Né en 1979, Falk Van Gaver est journaliste, essayiste et écrivain. Il a été directeur de publication de la revue Immédiatement et a collaboré entre autres à L’homme nouveau, Famille chrétienne, Causeur. Il a publié des essais de théologie politique, des récits de voyages et s’est particulièrement intéressé à la question de l’écologie et de l’anarchisme chrétien. En 2015, il publie en collaboration avec Jacques de Guillebon Anarchrist. Une histoire de l’anarchisme chrétien (Desclée de Brouwer).
PHILITT : Falk van Gaver, entre essais de théologie politiques, récits de voyage, contribution à des recueils, réalisation de longs métrages, vous avez été directeur de publication de la revue littéraire Immédiatement. Pouvez-vous nous parler de votre aventure au sein de cette revue ?
Falk Van Gaver : Avec plusieurs militants très jeunes en rupture de ban avec diverses branches du royalisme, ayant en commun un héritage marqué par les royalistes de gauche, les résistants, les dissidents, les non-conformistes, le Cercle Proudhon, le Lys Rouge, la NAF/NAR, etc., nous avons fondé la revue Immédiatement en 1996. J’avais dix-sept ans, j’étais le plus jeune de la bande. C’était une revue antitotalitaire, nos maîtres étaient les deux Georges, Bernanos et Orwell. Mais aussi Guy Debord, Simone Weil, etc. Très vite, de souverainiste et antimoderne, notre position, et notamment celle des plus jeunes de l’équipe, a évolué vers l’anticapitalisme radical, la critique sociale, l’anti-industrialisme, le luddisme, le populisme (au sens du XIXème siècle, de Lasch et de Michéa), l’écologisme intégral et une forme d’anarcho-autonomisme qui nous a fait participer entre autres aux actions violentes des « Black Blocks ». La même année, 2001, scission entre la branche aînée de l’équipe emmenée par Sébastien Lapaque, de tendance souverainiste, nationale-républicaine, chevènementiste, gaulliste de gauche, et la branche jeune, celle des « radicaux » de tendance anarcho-révolutionnaire, soudée autour de Luc Richard, directeur de la revue depuis le début. L’an suivant, Luc part vivre en Chine et le soviet rédactionnel m’élit directeur de publication, à l’unanimité et en mon absence, car j’accompagnais quelques mois un ami étudiant en anthropologie sur un terrain au Sud-Maroc… Radicalisation et expansion de nos positions orwello-bernanosiennes dans le sens d’un populisme radical et redécouverte aussi du christianisme comme continent immergé et force révolutionnaire – Ellul, Illich, etc. Fin définitive de la revue, après vingt-quatre numéros, en 2005, avec un livre collectif de coming out : Vivre et penser comme des chrétiens.
PHILITT : Vous avez co-écrit, avec Jacques de Guillebon, une histoire de l’anarchisme chrétien : Anarchrist (2015). Comment concilier la formule de Blanqui « Ni Dieu ni maître » avec la tradition chrétienne qui, au mieux, invite à ne servir qu’un seul maître, Dieu (Matthieu, 6,24) ?
Falk Van Gaver : Il suffit de mettre la formule de Blanqui au pluriel : « Ni dieux, ni maîtres. » Ou encore de la formuler comme suit : « Un seul Dieu, (donc) pas de maîtres. » C’est saint Pierre encore qui y répond le mieux avec sa réplique au Sanhédrin dans les Actes des Apôtres : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Il y a encore la belle réplique de saint Justin de Naplouse, premier philosophe chrétien, et martyr, répondant à l’accusation d’athéisme et d’impiété : « Nous sommes les athées de tous les faux dieux. » L’idée d’un Dieu unique et bienveillant envers toutes les créatures (qu’il existe ou non) et d’un Homme-Dieu, fils de Dieu et frère de tous les hommes également fils de Dieu, est une subversion de toutes les castes et hiérarchies, une véritable révolution égalitaire : « Désormais, il n’y a plus ni juif ni grec, ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ. » Chacun est divinisé dans le Christ, c’est l’affirmation radicale de l’égale dignité de tous qui doit se traduire dans une digne égalité. C’est à partir de là que la révolution est en marche dans l’histoire.
