Chacun sait que les révolutionnaires bolchéviks étaient absolument athées et opposés à toutes formes de religion. Cependant, cela ne les empêcha pas de croire, ou de vouloir faire croire aux peuples bouddhistes eurasiens, que l’URSS incarnait la réalisation des anciennes prophéties bouddhiques, et en particulier de celle de Shambhala. C’est une synthèse de cette histoire étonnante que propose Andrei Znamenski dans son livre Shambhala, le royaume rouge, édité au Camion Noir.
On trouve dans la mythologie russe la légende de Belovodie, le « royaume des eaux blanches ». Celui-ci serait une terre pure et paradisiaque, dissimulée quelque part dans l’immensité de la taïga, un fragment subsistant du jardin d’Éden uniquement accessible aux croyants orthodoxes véritablement fidèles. Le « royaume des eaux blanches » deviendra un élément important chez les orthodoxes « vieux-croyants », alors en but aux persécutions au XVIIe et XVIIIe siècles. Le mythe de Belovodie présente une ressemblance typologique certes partielle mais indéniable avec celui de Shambhala, qui est l’objet du Tantra de Kalachakra, un enseignement ésotérique du bouddhisme vajrayana, qui a cours par exemple au Tibet et en Mongolie, mais également en Russie. Selon l’enseignement du Kalachakra, il existerait au nord de l’Himalaya un royaume parfait et paradisiaque appelé Shambhala, dont les habitants immortels sont dévoués au Dharma et à la quête de l’illumination. Mais Shambhala demeure caché et n’est accessible qu’à ceux ayant maîtrisé certains enseignements tantriques. Le Tantra du Kalachakra a également une dimension proprement eschatologique : un jour viendra où le Bouddha sera profané, le Dharma blasphémé, et le Sangha (la communauté bouddhiste) persécuté ; alors du nord déferleront les immenses et invincibles armées de Rudra Chakrin, le dernier roi de Shambhala, qui anéantira les ennemis du Bouddha, fera triompher le Dharma sur la Terre entière, et rétablira ainsi l’âge d’or.
Sans soulever ici la question difficile du lien entre les mythes de Belovodie et de Shambhala (précisons que nous employons évidemment ici le terme « mythe » dans son sens noble, philosophique et platonicien, et non dans son sens bêtement péjoratif et platement positiviste), il n’est pas absurde de penser que leur ressemblance a pu encourager, consciemment ou inconsciemment, la curiosité de certains intellectuels russes pour le Tantra du Kalachakra. C’est Helena Petrovna Blavatsky (1831-1891), la célèbre fondatrice de la Société théosophique, qui, la première, introduira le mythe de Shambhala dans le champ de la culture occultiste occidentale (on peut certes se moquer de l’infâme brouet que constitue le théosophisme de Blavatsky, mais on ne peut sous-estimer son incroyable influence sur des pans entiers de la culture du XXe siècle : du nationalisme indien au cinéma fantastique, en passant par le féminisme, l’ufologie, et même le néo-nazisme). Celle-ci prétendait transmettre les enseignements de maîtres surhumains et cachés, les mahatmah, qui veillaient sur l’évolution physique et spirituelle de l’humanité depuis leur résidence secrète de Shambhala. Une décennie après la fondation de la Société théosophique (1875), un occultiste français, Alexandre Saint-Yves d’Alveydre (1842-1909) publia un livre : Mission de l’Inde en Europe (1886). Dans cet ouvrage, son auteur affirmait l’existence quelque part en Asie centrale d’un ancien royaume souterrain, l’Agartha, dépositaire d’une connaissance spirituelle primordiale, et d’une science extrêmement avancée.
