Le triomphant homo festivus des années 90 et 2000, si bien décrit par Philippe Muray, a laissé place à homo reactus. Ce nouveau maître des lieux communs pourfend le « fascisme vert » et les « islamo-gauchistes » sans réaliser qu’il reprend à son compte les catégories qu’il critiquait hier.
Philippe Muray avait bien identifié le moralisme et le conformisme cachés derrière les tentatives de subversion de festivus. En reprenant cette typologie, nous avions montré qu’il existait son pendant politiquement incorrect qui ne subvertissait rien si ce n’est l’intelligence : homo reactus. Depuis, homo reactus a fait son trou. Il se porte bien et effectue son grand remplacement à lui. Tranquillement, il continue de reprendre les catégories du gauchisme à son compte. Schizophrène, il dénonce le « fascisme vert » et les « nazislamistes » tout en ironisant sur l’antifascisme hérité de Mai 68. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’a pas détruit l’accusation ridicule de fascisme appliquée à tort et à travers, il se l’est appropriée. Il dénonce le politiquement correct alors qu’il utilise les mêmes procédés que son mentor festivus pour disqualifier ses adversaires.
Aujourd’hui, on ne soupçonne plus les gens de proximité avec le fascisme mais avec l’islamisme. Le curseur de l’infréquentabilité s’est simplement déplacé. On est bienveillant avec l’extrême droite mais on trouve la présence de Tariq Ramadan à tel ou tel colloque tout bonnement inacceptable. Homo reactus pense qu’il résiste à un oppresseur et développe le fantasme de l’Occupation, oubliant que celui qui occupe est également celui qui dirige. Un œil sur la composition des gouvernements d’hier et de demain devrait pourtant le rassurer. Cela ne l’empêche pas de dénoncer la soumission et l’omerta depuis RTL, France Culture, Le Figaro, Causeur ou Valeurs Actuelles. Les radios Londres se sont multipliées. Lorsqu’il est souverainiste, homo reactus se rêve citoyen russe ou américain. Plus récemment, il a trouvé en François Fillon le représentant de la tradition et du gaullisme social. Tout ceci est merveilleux.
Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nos amis
L’homo reactus, sans s’en rendre compte, pratique un moralisme inversé. Alors que les gauchistes s’en prenaient aux prétendus « fascistes », l’homo reactus s’en prend aux prétendus « gauchistes ». Qui sont les « gauchistes » que vitupère notre brave homo reactus ? Selon lui, le gauchisme contemporain a ceci de terrible qu’il s’est – comme toute la France – islamisé pour devenir un « islamo-gauchisme ». Terrifié, il constate que l’islam est vraiment partout. Vous pensez qu’il ne faut pas assimiler islam et terrorisme ? Islamo-gauchiste ! Vous pensez que l’Occident a une part de responsabilité dans la situation au Moyen-Orient ? Islamo-gauchiste ! Vous pensez que Benyamin Netanyahou n’est pas un homme de paix. Islamo-gauchiste ! Vous pensez que – éventuellement – Ibn Arabi ou Averroès ont plus de choses à dire qu’Alain Finkielkraut. Islamo-gauchiste !
Critiquez l’homo reactus sur ses prises de positions et ses contradictions et il vous traitera d’indigné, de naïf et se félicitera de vous avoir choqué bien qu’il n’en soit rien. Comme festivus, reactus cherche à renverser l’ordre établi et à briser les tabous. Précisons que « l’ordre » et les « tabous » qu’il veut renverser sont largement fantasmés. Respectivement, le gouvernement socialiste et l’islamophobie. Allez sur le terrain des idées et il revient sur le terrain de la morale. Mais contrairement aux gauchistes d’hier qui se drapaient de tolérance, lui se drape de pragmatisme ou de cynisme. Ce qui compte dans le fond, c’est d’être politiquement incorrect. Homo reactus n’est qu’un festivus qui fait le malin, un festivus encanaillé, un festivus retourné. Comme son grand frère, homo reactus est contaminé par l’esprit partisan qui est une négation de l’intelligence. S’il n’appartient pas à un parti politique en particulier, il raisonne selon la loi du « nous contre eux ». Lui aussi pose la question : « D’où parlez-vous ? » Il n’ignore ni les procès d’intention ni la mauvaise foi ni les sophismes.
Nous ne regrettons pas le gauchisme d’hier dont les quelques représentants octogénaires ont encore l’occasion d’exposer le grotesque. Nous déplorons simplement cette passation de pouvoir dans l’opinion. Ce n’est pas demain que le débat public pourra être conduit de manière saine. Homo festivus était un destructeur, homo reactus se veut constructeur, mais il ne construit que des châteaux de sable. Face à festivus et à son rejeton reactus, détournons le fameux adage : « Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nos amis. »