PHILITT : Dans votre ouvrage, vous dressez le portrait de personnages dont le point commun est d’être des « non-conformistes » (Proudhon, Kropotkine, Péguy, Bernanos, Thoreau, Debord, etc.). A l’issue de ce travail d’érudition, pourriez-vous nous donner une définition doctrinale de l’anarchisme chrétien ?
Falk Van Gaver : Il n’y a pas de définition doctrinale de l’anarchisme chrétien, si ce n’est celle des évangiles : « Le vent souffle où il veut; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit» (Jn 3,8). L’anarchisme chrétien, c’est l’esprit de l’Évangile qui bouscule les sociétés, c’est, génération après génération, et toujours à recommencer, la remise en cause évangélique, radicale, de toutes les inégalités, de toutes les injustices, de toutes les oppressions, de toutes les tiédeurs, de tous les conforts, de toutes les bourgeoisies de tous les temps, au nom de la liberté, de l’égalité et de la dignité non négociables de chaque être humain – et de chaque être vivant. L’anarchisme – a fortiori chrétien – est nécessairement un personnalisme, c’est pour cela que notre livre ne peut pas être une somme idéologique, une synthèse doctrinale, mais un parcours, une promenade, une cavalcade en compagnie de personnes, de personnalités très incarnées, celles que vous citez entre autres. L’anarchie n’est pas un système, c’est l’antisystème.
PHILITT : Si l’on considère le lien indissoluble qui existe entre le christianisme et l’Église, ne doit-on pas en déduire qu’il y a une incompatibilité entre anarchisme et christianisme en ce sens que l’Église est une institution avec sa hiérarchie, ses commandements, son système juridique ?
Falk Van Gaver : Pour le monarchiste Charles Maurras, l’Église catholique, Rome, a su étouffer le « venin juif » des Evangiles : subversif, égalitaire, révolutionnaire… Quand il dit : « Il y a dans l’Évangile de quoi former un almanach du bon démagogue anarchiste », c’est presque une définition de l’anarchisme chrétien, de notre « anarchrisme » qu’il donne ! Dans La subversion du christianisme, l’anarchiste et écologiste protestant Jacques Ellul partage presque la même analyse que l’agnostique romain Maurras : pour lui, Rome a étouffé le christianisme originel. Sauf qu’à « l’Église de l’ordre » de Maurras, il préfère l’Évangile de la liberté !
Ecclesia semper reformanda – l’Église doit sans cesse se laisser révolutionner par l’Esprit (et la lettre !) de l’Évangile pour ne pas tomber dans la mondanité. Tout son aspect institutionnel, hiérarchique, commanditaire, juridique, etc., humain, trop humain, est sans doute inévitable, mais ne doit jamais prendre le pas sur sa seule raison d’être : être le corps du Christ. À cette ecclésiologie de communion – et il n’en est pas d’autre – correspond une théologie de communion, une sociologie de communion, une économie de communion, une écologie de communion – le christianisme est communioniste – en un certain sens, communiste (cf. le communisme chrétien primitif dans les Actes des Apôtres). L’Évangile, c’est la libération, là où est l’Évangile, là est l’Esprit, là est l’Eglise, là est la liberté. Comme dit saint Augustin des frontières réelles de l’Église, beaucoup paraissent en être qui n’en sont pas, tandis que d’autres ne paraissent pas en être qui en sont. Il est souvent arrivé que l’Église-institution (la part humaine, « pécheresse », faillible de l’institution ecclésiale) ait persécuté (au sens faible ou fort) le Christ lui-même, à travers des mouvements authentiquement évangéliques comme les principaux courants de la théologie de la libération.
« L’anarchie c’est l’ordre sans le pouvoir », disait Proudhon. Quelle meilleure définition idéale de l’Église? L’Évangile, c’est l’ordre sans le pouvoir, sans la domination : l’amour, la charité.
PHILITT : Pouvez-nous parler du courant « personnaliste », fondé par Emmanuel Mounier, et au sein du quel on retrouvera une figure aussi majeure que celle de Jacques Ellul ? Quels liens peut-on établir entre personnalisme et anarchisme ?
