurs siècles. La Pologne multiethnique, le plus vaste territoire européen aux XVI-XVIIIe siècles, fut partagée à la fin du XVIIIe entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. Les états historiques d’Europe Centrale – la Hongrie, la Tchéquie, et la Pologne ont perdu leur existence étatique entre XVI et XVIIIe siècles. Au XIXe a eu lieu leur renaissance nationale – par la culture : la littérature et les arts. Une figure de poète national est née alors : tous les peuples de cette région en ont un qui incarnait l’identité culturelle. Le premier et le plus connu a été Adam Mickiewicz. Outre les chefs d’œuvres qui ont assuré sa gloire, il a participé à la formation d’un nouveau paradigme de croire, que nous appelons le prométhéisme chrétien, et d’un messianisme qui visait l’éthisation des relations politiques dans le monde. Souvent par la révolte et les insurrections, mais avec l’idéal de la fraternité à l’horizon.
Norwid est considéré comme une des figures de la « poésie romantique ». D’où vient cette filiation romantique ? Quelles fins visaient-elles ?
L’importance du Romantisme polonais est comparable à celle des Lumières en France. Il s’est imposé dans les années vingt sous l’impulsion de Mickiewicz, après l’insurrection de 1830 et la guerre polono-russe, quand il a pris la dimension universaliste. Au centre de la vision de l’homme romantique se trouve la croissance de la personnalité. L’organe ultime de la fécondité en est « duch », l’Esprit, non pas l’intelligence seule, mais le lien spirituel d’un peuple, la participation à une communauté. Mickiewicz expliquait dans ses cours au Collège de France : « ce duch n’est pas le Geist ; […]c’est la personnalité développée et poussée à un degré plus haut. […] L’esprit tire toute sa force de lui-même. »[1] L’homme arrive alors à la dimension de la divino-humanité.
Telle est l’évolution du héros romantique des grands poètes polonais, et tel est l’épanouissement de la musique de Chopin dans le poème de Norwid. C’est une vision à double étage, pourrait-on dire, puisqu’en partant de la matérialité de l’effort de l’homme il en arrivait à la sublimation et à la transfiguration du matériel en divin : « L’Hostie m’apparaît à travers le blé pâle… », écrit Norwid dans Le Piano de Chopin. L’artiste construit ainsi l’imaginaire culturel, avec le procédé préféré par le poète, celui de la parabolisation qui permet de relier la dimension verticale de la transcendance à celle, horizontale, de la rencontre, du dialogue et de la coopération dans un « dialogue incessant » de la société, des cultures, des civilisations. Où se forgent les universaux éthiques.
Rien d’étonnant que Norwid ait pu fasciner Gide, Bergson, Miłosz, Brodsky ou Holan – par sa compréhension de la sensibilité de Chopin, par sa spiritualité philosophique enracinée dans l’activité de l’homme, par son universalité. Le romantisme polonais a élaboré une forme de prométhéisme chrétien dont le mot d’ordre était l’éthisation des relations entre les peuples, leur fraternité. Norwid, opposé aux appels à la révolte sanglante des insurrections insistait plutôt sur l’éthisation des relations interpersonnelles. En effet, l’époque s’est transformée en « marchande et industrielle », le contact personnel sincère devenait problématique.
Comme dans un de ses poèmes rendu célèbre grâce notamment au roman de Andrzejewski et le film de Wajda Cendre et diamant vient la réflexion du Sens des combats :
Comme une torche goudronnée quand on l’enflamme,
Tu répands tout autour des flammèches grésillantes ;
Sais-tu, au moins, si en brûlant tu deviens libre,
Ou si tu hâtes le désastre de tout ce qui fut tien ?
