Manif pour tous, critique de l’antiracisme, défense inconditionnelle de la liberté d’expression, volonté de renouer avec un destin national : un mouvement de réaction semble bel et bien gagner du terrain en France depuis quelques années. Nous tenterons ici d’analyser sa valeur intrinsèque et d’appréhender son avenir.
« Réactionnaire » : encore un mot galvaudé. C’est devenu un fourre-tout, un concept mou, comme « fasciste » autrefois. Il y a une différence néanmoins. Ceux qu’on accusait de fascisme s’en défendaient avec vigueur. Aujourd’hui, ceux qu’on taxe de réactionnaires ont tendance à assumer : « Oui monsieur, je suis réactionnaire ». Dès lors, le soupçon s’impose. Si les faux fascistes d’hier refusaient l’appellation, pourquoi les faux réactionnaires d’aujourd’hui s’en satisfont ?
Il faut poser la question. Qu’est-ce qu’un réactionnaire ? S’ils semblent pulluler, peu connaissent la définition de ce mot. A minima, un réactionnaire est quelqu’un qui réagit, qui s’oppose, qui se positionne contre, certes. Mais qui réagit à quoi ? Au progrès, à la modernité, à la République ? Au départ, les réactionnaires sont ceux qui contestent la légitimité de la Révolution française. Un authentique réactionnaire est un partisan de l’Ancien Régime. La réaction désigne donc la volonté d’un retour à un ordre ancien. En cela, il se distingue du conservateur qui souhaite seulement préserver l’ordre présent. Le réactionnaire est un contre-révolutionnaire. Le réactionnaire est un monarchiste.
Nous sommes aujourd’hui très loin de cette définition stricte de la réaction. La référence à une option politique précise a disparu. Nous conviendrons cependant que le réac est volontiers de droite. Si les réactionnaires de jadis s’opposaient aux révolutionnaires, les réacs d’aujourd’hui s’opposent aux bobos. Combat de nains : il est clair que les réacs ne sont pas réactionnaires, au moins autant que les bobos ne sont pas révolutionnaires. Les poncifs du réac valent bien ceux du bobo. Le réac dénonce la bien-pensance, le réac dénonce la boboïsation, le réac se gargarise de sa prétendue liberté d’expression, le réac critique l’antiracisme. Tout ceci est d’une grande banalité… À tel point que c’est désormais une mode. C’est Julien Dray qui le dit. Avant il y avait Zemmour. Aujourd’hui, il y a Zemmour, Polony, Ménard, Finkielkraut, Camus, Millet, Tillinac… Les réacs sont sortis du bois.
Qu’il est bien-pensant de mal penser !
La pensée réac est inféconde. Elle n’existe et ne se définit que par opposition à l’indigence bobo. Parce que le réac pense mieux que le bobo, il estime penser bien. On nivelle vers le bas. On fait le beau face à Caron. On fait le beau face à Roger-Petit. On fait le beau face à Plantu. On fait le beau face au gauchisme – « maladie verbale du marxisme » disait Pasolini. On fait le malin. Mais finalement on radote. Et on radote depuis des années. Une pensée juste répétée à outrance s’épuise d’elle-même. Elle écœure. Elle se vide. Elle tourne en rond. Une pensée doit pouvoir conserver son originalité. Seule la pensée géniale est pour toujours juste et originale. La posture réac a fait son temps. Comme la posture bobo avant elle. Le transgressif se mue petit à petit en conformisme. Quoi de plus normal aujourd’hui que de penser réac ? Il faut dépasser l’antinomie. Nous sommes sérieux. Nous ne voulons pas la victoire des bobos, ni celle des réacs. Nous voulons la victoire de la pensée. Et la pensée implique le mouvement.
La bien-pensance change de camp. Il est important de le comprendre. Même si cette bien-pensance s’appelle mal-pensance. Qu’il est bien-pensant de mal penser ! Les affreux réacs sont en train de gagner la partie. Ils rebâtissent ce qui a été démoli. Les cathédrales se dresseront bientôt de nouveau et il faudra être attentif. Regarder de près de quelles cathédrales il s’agit. Peut-être même faudra-t-il les détruire à nouveau. Surtout, ne pas se laisser tromper.