Le renoncement de François Hollande à se présenter à sa réélection est un symptôme. Celui d’une accélération du temps qui nourrit une vaine rhétorique du changement permanent et détruit la possibilité de gouverner.
Elle paraît antéchristique, l’époque où François Mitterrand pouvait affirmer qu’il fallait « laisser du temps au temps ». Quel homme politique du moment oserait dire une telle chose ? Il faut agir à chaque instant, rentabiliser toutes les heures car prendre le temps, c’est ne plus agir. Pour éviter cette impardonnable faute politique – l’inaction –, il faut faire toujours plus et, surtout, le faire savoir en permanence. Dans une époque qui ne multiplie pas par deux mais au carré, l’accélération exponentielle de la vitesse du temps rend permanente une situation par essence ponctuelle, l’urgence.
Comme Benoît XVI en 2013, François Hollande a annoncé jeudi sa « renonciation ». Si la décision est majeure, c’est qu’elle est un aveu. Quand il fallait deux mandats hier pour s’éroder sous l’effet de « l’usure du pouvoir », deux ou trois ans suffisent désormais : le quinquennat devient la norme. François Hollande a, comme son prédécesseur, « suragi ». Dans ce mandat sous état d’urgence, presque toutes ses lois ont été discutées au Parlement avec une procédure accélérée. S’il devait agir vite, c’est qu’il a dû promettre de tout changer en cinq ans, comme si cela était possible. Telle est la fable nécessaire qu’il faut reprendre comme une ritournelle à chaque campagne. Face aux attentes forcément déçues, il convient de mettre en scène une rhétorique du changement radical, quitte à déjà œuvrer aux rancœurs de demain.
Désormais, il n’est plus possible d’être le président de la République « au-dessus de la mêlée » tel que la Constitution de 1958 et le général de Gaulle l’ont défini. Le pressoir permanent de l’actualité et de l’émotion lui imposent de commenter à chaque instant son action, de répondre à chaque fait divers par une loi, à chaque chiffre du chômage par une mesure pour l’emploi des jeunes et à chaque attentat par un bombardement en Syrie. Pourquoi ce phénomène est-il particulièrement marqué en France ? Peut-être parce que son système politique, binaire et ultra-centralisé, est focalisé sur un seul homme, à la différence de l’Allemagne où les grandes coalitions sont possibles ou du système fédéral américain.
Dans notre époque qui ne sait pas attendre, on resservira demain la même dramaturgie qu’hier car il faudra encore une fois des résultats tout de suite, maintenant. Et l’on peut déjà prédire, sans magie aucune, le sort qui sera réservé au successeur de François Hollande. L’enthousiasme suscité par son élection sera qualifié d’« état de grâce ». Et puis il y aura les fameux « 100 jours » pendant lesquels il faudra absolument agir pour capitaliser sur la popularité. Car les premiers insatisfaits permettront assez vite de dire de sa cote qu’elle est « en berne ». Se succéderont alors les premiers bilans de son action : à 100 jours, 6 mois, puis chaque année. Et on sera forcément déçu de ne pas « déjà voir » le chômage baisser ou la croissance bondir. Dès le mi-mandat, les éditorialistes évoqueront déjà le suivant, et tous les faits et gestes se polariseront sur ce jour d’après, comme si l’actuel mandat n’avait déjà plus d’intérêt.
Les quatorze ans au pouvoir de François Mitterrand, pourtant pas si lointains, paraissent aujourd’hui inconcevables. Cela illustre l’accélération qui s’est produite en si peu de temps. Mais blâmer la seule médiocrité des personnalités politiques du moment serait une erreur, car ce phénomène est le symptôme d’un mouvement plus large : celui d’une intensification surhumaine qui ne peut conduire que vers la dissolution. Dans Le règne de la quantité, René Guénon diagnostique deux « tendances » de l’époque actuelle. Le premier mouvement est celui d’une « solidification » sous l’effet du matérialisme et le second, corrélatif, celui de sa « dissolution ».
Les événements et la « vitesse croissante avec laquelle ils se déroulent » ont dissipé l’illusion de sécurité qui régnait au temps où le matérialisme avait atteint son apogée. Alors, souligne René Guénon, cette course désormais folle du temps entraîne l’impression dominante d’une « instabilité qui s’étend à tous les domaines », et montre que le point culminant de la solidité a passé. Il peut alors affirmer que c’est « proprement vers la dissolution que ce monde s’achemine désormais ». L’élection de 2017 paraît bien maigre pour répondre à cet enjeu.