Des « théosophes » rouges
Blavatsky et Saint-Yves d’Alveydre seront beaucoup lus dans le milieu occultiste russe fin-de-siècle. L’un de ses représentants, Alexandre Bartchenko (1881-1938), fusionnera les conceptions de ces deux auteurs et émettra l’idée que les connaissances spirituelles et scientifiques de la cité secrète de Shambhala, ultime conservatoire d’une ancienne civilisation préhistorique oubliée, pourraient servir la cause de la révolution russe, pour peu que les bolcheviks se lancent à sa recherche. Dès 1919, il commence à donner des conférences sur ce thème à Petrograd (ancienne Saint-Pétersbourg, future Leningrad). Il ne fallut pas longtemps avant que les activités de Bartchenko n’attirent l’attention de la police politique, la Tcheka, et que ce dernier ne soit arrêté et interrogé. Cependant, le sort voulut que l’agent chargé de mener son interrogatoire fût Constantin Vladimirov (1883-1928), un autre féru d’occultisme avec lequel il sympathisa et qui s’enthousiasma pour ses idées. Fort du soutien de Vladimirov, Bartchenko tenta de faire valoir auprès des instances bolcheviks son idée d’envoyer une expédition à la recherche de Shambhala. Il tomba cependant sur un écueil de taille : l’opposition irréductible de Serge Oldenbourg (1863-1934), spécialiste mondialement reconnu du bouddhisme, que son prestige académique et sa volonté de coopérer avec le nouveau pouvoir avaient protégé des purges (malgré son ancienne appartenance à la tendance libérale), et qui ne verra jamais dans Bartchenko autre chose qu’un charlatan et un idiot. Conscient que passer outre cet obstacle politico-académique exigerait un soutien de poids, Bartchenko demande à Vladimirov de le mettre en contact avec l’un de ses supérieurs. Celui-ci parvient à arranger fin 1924 une rencontre à Moscou avec Gleb Boki (1879-1937), anciennement en charge de la Tcheka de Petrograd, devenu depuis chef de la section de cryptographie de la Guépéou.
Boki, après avoir été un agent enthousiaste de la répression pendant des années (ce serait même lui qui, le premier, aurait proposé d’exploiter les « opposants » dans des camps de travail), commençait alors à douter que le socialisme soviétique soit le chemin du bonheur universel. Il se laissa ainsi convaincre par Bartchenko et en vint lui aussi à penser que les anciennes connaissances spirituelles et scientifiques préservées à Shambhala étaient ce qu’il manquait à la jeune URSS pour réaliser la société communiste promise par le matérialisme dialectique ! Boki invita alors Bartchenko à s’installer à Moscou, et parraina ses recherches, en particulier celles sur la télépathie (la curiosité des services spéciaux pour la parapsychologie fut en effet une constante de l’histoire soviétique). Mais la collaboration entre les deux hommes alla beaucoup plus loin. Ensemble, ils formèrent une petite communauté spiritualiste, fondée sur les enseignements occultistes de Bartchenko, où étaient pratiqués des rites sexuels soi-disant tantriques, parodiant les sacrements chrétiens (ils auraient été en contact avec un représentant bien connu de la magie sexuelle : le fameux Aleister Crowley). Leur projet d’expédition avorta toutefois rapidement, du fait de l’hostilité du commissaire du peuple aux Affaires Étrangères Georges Tchitcherine (1873-1936), qui n’appréciait guère Boki. Après cet échec, l’histoire de ce petit groupe devient tragique. Fin 1937, Staline décide de purger le NKVD de Genrikh Iagoda et de ses collaborateurs, dont Boki qui est fusillé. Bartchenko, qui avait pourtant trahi son ami en témoignant contre lui, le suit en 1938 (Vladimirov avait déjà été exécuté dix ans auparavant, au motif que l’une de ses maîtresses aurait été une espionne britannique). On aurait tort de penser que le refus de Tchitcherine ne fut motivé que par son hostilité personnelle envers Boki. En effet, Tchitcherine était également tout à fait capable de juger quant au fond du manque de sérieux de ce dernier, car il avait déjà été entretenu du Tantra du Kalachakra par un homme d’une toute autre trempe que Bartchenko : le lama bouriate Agvan Dorjiev.
