Pour Péguy, il y a quelque chose de plus grave que de rabaisser une mystique vers une politique, c’est de confondre volontairement les deux ordres, c’est de se faire passer pour un mystique alors qu’on est un politique. C’est ce que le gérant des Cahiers de la Quinzaine n’a jamais pardonné à Jaurès : « Ce qui fait à Jaurès dans ce double crime, dans ce crime au deuxième degré, une responsabilité culminante, c’est que lui entre tous il était un politique, un politicien comme les autres et que lui il disait qu’il était un mystique. » En cela, Mélenchon est bien un héritier de Jaurès. Que la politique soit à sa place, explicite dans sa bassesse et sa nullité, cela convient très bien du moment que la mystique est à la sienne, explicite dans sa grandeur et sa force. Que la mystique chute dans la politique est une tragédie, mais cette dégradation a le mérite de la clarification. D’un côté, ceux qui se battent selon les intrigues de leur temps, de l’autre, ceux qui se battent pour un idéal immuable. Mélenchon commet le même crime que Jaurès, il nuit à la pureté de la mystique en la confondant avec la politique.
Dire que Mélenchon se fait passer pour un mystique n’est pas une accusation faite à la légère. Il n’utilise pas le vocabulaire technocratique ou politicien, il estime s’adresser directement à l’âme des Français « L’histoire de France en tête, la force du peuple au cœur, je servirai le pays avec honneur et fidélité », affirme-t-il. Avec fidélité ? Comme lorsqu’il votait « oui » à Maastricht en 1992 par fidélité envers François Mitterrand ? Aurait-ce été trop lui demander que de rester fidèle à lui-même ? Méfions-nous de cet homme qui s’exprime avec la fougue d’un mystique et qui prétend être au-dessus des intrigues. : « Aussi longtemps qu’on partira des cartels d’organisation, de la soupe au logo, des combines de personnes, la confiance populaire ne pourra pas se rétablir. » On peut être tenté de croire qu’il incarne la France de par son tempérament et son éloquence. Car Mélenchon est le vestige d’une race d’hommes politiques en voie de disparition. C’est un homme de culture. Il aime la littérature et connaît l’histoire de France. Mélenchon a le charme de l’ancien.
Il est cet homme de gauche qui n’a pas peur de parler de patrie. Il prétend renouer avec le socialisme du début du XXe siècle, celui de Jaurès qui disait : « À ceux qui n’ont plus rien, la patrie est leur seul bien. » Un parcours étonnant pour qui vient du lambertisme. On ne lui fera pas de procès d’intention, mais on a le droit de trouver cela contre-intuitif. Car qui est donc ce mystique républicain qui croit que la France commence en 1789 ? Un vrai mystique sait que toutes les mystiques sont grandes, que toutes les mystiques valent infiniment plus que les politiques. Mélenchon n’a pas compris la leçon de Péguy. S’il semble savoir que la mystique républicaine est une mystique révolutionnaire, il ignore le plus important : la mystique révolutionnaire est une mystique de l’ancienne France. La révolution a été faite par les hommes de l’Ancien régime. Les Français ne sont pas devenus grands le 1er janvier 1789 à minuit une. De même, quel est ce mystique républicain qui répète à longueur de temps qu’il faut « foutre la paix aux Français avec la religion » ? Ignore-t-il également que les mystiques se tiennent entre elles ? Que la mystique républicaine est intimement liée à la mystique chrétienne ? Rappelons ces mots de Péguy : « Qu’on ne s’y trompe pas, et que personne par conséquent ne se réjouisse, ni d’un côté ni de l’autre. Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa déchristianisation. C’est ensemble un même, un seul mouvement profond de démystification. » Mélenchon trompe son monde en feignant la grandeur, mais celle-ci n’est que formelle. Nous savons la nullité d’un Macron, l’inconséquence d’un Fillon ou la médiocrité d’un Hamon. Ils avancent à visage découvert car ils se parent de tous les atours des politiciens. Mélenchon, lui, a l’arrogance de se faire passer pour un mystique. Il est donc coupable d’un « double crime ».