S’il reste de toi plus qu’une poignée de cendres
Que la tempête emportera ou si l’on trouve
Au plus profond des cendres un diamant étoilé,
Promesse et gage d’une éternelle victoire ?[2]
Il est important d’insister sur l’universalité éthique de cette réflexion sur le monde devenu désaxé, mais où seulement le don total de soi-même peut laisser un diamant, fruit de la cristallisation personnelle des valeurs, témoignage de leur incarnation.
Le monde séculier, et tout ce qui le façonne (l’art, le travail, les relations sociales…) agit, pour Norwid, comme une suite de manifestations de l’ordre divin. Cette vision du poète semble entrer en confrontation avec la fonction médiatrice assurée par l’Église… Quel christianisme, quel rapport à l’Église défendait Norwid ?
Il y a là une difficulté pour comprendre le théisme de Norwid où Dieu a construit un ordre dont le symbole est la copule céleste, harmonieuse, mais pour les hommes « la conscience n’unit pas sans combat ! ». Il faut choisir la lutte qui assure la victoire du difficile sur le facile, même au prix du déchirement personnel. Car la vérité « à la fois s’atteint et s’attend ». L’homme est « un prêtre qui n’en sait rien, pas mûr encore… ».
Norwid était orthodoxe dans sa foi, mais la foi qui s’élargit à l’Humanité en souffrance et en maturation permanente. Dieu lui apparaît à travers les personnes rencontrées, et non à travers la dévotion institutionnelle, comme dans la célèbre épigramme sur Michelet :
La dévotion s’écrie : « Michelet sort de l’Église ! »
C’est vrai ; la Dévotion seulement ne s’est pas aperçu,
Que derrière l’église un homme appelle à l’aide,
Qu’il se meurt – que pour que le sang ne parte,
On déchire la chasuble en bande et l’on panse ses blessures (Épigramme II)
Norwid a glorifié le martyre de John Brown ; l’acte héroïque de l’Emir Abd el Kader qui a défendu des chrétiens pendant les massacres syriens de 1860 ; il a décrit sa discussion sur Jésus au milieu de l’océan avec un Israélite, qui constate : « il a été peut-être l’homme le plus idéal » ; il a considéré que « le Globe est l’Église », mais « vous compressez l’Église dans l’autel, et l’enfermez » (Épigramme III). Il a considéré aussi la visite des personnes comme un sacerdoce (Le Stigmate). Tous ces exemples indiquent que les personnes rencontrées dans des circonstances diverses représentaient pour Norwid la Présence de Dieu, la transcendance révélée dans l’immanence, une sorte de la transcendance horizontale.
Le lien privilégié que Jean-Paul II, poète, puis pape a développé avec la poésie de Norwid s’explique par le caractère prémonitoire de la foi de Norwid en l’Église d’après le Concile Vatican II : œcuménique et sensible au malheur des hommes. « L’Église c’est l’humanité précisément – tant qu’elle est animée par le sens du devoir, du travail et assoiffée d’un idéal, même imparfaitement exprimé »[3], résume le critique Jan Błoński, pour expliquer le rapport de Norwid à l’Église.