Le Bouddha et la momie
En 1917, Lénine publie l’un des livres les plus influents du XXe siècle, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, dans lequel il théorise un lien intrinsèque et nécessaire entre capitalisme et colonialisme. Cet ouvrage est la raison séminale pour laquelle tant de mouvements s’affirmant anticoloniaux inscriront leurs luttes dans un cadre marxiste-léniniste (citons par exemple le Viet-Minh, le Black Panther Party, ou encore le Front Populaire de Libération de la Palestine). Ce positionnement anticolonial connut sa première manifestation importante en 1920 lors du Premier Congrès des Peuples d’Orient qui se tint à Bakou (aujourd’hui capitale de l’Azerbaïdjan), à l’instigation du secrétaire général du Komintern Grigori Zinoviev (1883-1936), et durant lequel le musulman tatar et militant bolchévik Mirsaïd Sultan-Galiev (1892-1940) prononcera un discours devenu célèbre, assimilant la cause socialiste et le jihad islamique. Dans le même ordre d’idée, Karl Radek (1885-1939), proche collaborateur de Zinoviev au sein du Komintern, exalta la mémoire de Gengis Khan, divinisé par les Mongols et considéré comme une déité protectrice du bouddhisme, pour pousser les peuples d’Asie centrale à déferler sur l’Occident capitaliste.
Dès le début des années 20, les disciples de Lénine ont ainsi souhaité mettre les prophéties eschatologiques du bouddhisme eurasien au service de la cause révolutionnaire. Le principal lien entre les bolchéviks et le bouddhisme fut le lama Agvan Dorjiev (1853-1938). Ce dernier fut le précepteur et l’ami du XIIIe dalaï-lama, alors dirigeant du Tibet. Il devint par la suite l’ambassadeur de celui-ci auprès du tsar Nicolas II (et inversement), dont il était également proche. C’est pour sceller ces liens d’amitié avec le Tibet que le tsar autorisa, sur recommandation de Dorjiev, la construction d’un temple bouddhiste en plein centre de Saint-Pétersbourg (du reste, Nicolas II était lui-même un admirateur de l’Asie ; il s’était même fait tatoué un dragon sur l’avant-bras lors d’un voyage de jeunesse au Japon). Mais Dorjiev avait ses propres projets politiques : il rêvait d’une union des peuples bouddhistes d’Asie centrale, au sein d’un grand État panbouddhiste placé sous la protection de l’empire russe. Il réinterpréta ainsi le Tantra du Kalachakra à l’aune de ce projet, faisant de la Russie une manifestation symbolique de Shambhala et de Nicolas II une incarnation de Rudra Chakrin (il était déjà habituel depuis le XVIIIe siècle parmi les bouddhistes de l’empire de voir dans la figure de l’empereur russe une incarnation de la déesse tibétaine Tara blanche ; l’interprétation de Dorjiev n’était donc pas sans lien avec les coutumes du bouddhisme russe, elles-mêmes possiblement liées à la légende messianique orthodoxe du « tsar blanc »). L’empire russe était cependant loin d’être le seul acteur dans la région, et sa rivalité avec l’empire britannique en Asie centrale (le fameux « Grand jeu ») rendait illusoire les projets de Dorjiev (au passage, on peut relever que le fameux « baron fou » Ungern-Sternberg n’était peut-être pas si fou que cela, puisque son idée d’unir les peuples bouddhistes contre les bolchéviks s’inscrivait, comme on le voit, dans une certaine continuité avec la politique asiatique de Nicolas II). Après la révolution, Dorjiev fut inquiété par la Tcheka, mais fut relâché et finit même par travailler avec les bolchéviks. Il éveilla en particulier l’attention de ces derniers sur le potentiel politique du Tantra du Kalachakra.
