Abreuvés d’horoscopes fantaisistes, nos contemporains ont largement oublié la nature et les fondements de l’astrologie. Dans son étude introductive Sagesse de l’astrologie traditionnelle (L’Harmattan, 2018), l’astrologue et philosophe Louis Saint-Martin actualise, contre de nombreux préjugés, la validité de cette science traditionnelle.
Louis Saint-Martin est un astrologue reconnu, fort de plus de trente ans de pratique et de consultations. La méthode astrologique qui est sienne, si elle est une école, n’est pas un système : son cadre de recherche est celui d’une « astrologie comparée ». L’ensemble des écoles astrologiques, dans leur histoire et leur géographie – car l’astrologie est incomparablement plus ancienne et universelle que des nouvelles disciplines douteuses telle que la psychanalyse – dessinent dans ce qu’elles ont d’invariable ou de commun les traits fondamentaux de la méthode astrologique. Cette méthode est aux antipodes de ladite astrologie vulgaire et lucrative des horoscopes présents dans nos journaux, qui ne sont toujours rédigés que par des professionnels du divertissement.
Une simple comparaison à moyen terme entre les différents horoscopes journalistiques suffit à montrer que les résultats proposés s’échangent les uns les autres suivant le mois, sur la base d’énoncés généraux consensuels et purement arbitraires. Les astrologues sont unanimes : leur pratique n’a rien à voir avec cela, et d’ailleurs, la plupart du temps, ceux qui sont à l’origine des pseudo-horoscopes dans les journaux ne se prétendent pas être des astrologues. Ce qui intéresse Louis Saint-Martin dans son étude, c’est donc plutôt de nous éclairer sur « la nature et les fondements de l’astrologie » par rapport à trois mécompréhensions dont est victime cette discipline : la première, celle d’une certaine « astrologie scientifique » ou même « conditionaliste », qui soumet l’herméneutique des astres aux axiomes mécanistes de la physique moderne. La deuxième est celle du modernisme scientifique, opposé au paradigme ptoléméen et jugeant exclusivement sur la base des axiomes matérialistes : l’astrologie traditionnelle est d’emblée disqualifiée. Enfin, la troisième est celle d’un certain catholicisme, au-devant duquel l’auteur entreprend de réhabiliter l’astrologie comme moyen subordonné à la vie de foi. En alternant critiques épistémologiques et présentations positives de ce en quoi consiste l’astrologie, Louis Saint Martin expose les grandes lignes de cette science traditionnelle qui « n’est pas une science physique, mais une herméneutique spirituelle : elle interroge une langue symbolique universelle pour délivrer un sens, pour mettre en lumière la façon dont les virtualités de la vie – zodiaque signifie « roue de la vie » – cherchent à se manifester et à « se représenter » en un lieu, un temps et un sujet donné ».
Pour Louis Saint Martin, l’astrologie ne peut prétendre à être une science physique, car elle ne l’a jamais été et elle perdrait ses qualités pratiques et herméneutiques si elle s’y réduisait. Là où l’astronomie est une science physique, l’astrologie, elle, est un discours (logos) sur les astres. L’auteur actualise ainsi la distinction opérée par Jean Borella, entre nature physique et nature sémantique : la première a trait au monde naturel des causes efficientes, dont l’étude obéit à une logique de la séparabilité entre le sujet connaissant et l’objet connu. Bien que cette séparabilité ait été mise à mal par la physique quantique, le critère de non-séparabilité a jusqu’ici proprement trait à la seconde, la nature sémantique, qui unit le sujet et l’objet. Autrement dit, là où la physique moderne est analytique, le point de vue astrologique, qui ne lui est pas concurrent, est synthétique : il pense le Réel comme un tout unifiant la diversité de ses manifestations et réconcilie la quête du sens avec la recherche du vrai. Les astres ne sont donc pas observés comme de simples êtres matériels muets sur notre existence mais comme des symboles, étant entendu que le symbole « réalise l’identité foncière du signifiant et du référent, ou encore qui signifie par présentification ». Cette « présentification » consiste en l’identité du signe et du référent réalisée par la signification et l’expression : le signe n’est pas un simple signe, comme le mot n’est pas un simple mot, mais, dans la perspective traditionnelle, « la forme véritable est toujours l’expression nécessaire d’une nature ». La réalité n’est pas un objet quantifiable, et pourtant elle est présupposée par les plus matérialistes des scientifiques. C’est cette donnée proprement qualitative que prend en charge l’astrologie traditionnelle ou « spiritualiste » héritée de Plotin : le monde est un réseau d’existants et, par-là même, un tissu de significations.