Le « dualisme » est permanent chez Norwid, dépasse le strict cadre de son rapport à Dieu et à l’Église. On le retrouve dans sa manière de concilier comédie et drame, relations intersubjectives (centrées sur la personne humaine) et « anthropologie collective » (centrée sur l’Homme, les civilisations, les nations), politique et métapolitique (éthique)…
Et notamment dans son théâtre ! Dans le théâtre de Norwid, deux catégories de personnes s’affrontent : les « personnes réelles » et les « marionnettes » (qui représentent des forces collectives – sociales et culturelles) …
La notion centrale pour Norwid est « la coupole » de la culture qui doit unir sa « sphère intérieure, qui la différencie des autres… de la supérieure, qui l’unit aux autres… » (Prométhidion). Le dualisme du travail manuel et spirituel, ou artistique est, chez lui constant, mais il s’agit d’assurer leur unité par la culture, par le « dialogue incessant ». Ce qui pose problème à l’époque « marchande et industrielle », celle de l’individualisme narcissique croissant. Dans le théâtre de Norwid il y a des personnes au sens profond du terme, et des « marionnettes », comparées aux poupées mécaniques, où il n’y a « pas de sentiments, seuls les ressorts ». (Du Journal). Les personnes dans ses drames sont souvent les poètes ou les artistes. L’un des personnages de La Bague de la Grande Dame se plaint du dénigrement constant des autres : « Deviner la dépravation sans cesse (…) C’est – le Golgotha Antichristique. » Heureusement il y a des ententes possibles, comme celle de Madeleine avec Szeliga dans la même pièce. Mais dans les « cercles familiaux », dominent les marionnettes qui « ne consentent pas à se révéler ! »:
[…] des gens […] passent – ils passent…
Se repoussent en dansant ou dans un jeu intime
Mentent couramment, se trompent de bon cœur :
Ni contemporains, ni proches, ne se reconnaissent,
La main dans la main, unis dans la bave de l’étreinte ! (Le Cercle)
Parmi les « marionnettes » dans les « tragédies blanches » il y a des marchands, des juges, des entrepreneurs des théâtres, des auteurs populaires… Des Dames et des dignitaires opportunistes… Les rares exceptions, à part les poètes, sont des personnages historiques liés par l’amour, comme Eginéa de Tyrtée qui répète par trois fois la formule biblique de la présence de Dieu : « Je serai avec toi » ; ou encore le couple de Cléopâtre et César où la reine affirme : « En m’appuyant sur les bras de l’homme, je sens / que je me suis appuyée sur le monde. »
Dans son théâtre les deux types de personnages coexistent, mais contrairement aux marionnettes opportunistes, les personnes sont rares, car cela exige un effort et une maturation intérieure ; ce sont pourtant les seules qui constituent les valeurs et la sagesse du monde, « le sel de la terre ».
Rejetant tout esprit de système, toute « pensée totale » en tant que négation de la subjectivité qui fonde la véritable relation à autrui, Norwid est à rapprocher, dîtes-vous, de la pensée d’Emmanuel Levinas…
Norwid était assoiffé des rencontres, vraies et authentiques et le mot « Visage », cher à Levinas, apparaît souvent dans ses poèmes. Norwid compare l’ambiance de la rencontre à un sacerdoce d’une « harmonie partagée ». Bien qu’éloignés dans le temps et dans l’espace, le poète et le philosophe se trouvent très proches dans leur pensée, hostile aux systèmes et valorisant le face-à-face. On retrouve chez les deux les mots-clés « Poésie et Bonté », selon Norwid les seuls qui resteront de ce monde[4]. L’éthique et la quête du Vrai les guidaient tous les deux, le thème de l’Intimité, surtout si l’on songe à ce passage du poème de Norwid sur ceux, infiniment rares, qui :
Sont entrés en communion avec toi
Comme un homme assis à côté d’un autre homme[5].
Ou encore celui de la rencontre (chez Norwid) ou du face-à-face (chez Levinas). Il était pour eux la condition du lien, de la cohésion de la société qui, sans cela, se désagrège en individus, et la coupole de la culture disparaît. C’est le pressentiment de la crise de l’individualisme narcissique (Lipovetsky), qui empêche toute civilisation de trouver sa cohésion.
La critique norwidienne du « monde moderne », où l’ordre de l’esprit se dégrade à mesure que progresse celui de la matière, est également très présente. Quel héritage nous lègue Norwid pour penser notre temps ?
Le grand héritage de Norwid c’est avant tout l’idée de la solidarité, développée par Joseph Tischner et Jean Paul II, incarnée par l’immense mouvement social Solidarnosc de 1980-1981. Ensuite l’idée de la révolution autolimitée, gagnée par la maturation de l’esprit, permettant d’obtenir la justice sans effusion de sang : c’est la fin de deux cents ans de la domination de l’idéal de la révolution française, jacobine, comme l’affirme notamment François Furet. Enfin, l’idéal de la quête d’une sagesse humaine non systémique, c’est-à-dire non-idéologique sonne comme un testament.