En 1921, le baron Ungern fut vaincu, et la ville d’Ourga en Mongolie (aujourd’hui Oulan-Bator) fut prise par une armée soviétique composée de Mongols, Bouriates et Kalmouks (des peuples bouddhistes) recrutés, formés, et armés par ce qui ne s’appelait pas encore l’URSS. Une cérémonie bouddhique eut alors lieu, durant laquelle un officier de l’état-major d’Ungern fut rituellement sacrifié (la mystique guerrière du bouddhisme mongol est en effet assez éloignée du « bouddhisme type appli de méditation »). Le Bogdo-Gegen, chef spirituel des bouddhistes mongols, dirigeait officiellement la Mongolie, mais dans les faits, le gouvernement était entre les mains des bolchéviks mongols. À la mort du Bogdo-Gegen en 1924, ces derniers affirment opportunément que ce dernier ne connaîtra pas de réincarnation (les Bogdo-Gegen forment en effet une lignée de lamas réincarnés, similaire à celle du dalaï-lama), et en profite pour proclamer la République populaire mongole. Ce changement de régime avait été préparé en amont par toute une propagande dans laquelle on retrouve de nombreux éléments élaborés par Dorjiev : affirmation de la compatibilité, voire même de la complémentarité, du bouddhisme et du communisme (de façon tout à fait hypocrite, comme le démontreront les persécutions à venir) ; identification symbolique de l’URSS à Shambhala ; culte de Lénine (qui vient de mourir), assimilé à une divinité bouddhique.
Forts de leur succès en Mongolie, les bolchéviks tentèrent de réitérer l’opération au Tibet. Plusieurs expéditions diplomatiques furent ainsi envoyées vers le « Royaume Interdit », afin de pousser le dalaï-lama à accepter la suzeraineté soviétique, face à ses ennemis britanniques et chinois. Mais ce dernier n’était guère prêt à brader l’indépendance de son pays, et joua efficacement de la rivalité entre les trois empires qui le cernaient, aucun n’ayant intérêt à ce que le Tibet ne tombe entre les mains d’un de ses rivaux. L’URSS fournissait ainsi des armes à l’armée tibétaine contre la Chine, alors que le contre-espionnage britannique prévenait systématiquement le dalaï-lama de l’activité des agents bolchéviks sur son territoire… Bref, Lhassa nid d’espions !
En 1925, le dalaï-lama purgea cependant son gouvernement de ses éléments les plus anglophiles. Georges Tchitcherine y voit rapidement une occasion de faire avancer l’influence soviétique au Tibet. Mais se doutant également du triple jeu du dalaï-lama, il décide de monter une opération « sous faux drapeau » avec l’aide des bolchéviks mongols. Ces derniers se présentèrent très officiellement à la cour du Potala comme une ambassade bouddhiste, venue discuter de problèmes strictement théologiques et religieux avec le dalaï-lama. Cette ambassade devait par la suite servir de base pour noyauter l’armé tibétaine et acheminer des armes en prévision d’un coup de force. Pour gagner la confiance du dalaï-lama, ces faux bouddhistes pouvaient compter sur une lettre de recommandation que leur avait faite Agvan Dorjiev, qui était toujours un proche du chef spirituel tibétain. Toutefois, le vieux lama bouriate se retourna alors contre les soviétiques, et fit parvenir en secret un autre courrier au dalaï-lama, le prévenant du complot ourdi par Tchitchérine. Ainsi prévenu, ce dernier sut manœuvrer avec subtilité. L’ambassade n’obtint ainsi aucun résultat probant, mais les bolchéviks mongols devinèrent que quelqu’un avait renseigné le dalaï-lama. Cette affaire contribua-t-elle au destin tragique de Dorjiev ? Difficile à dire. Toujours est-il que le lama fut arrêté en 1937, et mourut durant sa détention. Étrange destin que celui de cet homme qui fit un peu trop facilement monnayage de son amitié, mais sut finalement rester fidèle au Tibet.
L’autre pèlerin russe
Tchitchérine n’était pas homme à mettre tous ses œufs dans le même panier, et Dorjiev n’était pas la seule carte qu’il avait en main. Dès 1925, il reçut un message de l’ambassadeur soviétique à Paris Léonid Krassine, celui-là même qui avait un an plus tôt dirigé la momification de Lénine (non sans l’espoir qu’un jour, une science socialiste supérieure puisse le ressusciter). Ce message lui signalait l’existence d’un émigré russe qu’il pourrait manœuvrer : Nicolas Roerich (1874-1947).