Falk Van Gaver : De grands personnalistes, souvent oubliés comme tels, qui ont notamment participé aux premières années de la revue Esprit, sont Jacques Ellul et son ami Bernard Charbonneau – que l’on peut également qualifier d’écologistes et d’anarchistes chrétiens. Le premier Mounier a écrit de très belles pages sur les liens entre anarchisme, communisme et personnalisme. On pourrait qualifier l’anarchisme de communisme personnaliste ou individualiste – Charbonneau se revendiquait non seulement personnaliste mais individualiste, évidemment en un sens non-libéral et même antilibéral – l’individu est le noyau insécable, l’indivis, l’indivisé, celui qu’on ne peut diviser – entre public et privé par exemple, action et conviction, etc. Ce qui est diabolique, au contraire, diabolos, c’est tout ce qui divise l’individu – entre corps et esprit par exemple, menant à la technicisation et la marchandisation des corps, notamment dans la reproduction humaine. Parce qu’il met la personne et non la société en premier, au centre et au sommet, un personnalisme authentique a forcément des tendances et des accointances anarchistes.
PHILITT : Vous avez contribué au Dossier H sur Ernst Jünger (1999). Pouvez-vous nous parler de ce « révolutionnaire conservateur » et plus particulièrement de la figure de l’Anarque dont Jünger disait : « L’anarque est à l’anarchiste ce que le monarque est au monarchiste » ?
Falk Van Gaver : L’anarchiste, c’est celui qui tend à la liberté, l’anarque, celui qui l’a réalisée. Mais pour devenir anarque, il faut être anarchiste. De même que pour devenir ou rester monarque, il faut être de fait monarchiste… L’anarque, c’est le monarque de lui-même. L’anarchisme, c’est une forme de monarchisme pour tous : chacun est roi, chacun est appelé à devenir roi. C’est ce qu’affirme le baptême de chaque chrétien, qui est également prêtre, prophète et roi. Mais la grande figure jüngerienne est pour moi celle du rebelle, du waldgänger dans l’original, le coureur des bois, celui qui va dans les bois, celui qui a recours aux forêts – c’est lui, et non l’anarque d’Eumeswill qui ne conserve sous la tyrannie « que » sa liberté intérieure, qui fait trembler les potentats : parce que sa liberté intérieure se traduit en action, ne serait-ce que celle de la désertion, de l’écart, de la fuite dans les bois, de la rébellion… Nous devons devenir comme ces « Indiens blancs » du Canada français qui fuyaient la civilisation moderne, déjà moderne…
PHILITT : Pouvez-nous nous expliquer ce mot de Maurras : « La monarchie, c’est l’anarchie plus un » ?
Falk Van Gaver : Je n’en connais pas la source, je crois que c’est un apocryphe, un hadith non vérifié en quelque sorte, mais il résume pour moi ce qu’a été notre royalisme adolescent, avant Immédiatement. C’est exactement en ce sens que j’ai été royaliste de quatorze à seize ans – nous étions, avec quelques amis, régionalistes, autonomistes, fédéralistes (pour une monarchie fédérative des républiques françaises, des démocraties locales), provençalistes, nous nous disions « anarchistes blancs » (pour le drapeau), « royalistes révolutionnaires » pour « l’anarchie couronnée » (j’écrivais tout ça dans un éditorial de notre fanzine La Lanterne à quinze ans), anarcho-royalistes et royalistes démocrates – nous étions d’ailleurs très proudhoniens – bref nous nous inscrivions dans la lignée d’un certain royalisme à la fois minoritaire mais populaire de gauche voire d’extrême-gauche, de la chouannerie, du légitimisme populaire et démocratique de la Montagne blanche, de l’anarcho-royalisme syndicaliste révolutionnaire du Cercle Proudhon, du socialisme monarchique du Lys Rouge, du royalisme de gauche de la NAF devenue NAR, et bien sûr des « non-conformistes des années trente » (personnalistes, fédéralistes, etc.). Pour ceux d’entre nous qui venaient de milieux familiaux de droite ou d’extrême-droite, ce royalisme a été également un sas de sortie – nous lisions et citions déjà Debord, etc. dès nos premières armes royalistes, et faisions de « l’agit-prop » souvent ludique dans la plus pure tradition situ et gauchiste.