Il est certain que seul le progrès technique ne rassurait pas Norwid. Parmi les facteurs de cette crise de l’époque « marchande et industrielle » il mettait en premier lieu la difficulté de communication et des relations interhumaines. Les difficultés de rencontres véritables, de conversations qui seraient de vraies dialogues, d’entente entre les personnes. Qu’ils soient de la « société », ou non : la rencontre d’une simple bergère réputée « stupide » redonne au poète la foi dans la vie et dans l’écriture (Le Stigmate).
La plus néfaste lui semble ce qu’on pourrait appeler la pluralisation narcissique d’une culture, parce qu’elle mène à l’Anéantissement de la nation, où chacun vit pour soi-même et l’entité d’une culture se désagrège en biographies individuelles. Au contraire, pour renaître en esprit il faut revenir vers une entité supérieure à celle qu’on a reniée, c’est-à-dire par l’Humanité à la Patrie (La Résurrection historique). Ce qu’on pourrait appeler « la copule de la culture », de la nation, de la civilisation, de l’Europe… Il a été dit déjà que pour Norwid l’Église c’est l’humanité, opposée au nationalisme étroit et idolâtre.
Dans sa vision, le dialogue doit avoir lieu non seulement entre les personnes, mais aussi entre les civilisations opposées entre l’Est et l’Ouest, entre la Nord et le Sud. L’origine en revient à Rome (civilisation méditerranéenne), pour créer le lien éthique universel rehaussé par le divin (De la liberté du verbe).
Cela ne peut se réaliser que par le travail commun des hommes qui n’est pas l’œuvre du tonnerre (conquêtes, révolutions), mais du travail patient et silencieux comparé au blé qui pousse et s’épanouit en répandant des grains. Le travail permet la solidarité, travailler pour quelqu’un (la famille), la continuité de la vie. Tout homme participe à la marche de la civilisation, que l’artiste a le pouvoir de sublimer et diviniser. Car « pour être humain, [il faut] être sur-humain… être double et unique »[6].
Toute la poétique « blanche » élaborée par Norwid, construite sur les sous-entendus, les non-dits, les associations, basée aussi sur sa théorie du Silence, fait penser à la métaphore biblique du passage de Dieu qui n’est pas dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le murmure d’une brise légère (1 Rois, 19, 11-12).
La continuité de la vie, de l’effort solidaire menant vers la résurrection de l’homme, est l’horizon qui permet à Norwid un optimisme eschatologique malgré les catastrophes de la civilisation des machines, des spéculations boursières et des banques. Ils ne peuvent empêcher l’homme de chercher à être sur-humain.
La voie de Norwid est celle de la Sagesse, de la méditation « comme un homme assis à côté d’un autre homme » de son poème Les Intimes[7]. C’est la voie pour dépasser la crise de la communication, du solipsisme narcissique et de l’atomisation sociale.
[1] A. Mickiewicz, Les Slaves. 1842-1844), Paris, Musée Adam Mickiewicz, 1914, p. 193-194.
[2] Du Journal, trad. du film Le Cendre et diamant d’A. Wajda, version franç. cit. d’après le livre de J. Fuksiewicz, Le cinéma polonais, Paris, Cerf, 1989.
[3] Cit. d’après C. Norwid, Le Prométhidion…, op. cit., p. 133.
[4] A Bronisław Z[aleski], trad. C. Jeżewski, C.-H. du Bord, Vade-mecum, Noir sur Blanc, 1981, p. 7.
[5] Bliscy, VM, p. 134 ; en polonais « obcowanie » signifie aussi la communion des saints.
[6] De la liberté du verbe, DW IV, 223, trad. J. et M. Masłowski.
[7] VM, op. cit., p. 134.
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