Au cours des années 1930, la puissance des organisations antirépublicaines ne cesse de prendre de l’ampleur. Celles-ci fédèrent de nombreux militants monarchistes ou fascistes. De tous ces groupes, seul le Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR) dit « la Cagoule », fut proche de réussir son objectif : prendre le pouvoir et abattre la république.
L’atmosphère est glaciale en ce début de soirée du 6 février 1934. Sur la place de la Concorde, les gardes mobiles sont peu nombreux et inquiets. Dans son bureau de l’hôtel Matignon, Édouard Daladier, le président du Conseil, est loin de prendre conscience de l’ampleur de la manifestation qui commence à gronder à quelques rues de là. À l’appel de nombreux mouvements patriotiques comme l’Action française ou les Croix-de-Feu, des milliers de manifestants s’attroupent autour du palais Bourbon. L’ambiance devient rapidement insurrectionnelle. Les militants antirépublicains scandent leur cri de ralliement : « À mort la Gueuse ! » Au cours de la nuit, la police, débordée, n’est plus capable de défendre la Chambre des députés. La rue semble aux mains des émeutiers, mais le colonel de la Rocque, chef des Croix-de-Feu, se refuse cependant à lancer l’assaut final et scelle l’échec du coup de force. Pour beaucoup des manifestants, la déception est grande et les amène à penser que l’action légale a fait long feu. Dans les jours suivants, certains décident d’entrer dans la clandestinité afin de fomenter un coup d’État pour, selon eux, sauver la France du péril communiste. Ces dissidents de l’Action française créent alors le Parti national révolutionnaire (PNR) : vient de naître le mouvement qui deviendra quelques temps plus tard la Cagoule.
Deux ans après, le 3 mai 1936, Léon Blum devient chef du gouvernement. Le Front populaire suscite un fort espoir dans le peuple. Mais, dirigé par « un juif », ce gouvernement socialiste exaspère une grande partie de l’extrême droite. Pour beaucoup de ces militants, l’antisémitisme, associé étroitement à la peur du « péril rouge », sont des éléments décisifs de l’engagement politique. Inquiet, le 18 juin, le nouveau gouvernement décide d’interdire les ligues dont l’importance grandissante menace la sécurité publique. Le jour même, Eugène Deloncle, chef du PNR, décide de dissoudre son parti et de créer le Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR), rapidement surnommé « la Cagoule » par le grand public et la presse.
Décidé à l’action violente et terroriste, le mouvement reste cependant discret au départ. Les mesures prises par Marx Dormoy, ministre de l’Intérieur, pour s’attaquer à ce mystérieux groupe sont raillées par le grand public. Il y gagne le surnom de Fantômarx, parodie de Fantômas, le grand roman populaire qui passionne alors les foules. Très actifs, les cagoulards vont bientôt marquer les esprits. La Cagoule décide en effet d’agir au plus vite dans un pays qu’elle considère en situation de pré-insurrection communiste avec à sa tête un gouvernement socialiste, soupçonné selon elle d’être aux ordres de Moscou.
L’organisation de la Cagoule
Le mouvement porte l’empreinte de la personnalité de son chef, Eugène Deloncle. L’homme est autoritaire et possède le goût du secret. Ancien combattant de la Grande Guerre, c’est un nationaliste fervent, germanophobe viscéral, et dissident de l’Action française. Il impose des noms de code à ses membres et des rites sur le modèle de la franc-maçonnerie. L’organisation est structurée comme une formation militaire : à la base des cellules légères composées de sept à douze hommes et réunies en unités, bataillons et régiments prêts au combat grâce à l’implantation de nombreuses caches d’armes réparties dans Paris. Deloncle estime ses forces à 12 000 hommes dont 5 000 combattants prêts à quadriller la capitale pour le grand soir.
Pour renverser le pouvoir, la Cagoule souhaite obtenir l’appui de l’armée. Cette Cagoule militaire prend la forme de groupes d’autodéfense au sein des unités. La crainte d’une infiltration communiste amène un certain nombre d’officiers à adhérer ou soutenir le mouvement. Le général Duseigneur, cagoulard proche de Deloncle, joue un rôle décisif dans cette mission. C’est le maître d’œuvre de cette politique de noyautage de l’armée qui va toucher de nombreux soldats, mais également des officiers supérieurs tels le général Giraud ou le maréchal Pétain. Comme beaucoup de militaires de haut rang de cette époque, ils seront sympathisants du mouvement, sans jamais pour autant y adhérer. Au-delà de ces soutiens dans l’armée, Deloncle obtient également l’adhésion d’une partie du patronat et des grandes entreprises, comme Michelin, Lesieur ou L’Oréal. Toutes fournissent un appui financier essentiel.