Maurras résume son idée dans la brochure Dictateur et roi par la formule : « l’autorité en haut, les libertés en bas » – le roi en haut, les républiques en bas – c’est-à-dire l’auto-organisation autonome de la société, à commencer au niveau local, sous le pouvoir régalien et légitime du roi : sa monarchie fédérative est un État minimal, une anarchie couronnée, une anarchie plus le roi. Nous en avons retenu l’aspect anarchiste, autonomiste et autogestionnaire, et la nécessité de limiter au maximum l’État faute de pouvoir l’abolir. Maurras aura été nolens volens notre initiateur au proudhonisme. En ce sens, notre royalisme juvénile a été une étape vers notre anarchisme.
PHILITT : Une scène du film Cosmopolis de David Cronenberg, adapté d’un roman de Don DeLillo, évoque le lien entre anarchisme et capitalisme. Si le premier est un antidote au second, et même au libéralisme, comment expliquer que certains économistes, tels Murray Rothbard ou David Friedman, aient théorisé l’anarcho-capitalisme ?
Falk Van Gaver : Un mien ami, « philosophe juif de nom arabe et de confession catholique » bien connu, me disait il y a quelques années, à l’occasion de la parution de la première version de L’Anarchisme chrétien, avec son habituel sourire en coin, que, finalement, le véritable anarchiste, ce serait en réalité l’ultralibéral, le capitaliste immoral, sans foi ni loi. Bref, le véritable anarchiste serait le « libéral-libertaire ». Ce qui peut être vrai dans le monde des pirouettes conceptuelles et des paradoxes faciles dont sont familiers les intellectuels à la mode, mais qui ne l’est pas et ne l’a pas été dans la réalité historique – les capitalistes ayant été et étant au moins aussi farouchement anti-anarchistes que les anarchistes ont été et sont anticapitalistes – malgré les sophismes contemporains des libertariens et des anarcho-capitalistes, croqués dès 1922 sous les traits du Banquier anarchiste de Fernando Pessoa.
Cela dit, cette amusette revêt quelque vérité généalogique : l’anarchisme est issu, avec le communisme, des Lumières radicales, qui sont à la fois une remise en cause de l’Ancien Régime et des Lumières bourgeoises, libérales, modérées. Il hérite, en France, des sans-culottes, des Enragés, de Babeuf… En quelque sorte, l’anarchisme est un libéralisme radical, un libéralisme ultra (qui n’a cependant rien à voir avec ce qu’on appelle l’ultralibéralisme) : un libéralisme politique radical, mais populaire, égalitaire, donc antiparlementaire, antiétatique ; un libéralisme économique, mais populaire, égalitaire, donc anticapitaliste… Un libéralisme non seulement populaire, mais un libéralisme égalitaire, ce que veut signifier le néologisme « libertaire », forgé, comme synonyme positif et constructif du négatif et destructif « anarchiste », sur une sorte de contraction de « libéral égalitaire » – sa terminaison visant bien à signifier la dimension égalitaire intrinsèque à l’anarchisme – sa défense de l’égalité non moins que de la liberté. C’est en ce sens que Joseph Déjacques créa le terme en 1857 dans une lettre ouverte à Pierre-Joseph Proudhon – qu’il accuse d’être « anarchiste juste-milieu, libéral et non libertaire » – mot qu’il reprend dès 1858 comme titre de son journal Le Libertaire. D’autres synonymes de l’anarchisme, chacun avec ses nuances, sont d’ailleurs le « socialisme libertaire » (Michel Bakounine) et le « communisme libertaire » (Pierre Kropotkine). Bref, intrinsèquement anti-autoritaire, l’anarchisme est une doctrine sociale radicalement égalitaire – et antilibérale. Voilà qui empêche toute annexion libérale, libertarienne ou capitaliste de la tradition anarchiste – même si ses théoriciens, comme Pierre-Joseph Proudhon, ont été d’attentifs lecteurs des grands auteurs de l’économie politique dite depuis « classique » : Adam Smith, Frédéric Bastiat – de même que l’ont été les théoriciens du communisme, comme Karl Marx et Friedrich Engels…
PHILITT : Le sociologue Jean-Claude Michéa, qui opère une critique radicale de la gauche libérale-libertaire, a popularisé le concept d’« anarchiste tory » en s’appuyant sur la figure de George Orwell. Pouvez-nous nous en dire un mot ?