Ce dernier, peintre de profession, était également un occultiste, épigone de Blavatsky. Converti à l’idée qu’il se faisait du bouddhisme, il fut l’auteur des vitraux du temple bouddhiste de Saint-Pétersbourg construit par Nicolas II et Agvan Dorjiev. Peu avant la révolution, il quitta l’empire et s’installa aux États-Unis, où il commença à élaborer sa propre pensée théosophique : l’agni yoga. Roerich considérait que les temps eschatologiques annoncés par le Tantra du Kalachakra étaient venus, et que les mahatmas cachés de Shambhala lui avaient donné la mission messianique de faire advenir un nouveau royaume de paix et de justice, unissant tous les bouddhistes sous la bannière du panchen-lama, dignitaire religieux tibétain qui, à l’époque, s’opposait au dalaï-lama et était proche de la Mongolie socialiste. Les mahatmas lui avaient de plus révélé fort opportunément que l’URSS avait un rôle-clé à jouer dans la réalisation des prophéties de Shambhala. On comprend que Tchitchérine ait tout de suite perçu Roerich comme un atout potentiel dans son projet de subversion du Tibet. De plus, ce dernier était citoyen américain, ce qui ne gâchait rien. Il pouvait l’envoyer faire de l’agit-prop pro-soviétique au Tibet pour déstabiliser le régime du dalaï-lama (que Roerich méprisait et surnommait le « pape jaune », ce qui n’était assurément pas un compliment dans sa bouche), et si Roerich se faisait arrêter par les autorités tibétaines ou britanniques, il pourrait toujours arguer que ce dernier était en fait un espion américain !
Tchitchérine rencontre finalement Roerich à Moscou en juin 1926. Le théosophe y informe le bolchevik que les mahatmas immortels, qui guident l’évolution spirituelle de l’humanité depuis des temps immémoriaux, considèrent que bouddhisme et communisme sont une seule et même idée, et qu’ils souhaitent sa victoire en Asie centrale. Avec un cynisme certain, Tchitchérine interdit à Roerich de diffuser ses livres en URSS, mais accepte de l’aider à se rendre dans le « Royaume Interdit », afin qu’il y répande ses idées eschatologiques pro-soviétiques auprès des masses bouddhistes.
Roerich quitta finalement Ourga pour le Tibet en avril 1927. Son expédition avait l’apparence d’une procession religieuse bouddhique, défilant derrière le drapeau américain ! Mais les autorités tibétaines lui interdirent l’entrée dans leur pays. En effet, le dalaï-lama fut prévenu par les services secrets britanniques des intentons derrière la venue de cet étonnant étranger, qui affirmait être rien de moins qu’une incarnation de Rudra Chakrin. L’expédition fut finalement déroutée par les tibétains vers le Sikhim anglais. Ce n’est cependant pas la fin de l’histoire de Roerich et de sa folie des grandeurs, mais il cessa après cette « aventure » de se référer à l’URSS. Il faut croire que les mahatmas de Shambhala avaient fini par se renseigner sur ce qu’était le marxisme-léninisme.
Dans son célèbre roman Le maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov (1891-1940) montre comment la dureté du totalitarisme stalinien cohabite avec une société soviétique largement anarchique, où la débrouille et la triche sont les maîtres-mots. Il nous présente ainsi une URSS vivante, grotesque, et qui n’a rien d’un monde monolithique. De façon similaire (le talent littéraire en moins cependant), le livre de Znamenski nous montre que l’idéologie bolchévique n’était pas non plus si univoque que cela, et que si elle fut indubitablement totalitaire (son but n’est certainement pas de nier ce fait indéniable), elle put également s’apparier dans certains contextes avec certaines idées religieuses, par conviction parfois, par calcul souvent. On constate donc que le visage que présentaient les bolchéviks à l’Occident, celui de marxistes purs et durs n’hésitant pas à fustiger les compromissions de ceux que Lénine appelait les « sociaux-traitres », n’était que l’un d’entre eux, et qu’ils surent en présenter un autre, fort différent, adapté aux peuple eurasiens, prouvant par là qu’ils n’avaient pas oublié les leçons de Marx sur la priorité de la praxis.
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