Mussolini est un modèle pour les chefs de ce mouvement. Deloncle estime que le coup d’État se doit de suivre les méthodes exposées par Malaparte dans Technique du coup d’État. Dans ce livre, l’auteur italien développe la thèse de Trotski pour qui « mille hommes bien entraînés et bien exercés pouvaient s’emparer du pouvoir dans n’importe quel pays d’Europe, en France comme en Angleterre, en Allemagne comme en Suisse ou en Espagne. » À l’image des chemises noires mussoliniennes, les cagoulards revendiquent l’action violente. Les exactions et les meurtres se multiplient sous leur égide à l’encontre de soi-disant traîtres assassinés par empoisonnement ou par armes à feu. Afin de plaire aux fascistes italiens avec lesquels le CSAR est en contact pour obtenir armes et soutiens logistique et politique, les cagoulards exécutent les frères Rosselli, des antifascistes réfugiés en France. Selon leur projet de prise de pouvoir, les cagoulards espèrent pouvoir instaurer un État militaire fasciste pour sceller, avec les autres dictatures européennes, une alliance dirigée contre le Royaume-Uni.
La nuit du Putsch
Dans la nuit du 11 septembre 1937, vers 22 heures, deux puissantes explosions retentissent dans le quartier de l’Étoile. Le siège de la Confédération générale du patronat français et celui de l’Union des industries métallurgiques sont détruits. Pour la presse de droite, ces actes sont sans nul doute signés par l’extrême gauche. L’auteur des faits est pourtant un cagoulard, un dénommé Locuty qui sera finalement arrêté quelques mois plus tard. Il déclarera alors : « J’ai agi pour obéir à mon serment et parce qu’à force de parler d’attentats communistes possibles avec les camarades, je me suis familiarisé avec l’idée de la guerre civile. » Par ces actions violentes, la Cagoule cherche à créer un climat de tension et de troubles dans le pays afin de déstabiliser le régime et de préparer le coup d’État tant espéré.
C’est enfin dans la nuit du 15 au 16 novembre 1937 que Deloncle franchit le Rubicon. Lui et ses hommes décident de passer à une action de plus grande ampleur. Le climat de peur anticommuniste semble alors propice au coup de force et la surveillance policière le contraint à agir au plus vite. Le chef de la Cagoule fait alors venir un colonel de l’état-major et met ses hommes en état d’alerte. Cet officier racontera à la fin de sa vie cette rencontre : « L’heure est tragique, m’exposent Deloncle et le général Duseigneur. La révolution va éclater. À 1 heure 30, cette nuit, après l’arrêt des transports publics, les troupes communistes se mettront en route par les couloirs du métropolitain. Ils progresseront ainsi vers les centres vitaux, en même temps que les unités de surface. Voilà colonel. Il est moins une. Votre devoir est d’aller à deux pas d’ici, au ministère de la Guerre, avertir Daladier que la révolution a éclaté. » Cependant, l’officier ne se laisse pas impressionner et refuse d’agir sans preuve. « L’aube se lève, Paris est parfaitement tranquille. Je quitte ces messieurs sur ces mots : “J’ai bien compris. Toute votre histoire de putsch était une épouvantable comédie.” »
L’échec de ce coup de force marque la chute de la Cagoule. Deloncle et de nombreux cagoulards sont arrêtés. Le 23 novembre 1937, une déclaration du ministre de l’Intérieur permet de saisir l’importance de la conjuration : « C’est un véritable complot contre les institutions républicaines qui a été découvert. […] Le plan des factieux était minutieusement préparé. Au cours des perquisitions on a découvert notamment […] : le plan précis des égouts de Paris, avec des itinéraires tracés aboutissant aux ministères et à la Chambre des députés. »
Toutefois, la plupart des membres de l’organisation sont libérés à la déclaration de guerre de 1940. Le conflit divise alors le mouvement. Certains rejoignent la France libre et suivent le général de Gaulle à Londres. D’autres, au contraire, entrent dans la voie de la Collaboration et se retrouvent dans tous les rouages du gouvernement de Vichy. Ainsi, Deloncle fonde avec Déat et Doriot la Légion des volontaires français contre le bolchévisme puis crée, pour servir l’occupant, le Mouvement social révolutionnaire. Puis, il va finalement entrer en contact avec l’amiral Darlan et certains milieux antinazis. Quand le vent de la guerre tourne, le chef des cagoulards comprend qu’il est temps de changer de camp, mais la Gestapo ne lui en laisse pas le temps et l’assassine en 1944.
Le procès de la Cagoule n’a lieu qu’à la Libération en 1948 au moment de la République triomphante. Elle peut se montrer clémente et généreuse envers ces factieux dont les méthodes brutales ont servi tout à la fois la noble cause de la Résistance mais aussi les plus sombres agissements des autorités de Vichy et de la Collaboration. La plupart des Cagoulards sont acquittés, même si les plus compromis sous l’Occupation sont condamnés aux travaux forcés. Une France nouvelle se dessine dans ces années d’après-guerre dans laquelle la Cagoule n’a plus sa place, même si l’OAS durant la guerre d’Algérie saura utiliser l’expérience et l’habilité d’anciens cagoulards.