Un artiste qui s’exprime sur un autre artiste est toujours plus intéressant que n’importe quel critique, chroniqueur, journaliste ou autre employé de l’ennui. Le cas Michel Houellebecq a été traité à de nombreuses reprises, mais rarement avec une lucidité propre à l’artiste. L’écrivain Marc-Édouard Nabe s’est penché sur le sujet.
Il en a quasiment fait un livre, Le vingt-septième, sous forme de lettre ouverte, dans laquelle il lui parle, directement, à « Michel ». Ils étaient voisins d’immeuble, au 103 rue de la Convention, à Paris. Nabe compare leurs destins respectifs, leurs trajectoires radicalement opposées. L’un tout droit vers le succès, l’autre aussi droit, mais vers l’échec. Dieu lui-même a choisi Houellebecq, et, quoi qu’il fasse, quoi qu’il se passe, il est gagnant. Ça ne peut être qu’une intervention divine qui l’a désigné comme le best seller de notre époque, et c’est tout. Rien ne pourrait y changer quoi que ce soit. Attention ! Il ne le blâme pas d’être un écrivain « à succès », il y voit au contraire une victoire de la Littérature même. Notons que Nabe le considère comme un écrivain, ce qui, sous sa plume, est un sacré compliment. La preuve : il ne le compte pas parmi les hommes de lettres qui eux, n’évitent pas les balles : « Tous tocs, bluffeurs, fabriqueurs, copieurs, paresseux, pas doués, démagos, lâches, sans grâce et sans grandeur… Leurs livres sont pires que nuls : ils sont « pas mals », et ça leur suffit ! » Il se réjouit sincèrement que Houellebecq les ait niqués ! Sur le plan de la notoriété et de la gloire en tout cas. Là où ça leur fait le plus mal. Non, Nabe n’est pas jaloux de Houellebecq. Ses plus hargneux contradicteurs ne diront pas le contraire : il est beaucoup trop égocentrique pour cela ! Il n’échangerait aucun de ses livres contre l’œuvre entière de son homologue. Mais le plus narcissique des deux écrivains n’est pas forcément celui que l’on croit.
La mort contre la Vie
L’islamophobe de la Littérature vu par l’antisémite. Voilà qui ferait plaisir au Monde, au Nouvel Obs ou encore à Médiapart. Non, c’est bel et bien la vision d’un artiste adulé par un autre, étouffé. Houellebecq n’est pas un simple reflet de notre société : notre société, c’est Houellebecq ! Du triste, du fade, du laid, du laïc, du sinistre, du libéral, de l’amertume, de la complaisance, de l’anxiété, de la misère sexuelle… Quoi de plus logique que sa célébration unanime ? Car même ceux qui le critiquent, qui montent une polémique bénigne et oiseuse sur son dernier livre, ne remettent jamais en cause le fait qu’il est le plus grand écrivain contemporain. « La mode intellectuelle est à la complaisance dans le nihilisme, le vautrement dans la négativité, l’installation apeurée dans le néant confortable », écrit Marc-Édouard Nabe. Glorifier la mort, c’est la recette de Houellebecq, qui colle indéniablement à notre époque. Bingo ! Son intelligence n’est pas en cause. Il prend le monde actuel, l’ingurgite, l’adapte, et le transpose dans un roman. Un style plat pour un monde plat. C’est une technique comme une autre. Tout l’inverse de Nabe, qui lui, par sa prose, la puissance de ses récits, a pour volonté de sublimer, de subjuguer, de transcender la vie dans ses livres. Quand il décrit l’horreur de la modernité, c’est avec splendeur, ferveur, fureur. De nos jours, l’inertie encule l’énergie, c’est un fait. En étant du côté de la Vie, l’auteur d’Au régal des vermines écrit s’être trompé, mais à la manière d’Ezra Pound : « Un échec qui vaut toutes les réussites de son époque. »
L’improbabilité contre la Vérité
Houellebecq est drôlement adroit d’un point de vue sociologique, son état des lieux est assez juste, mais il n’en fait rien. Rien ne ressort de ses livres, rien d’autre qu’un simple constat amer, aucune issue. Contrairement à tous ceux qui font semblant de l’adorer, Nabe a bien lu les livres de son ancien voisin. L’anticipation, le fameux truc de Houellebecq, qui orne tous ses romans, est un leurre. Pour l’infréquentable de la Littérature, toutes ses prévisions tomberont aussi justes que les interprétations actuelles d’un Soral ou d’un Meyssan. Peu importe, un roman peut être totalement fictionnel, si cela paraît « vrai », mais hélas… Houellebecq et ses lecteurs doivent convenir et assumer le fait d’évoluer dans le fantasme, à des années-lumière d’une réalité qui les dépasse. La fabulation affirmée avec tant d’assurance ne mérite pas d’être prise au sérieux. Si Nabe grossit les traits, les siens et ceux de Houellebecq, ils n’en demeurent pas moins réalistes, contrairement aux fausses caricatures des peoples personnages de roman houellebecquien. Il rappelle les goûts littéraires de « Michel », principalement les écrivains du XIXème, surtout pas les grands du siècle dernier, que le public n’a pas encore digéré… Son côté réactionnaire, dont la France a terriblement besoin en ce moment, est nourri par les Flaubert, Balzac, Baudelaire, Jules Verne. On ne peut que le répéter : le triomphe de cet ancien informaticien est totalement logique et ne doit rien au hasard. Encourager avec dédain l’homme moderne dans sa médiocrité, il ne pouvait qu’adorer. « Le lecteur ne veut pas avoir en face de lui quelqu’un de plus vivant que lui sur du papier… Si l’écrivain est aussi éteint que lui, alors il le sacre : Quelconque 1er. » Michel Houellebecq a dérobé la destinée de Marc-Édouard Nabe : être l’écrivain subversif de son époque. Enfin plutôt sa parodie, car qui pourrait nier que l’écrivain au physique « mi-déporté, mi-cancéreux » est éminemment du côté du pouvoir et pleinement dans le sens du vent ?