Axiome holiste et méthode analogique
Comme toute discipline, l’astrologie repose sur un axiome central, un principe heuristique. Celui-ci relève entièrement de la métaphysique, car il consiste en une conception holiste du réel, c’est-à-dire conçu comme un Tout unifiant et unifié. L’extrême diversité qualitative du réel est pensée comme s’intégrant dans un Tout principiel et unique qui recoupe, dans un réseau indéfini de relations, le microscopique (objets quantiques dirions-nous aujourd’hui) et le macroscopique dans l’existence au sein d’un même ensemble. L’astrologie repose donc sur l’axiome alchimique « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Le microcosme est l’expression du macrocosme et vice-versa. Tout est dans tout, l’Un est dans les unités : nous sommes faits de poussière d’étoiles et nous restons par-là même essentiellement identiques aux astres. L’astrologie se fonde donc entièrement sur la théologie, sur le discours portant sur Dieu, Principe unique de la réalité dans sa diversité.
Il ressort de tout ceci que l’astrologie ne saurait être jugée à l’aune d’une logique strictement physicienne ou analytique, qui est celle qui gouverne les sciences positives modernes. L’astrologie obéit à une logique propre : l’analogie, « logique de la comparaison » dit Jean Borella. Ce principe d’analogie, rigoureusement formalisé par les théologiens scolastiques et saint Thomas d’Aquin, ne repose ni sur l’univocité ni sur l’équivocité. Il exprime plutôt un rapport, une proportio entre deux éléments qui sont, ici, le signifiant et le référent. On dira par exemple qu’un animal est sain en fonction des rapports analogiques qu’il entretient avec son urine, qui manifeste sa santé : entre l’urine et l’animal il y a une cause de signe. C’est cette causalité sémantique qui intéresse l’astrologie. L’analogie est en effet une propriété du réel lui-même : c’est ce que l’on peut tirer de la théorie de l’évolution, du fait que la modification du morphotype des êtres vivants au contact de leur milieu naturel exprime une forme de connaissance inconsciente dans la matière. C’est le cas même de toute chose qui ne peut se mouvoir que dans des milieux qui leur sont adaptés. Toute chose qui existe renvoie à une autre chose, physiquement comme sémantiquement. Chaque chose est le signe d’une autre. De la même manière, l’homme est un reflet des astres car il leur est essentiellement identique : ils ont une origine commune, une composition commune, certes physique, mais d’abord métaphysique. En effet, tous les deux ont en commun d’être. Les astres ne sont pas n’importe quels objets : ils sont la voûte de la perception humaine. Ils constituent l’horizon de son regard, expriment l’infini, manifestent l’harmonie du monde dont les désordres s’intègrent dans l’ordre total, lui permettent de se « voir d’en haut » et de formuler ainsi des jugements sur lui-même, sa vie et son environnement en s’objectivant. Chaque astre représente donc non pas la projection arbitraire de ses fantasmes, mais l’inspiration et l’expression objective des mouvements de son âme, de ses tendances les plus intimement inscrites au fond de son être.
Chaque astre, de cette façon, est un symbole qui véhicule et exprime des réalités supérieures, non mesurables, non quantifiables. L’astrologie relie ainsi l’homme à ce qui est incommensurablement plus grand que lui, mais dont il participe en tant qu’existant dans la « Toute-Réalité » (Borella), en Dieu, à partir de référents précis : les astres, leurs positions et leurs mouvements. Elle définit les contours sémantiques de l’existence d’un individu à partir desquels il anticipe et construit son devenir personnel, de même que l’océan constitue pour le poisson son cadre en apparence limitatif, mais grâce auquel en réalité il peut déployer entièrement sa liberté. L’astrologie traditionnelle aiguise l’attention du sujet sur des aspects de sa personnalité, de sa vie et du réel, et fait signe vers la perception de vérités métaphysiques : l’Un, le Bon, le Beau, la dialectique du Possible et de l’acte, etc. En s’intégrant pleinement dans l’exercice renouvelé de la liberté, elle s’oppose au modèle mécaniste de l’astrologie conditionaliste ou de la physique moderne : « les astres inclinent mais ne déterminent pas ». Elle réhabilite le paradigme ptoléméen, face à l’hégémonie galiléenne. Elle donne en effet de l’importance à ce qui, physiquement, paraît des plus ridiculement petit ou périphérique : l’humain. L’Homme reste le centre d’appui de la connaissance – son « sol » dirait Husserl – et son accomplissement, le but même de la connaissance. Le paradigme géocentrique reste valable, non pas, bien sûr, comme théorie naturaliste, ce qu’il n’a peut-être jamais été traditionnellement, mais comme théorie géo-symbolique qui élève le sujet à la conscience de réalités supérieures signifiées par le symbole géocentrique, parmi lesquelles la centralité spirituelle. L’homme, dans cette focalisation cosmologique, est alors responsabilisé à la façon de l’œil de la Conscience qui reste fixé sur le Caïn honteux du poème de Victor Hugo.
