La Planète des singes : l’affrontement de Matt Reeves, hommage tardif au cinéma de John Ford

La série de films La Planète des singes n’est pas seulement prétexte aux effets spéciaux et aux maquillages époustouflants.  Elle traite à sa manière un thème majeur du récit américain, la conquête de l’Ouest. Le nouveau blockbuster de Matt Reeves constitue-t-il un simple étalage technologique ou se risque-t-il à un retour aux sources ?

La prisonnière du désert, de John Ford
La prisonnière du désert, de John Ford

La Planète des singes de 1968 s’insérait dans la grande tradition littéraire américaine de la conquête de l’Ouest. La question de la frontière et de la cartographie, telle qu’elle est décrite par l’essayiste Pierre-Yves Petillon, venait combler la peur des espaces vides et sauvages du Nouveau Monde. C’est dans cette logique de la conquête que le western s’est imposé comme le « genre américain par excellence », selon le mot du critique André Bazin. Or, l’un des principaux cinéastes de la conquête de l’Ouest et de la définition des frontières fut assurément John Ford dont Matt Reeves s’inspire dans sa mise en scène, jusqu’au choix des motifs : après le prologue du film, le groupe d’humains revient vers sa colonie. Et dans l’encadrement d’une porte, Gary Oldman, en contre jour, attend avec anxiété les nouvelles du monde de l’autre côté de la frontière. Plan simple et célèbre que John Ford inventait dans l’un des plus beaux westerns américains, La prisonnière du désert.

Vaste western fordien, en réalité, que cet affrontement entre hommes et singes, rappelant les violents conflits entre colons et Amérindiens, avec toute l’ambiguïté qu’implique un tel héritage. Après des premières œuvres manichéennes, John Ford fut l’un des seuls réalisateurs classiques à se remettre en cause avec l’arrivée du « sur-western »  à la suite de la Seconde Guerre mondiale. La prisonnière du désert, sans pour autant porter un regard révolutionnaire sur les Indiens, fut un des premiers films à modérer la diabolisation des natifs et à proposer autre chose qu’une haine aveugle. Or, ce nouvel opus de la planète des singes passe par les mêmes états d’opposition / rapprochement.

Andy Serkis-Cesar
Andy Serkis-Cesar

Même si le jeu d’opposition esquisse un schéma binaire  à la limite du déplorable – lors de l’arrivée des singes vers la colonie humaine, le héros campé par Jason Clarke s’avance, en blanc, face à la marée noire menaçante – force est de constater que Matt Reeves propose une véritable réflexion esthétique sur la question de l’origine. D’autant que la binarité est vite relativisé par les rapports ambigus des personnages (les hommes en cage ou les singes en cages selon l’espèce dominante, tension présente dans les versions précédentes).

Un certain classicisme narratif

Pourtant, le cinéaste aurait pu se fondre gratuitement dans la logique du blockbuster et laisser les commandes aux talentueux acteurs, mention spéciale à Andy Serkis, devenu véritable icône du numérique. De Gollum à King Kong en passant par le capitaine Haddock, Serkis a su exister avec charisme sous le lourd attirail digitalisé. Sa démarche imposante, son regard perçant, son corps respirant la toute puissance, autant de dangers pour les réalisateurs, tentés de subir la majesté des déplacements de l’acteur. En ce sens, Matt Reeves ne fait pas exception. Il cherche à mettre en valeur la solennité de Serkis à travers la composition du cadre ou  les entrées de champ. Outre cette majesté qui s’oppose radicalement à la sécheresse de la version de 1968 ou à l’exotisme de la version Burton, la narration s’impose simple, directe, sans fioriture ni flash back. Et la réalisation claire et limpide vient appuyer ce récit rectiligne et parfois prévisible.

Charlton Heston dans la version de 1968
Charlton Heston dans la version de 1968

Cette simplicité et cette transparence sont marquées par un retour aux sources narratives américaines (aussi par un retour aux expérimentations narratives hollywoodiennes : le passage du muet au parlant, qui ne glissa par directement du silence absolu à la continuité dialoguée, rappelle les singes alternant langage des signes et parole) et par un enseignement tiré de l’histoire de l’humanité. Le scénario, justement, ne fait que reprendre des récits historiques bien connus comme celui du débordement staliniste face à la révolution bolchévique et rappelle des personnages de la littérature comme l’oncle d’Hamlet et le cochon de La ferme des animaux. Ces histoires de jalousie et de quête du pouvoir sur fond de contre-utopie socialiste nous ont déjà été contées.

Il faut donc aller plus loin dans le visionnage de cet épisode pour ne pas être hypnotisé par la mise en scène séduisante de Matt Reeves. La Planète des singes : l’affrontement est un blockbuster assumé qui n’a pas peur de frôler les idéologies bannies d’Hollywood, de revenir vers des lieux communs esthétiques, et qui, sous les couches numériques et les sentiers battus narratifs, parvient à générer toute l’excitation d’une première rencontre, avec un siècle de retard.