Falk Van Gaver : George Orwell était un socialiste révolutionnaire et libertaire radicalement opposé au socialisme (ou au communisme) autoritaire et totalitaire, dans sa vie comme dans son œuvre. Pourtant, pour lui, la révolution socialiste anglaise à venir pourrait se payer en quelque sorte le luxe de garder des institutions traditionnelles comme les cabines téléphoniques rouges et les impériales, les pubs, les perruques des juges et même la royauté. Comme d’autres socialistes libertaires et révolutionnaires qui ont inspiré notre livre – Charles Péguy, Simone Weil, ou encore Albert Camus, sans même parler des quarante-huitards et des communards – il ne voyait pas d’opposition nécessaire entre révolution socialiste égalitaire et conservation de l’identité, de la culture, enracinement, patriotisme… On oublie que les grands anarchistes comme Kropotkine et Bakounine étaient patriotes et « nationalistes-libertaires » : les mouvements de libération nationale, les révoltes des nationalités opprimées faisaient partie intégrante de la pratique anarchiste. Tout anarchiste est en un sens révolutionnaire et en un autre sens conservateur, « tory » – notamment face à la révolution capitaliste permanente de tous les modes de vie. Comme le philosophe écologiste Günther Anders le déclarait il y a bientôt quarante ans : « Aujourd’hui, il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout nous devons être conservateurs au sens authentique, conservateurs dans un sens qu’aucun homme qui s’affiche comme conservateur n’accepterait. »1 Nous sommes les révolutionnaires conservateurs de la dignité de la vie humaine et non humaine face aux conservateurs du capitalisme révolutionnaire destructeur de la dignité de la vie et de la vie tout court.
PHILITT : Vous avez consacré un chapitre à la question de l’écologie intégrale. L’encyclique du pape François Laudato si’ est un plaidoyer en faveur d’une écologie intégrale. En dehors de l’anarcho-primitivisme, y a-t-il selon vous une dimension anarcho-chrétienne dans la question écologique ?
Falk Van Gaver : Je suis très heureux que le terme et concept d’ « écologie intégrale », que j’ai introduit dans les milieux chrétiens il y a une dizaine d’années, ait été progressivement repris par les écologistes chrétiens et même par le pape, puisque c’est même le titre de l’un des chapitres de son encyclique, où il la définit en des termes quasi similaires aux miens. Je ne dis pas qu’il y a eu influence directe, même si peut-être imprégnation indirecte par tâche d’huile, mais que c’est dans l’air du temps, et qu’il fallait un terme plus fédérateur et plus « intégral » que la seule écologie humaine pour parler d’une écologie plénière qui s’adresse à tous les hommes.
Ecologisme, anarchisme et personnalisme sont forcément convergents : tout trois prônent l’autonomie locale maximale : économique, énergétique, écologique, sociale et politique – toutes ces dimensions sont intrinsèquement liées. Tous trois sont anti-industriels, antitotalitaires, anticapitalistes, anti-mondialistes, anti-libéraux, anti-autoritaires, anti-impérialistes, anti-bureaucratiques, anti-étatistes, anti-parlementaires… Tous trois sont localistes, autonomistes, autogestionnaires, socialistes, libertaires, à la fois individualistes et communautaires, régionalistes, démocrates directs et radicaux, etc. Leur idéal est le même : celui de sociétés autonomes et soutenables, libres, justes, décentes et égalitaires. Et cet idéal est remarquablement convergent avec les idées sociales évangéliques et même la doctrine sociale de l’Eglise catholique dans ses dimensions les plus évangéliques – celles que mettent en avant par exemple la théologie de la libération et le pape François.
1 Günther Anders, Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ? (1977), Allia, 2001