François Huguenin, essayiste et historien des idées connu notamment pour son Histoire intellectuelle des droites (Tempus), signe cette année Les grandes figures catholiques de la France (Perrin). Nous évoquons avec lui cette galerie non exhaustive de portraits, dominée par les personnalités politiques, et traversant quinze siècles de roman national depuis Clovis jusqu’au Général de Gaulle.
PHILITT : Votre ouvrage consiste en une galerie de portraits et vous avez fait le choix d’évoquer majoritairement des personnalités politiques. Pourquoi ?
François Huguenin : Quand on évoque les grandes figures catholiques de la France, on doit s’interroger sur ce que le catholicisme a apporté à la France, mais aussi à ce que la France a apporté à l’Église. Il s’agit donc du rapport entre un peuple et une foi, une nation et une Église. Tout cela fait évidemment la part belle au politique. La France se bâtit sur une dynastie très chrétienne mais devant s’émanciper du pouvoir politique de Rome et de son allié impérial. C’est donc une histoire d’amour et de tension. Et puis la France est une construction politique, en France tout est politique.
La catholicité est synonyme d’universalité. Pensez-vous que les grandes figures catholiques de la France que vous dépeignez sont aussi, d’une manière ou d’une autre, des symboles de l’universalisme français, ou bien plutôt des marqueurs d’un particularisme national ?
Les deux bien sûr ! Ces figures respirent la France par tous les pores de leur peau : les rois capétiens bien sûr, mais aussi Jeanne représentante du peuple de France et de la grande langue française, Richelieu symbole de notre conception de l’État, Pascal qui incarne tout notre génie littéraire, intellectuel et spirituel, Thérèse qui est la sainte qui rassemble tous les croyants de quelque origine que ce soit. Mais bien évidemment, elles sont aussi universelles : les rois capétiens racontent l’émancipation politique d’une nation au sein de la confusion du théologico-politique chrétien, Jeanne est une des figures christiques les plus universelles qui fussent, Richelieu incarne le sacrifice en politique, Pascal est au sommet de la culture occidentale avec Bach, Léonard de Vinci et Shakespeare, Thérèse annonce toute l’évolution de l’Église et notamment Vatican II et la Miséricorde. Et bien évidemment c’est à mesure que ces figures sont ancrées dans la singularité française qu’elles peuvent s’élever vers un universel qui n’est pas un plus petit dénominateur commun, mais une ligne des crêtes, puisque, selon la magnifique expression de Flannery O’Connor, « tout ce qui monte converge ».
Vous débutez votre tour d’horizon avec Clovis, qui ouvre le roman national français. Mais notre territoire a aussi porté de grands saints tels qu’Irénée de Lyon ou Denis de Paris dont on ignore bien souvent qu’ils sont notre héritage commun avec l’Orient. Voyez-vous en ces figures de l’Église indivise des grandes figures catholiques de la France malgré tout ?
Déjà que Clovis incarne le brouillon de la France que fut le royaume franc, je ne me voyais pas aller jusqu’à Irénée et Denis. Par ailleurs la France fait partie du christianisme occidental, marqué par Charlemagne qui a toute son importance dans ce livre. J’ai beau aimer le christianisme oriental, il y aurait eu tromperie sur la marchandise à en faire un des terreaux de notre nation.
La dernière figure envisagée est celle du Général De Gaulle. Dans une France déjà déchristianisée, croyez-vous que sa politique a suivi la doctrine sociale de l’Église ?
De Gaulle avait une vision incontestablement chrétienne de la politique sociale et un certain nombre de ses écrits sont abreuvés des encycliques pontificales. Il avait une vision d’un capitalisme populaire très éloigné du libéralisme économique. Mais dans les faits, de Gaulle a mal mesuré le fait que la France des Trente Glorieuses basculait dans un consumérisme individualiste que mai 68 a rejeté. De Gaulle ne l’a pas compris. C’était un homme du premier XXe siècle. Les évolutions de la société l’ont pris de court. Plus fondamentalement c’est l’espérance qui pour moi est essentielle dans le bilan de de Gaulle. Espérance en lui-même, espérance en la France, reposant sur une espérance théologale discrètement affirmée mais incontestable.
Voyez-vous parmi nos contemporains des figures qui pourraient s’inscrire dans la lignée de celles de votre ouvrage ?
Dans les morts du XXe siècle j’avais pensé à Péguy, Bernanos, Charles de Foucauld, Lustiger. Mais j’ai préféré resserrer mon choix et ne le regrette pas. Il est plus fort en l’état. Quant aux vivants, par définition, nous n’avons pas le recul de l’historien. Mais je n’en vois pas au niveau de ceux que j’ai retenus…