Le complotiste

Le complotiste est un être double : il est à la fois très critique et très naïf. Critique envers la thèse officielle qu’il récuse et naïf envers la version alternative qu’il défend. Le complotiste doute mais son doute est sélectif. Loin du doute méthodique et universel de Descartes, il doute, soupçonne, questionne seulement quand ça l’arrange.

220px-EyeL’erreur du complotiste tient dans cette pratique lunatique du doute. L’esprit critique qu’il revendique n’est souvent qu’un masque idéologique. Personnage imaginatif, le complotiste est prêt à tout pour faire dire au réel des choses qu’il ne dit pas. En fait, ce qui le caractérise, c’est son mépris du réel. Mépris proportionnel à l’adoration qu’il porte à son délire paranoïaque. La version alternative proposée par le complotiste possède en effet un caractère sacré. L’ardeur qu’il déploie pour vérifier les sources de la version officielle disparaît complètement dès qu’il s’agit d’examiner les siennes propres.

Le complotiste ne croit pas au hasard. Il enferme l’histoire humaine dans une logique de préméditation.

Le complotisme est séduisant. Et il séduit même les esprits les plus brillants : Bigard, Kassovitz, Cotillard, AKH, pour ne citer qu’eux. Le complotisme prétend tenir sa légitimité de moult experts. Discipline transformiste, le complotisme peut faire d’un boucher un architecte, d’un ancien activiste du Ku Klux Klan un historien objectif ou d’un libraire un expert en géostratégie. Le complotiste ne croit pas au hasard. Il enferme l’histoire humaine dans une logique de préméditation. Tout ce qui arrive est toujours voulu, poussé par une puissance abstraite : le gouvernement, l’Empire, l’oligarchie, la CIA, l’homme à la cigarette, la Reine d’Angleterre, Jack Lang…

Le complotiste est en fait l’union désastreuse d’un esprit critique hémiplégique et d’un corps condamné à l’état larvaire

Salim Laïbi, "le libre penseur"
Salim Laïbi, « le libre penseur »

Son raisonnement se base sur une question qui, à ses yeux, a valeur d’argument : « A qui profite le crime ? » Simplette déduction que celle qui affirme que le bénéficiaire d’un crime en est nécessairement l’instigateur. En mauvais détective, le complotiste désigne bêtement le coupable idéal. Une relecture des œuvres complètes d’Agatha Christie pourrait servir de thérapie au complotiste. Le complotiste n’est pas le combattant lucide qu’il prétend être, c’est un défaitiste qui s’ignore. En croyant identifier la cause (ex : CIA), il en fait un monstre omnipotent contre lequel il ne peut rien. Cette conception étrange de la causalité rappelle la Volonté schopenhaurienne : une entité transcendante qui veut pour nous et qui par la même occasion nie le concept de liberté. Le complotiste qui se positionne comme être agissant, voire résistant, est réduit à l’impotence la plus complète. Le complotiste ne peut rien face aux événements qu’il décrit. Son constat, en plus d’être faux est infécond, car invitant à la résignation. Le complotiste est en fait l’union désastreuse d’un esprit critique hémiplégique et d’un corps condamné à l’état larvaire.

M.