De la science à la sapience
Louis Saint-Martin propose ainsi de repenser la science en général. Cette remise en cause ne consiste pas pour lui en une « scientificisation » de l’astrologie : ce serait ruiner sa fonction herméneutique. Bien que l’astrologie conditionaliste a apporté des éclairages et des précisions importantes, elle reste selon l’auteur une « tentative » erronée dans ses prémisses. Louis Saint-Martin entreprend plutôt de rappeler tout le fondement philosophique de l’astrologie : il parle alors d’astrophilosophie. Dans la mesure où elle réunit le sujet et l’objet, l’homme et les astres, dans une herméneutique objectivement constituée au fil du temps par des générations d’expériences perceptives et sensées, rassemblées et codifiées dans la mythologie, l’astrologie consiste en une « observation-contemplation ». Elle n’est pas l’observation morne d’un sujet s’exilant du réel objectif duquel il participe en fait. Pratiquer l’astrologie, c’est, à la façon de Ptolémée, Plotin, Kepler ou Morin de Villefranche, « par un puissant effort de vision mentale, percer l’enveloppe matérielle des choses et aller lire la formule, invisible à l’œil, que déroule leur matérialité » (Henri Bergson, La Pensée et le Mouvant). Le sentiment du Beau est ainsi le point de départ de l’astrologie, qui ouvre l’homme au monde et le connecte au réseau des hiérarchies angéliques. Il va donc de soi, nous fait plusieurs fois remarquer l’auteur, que l’astrologie est avant tout un art : c’est bien en tant qu’ars qu’étaient désignées les sciences traditionnelles avant que le sujet s’exclue arbitrairement et illusoirement de ses observations et de ses résultats, comme de ses œuvres. À l’instar de la philosophie, l’astrologie naît de l’étonnement devant l’harmonie du monde, dans lequel le sujet apprend à s’ouvrir à la totalité du réel pour se connaître dans son intégralité. L’astrologie traditionnelle ou spiritualiste est donc philosophique : elle est une herméneutique des astres qui tire des correspondances de sens entre la situation d’un individu et la configuration des astres qui s’y rapporte, et par rapport à laquelle le sujet se conforme librement à un ordre supérieur. Cet ordre exprime son origine en même temps qu’il aiguise les bonnes et mauvaises directions de son existence en vertu de principes et de tendances liés à son être propre, mis en avant par la contemplation astrologique.
Cette intégralité de l’astrologie qui se rapport entièrement et spécifiquement à chaque individu en particulier est fondamentale. Elle n’est jamais prise en compte dans les études critiques de S. Carlson, McGrew et McFall, G. Dean et d’autres, qui établissent des statistiques sur la base 1) des seuls signes du zodiaque et 2) d’individus indifféremment groupés ensemble. Or en astrologie, sont pris en compte un ensemble de configurations cosmiques : en plus du signe rattaché à la date de naissance, interviennent les combinaisons planétaires, les domifications, les actualisations telles que les révolutions solaires ou les progressions, en matière prévisionnelle, ainsi que les « points fictifs » (Lunes Noires ou Noeuds Lunaires). L’astrologie obéit donc à la loi de relation, qui échappe au modèle mécaniste et à ses vérifications en double-aveugle, ou suivant les standards de reproductibilité. Il est en effet impossible « pour les statistiques de rendre compte de ce qui est individuel, c’est-à-dire à la fois unique et intégral » : « un thème natal en tant que tout indissociable doit rendre compte d’un individu dans toutes ses dimensions ». L’astrologie désigne donc une « expérience intime et significative, susceptible d’être partagée rationnellement, mais qui ne pourra jamais relever d’une méthode purement quantitative ». À côté de « la science » moderne, analytique et quantitative, se dessine donc le paradigme traditionnel de la « sapience », qui conjugue qualitativement l’objectivité du réel avec la quête de la sagesse mobilisée par l’herméneutique astrologique non déterministe. Cette discipline qui échappe, traditionnellement comprise et exercée, aux réductions statisticiennes comme au charlatanisme de bazar, relève donc du probabilisme, non de la certitude mécaniste. Elle se vérifie comme elle se falsifie dans la pratique concrète menée par l’interprète et relayée par le consultant. Astrologie, philosophie, théologie : l’homme n’a donc pas fini de lever les yeux vers son Ciel intérieur. N’en déplaise au ministre René Viviani (1906), le sage reste toujours capable de voir briller les lumières que l’homme moderne prométhéen a pensé éteindre dans un ciel qu’il a désappris à voir, à lire et à en chanter les louanges.