Nabe est de retour chez Gallimard mais pour la bonne cause. Pour un hommage. Un hommage à Lucette, Lili, la femme de Céline. Si Bébert et Céline sont morts, Lucette, l’immortelle, est bien vivante. Elle a eu 100 ans le 20 juillet dernier.
Lucette est un roman édifiant. On y apprend beaucoup. Sur Céline, sur Lucette, sur Lucette et Céline. Céline avait besoin de Lucette. L’inverse est aussi vrai mais peut être un peu moins. Lorsqu’il travaillait, l’homme-écrivain désirait sentir, dans un coin de la pièce constellée de manuscrits, la présence de la femme-danseuse. Il lui récitait des passages et lisait sur le visage de son amour la justesse et l’erreur. Les réactions de Lucette dictaient l’écriture de Céline. Un regard sur Lili, un rire, un tremblement, une larme et Louis savait si le texte était bon. Lucette, le cobaye, la douce danseuse indocile était un trésor d’émotions avec lequel Céline aimait jouer habilement.
Le roman est éloquent sur cette relation sublime entre le monstre sacré (maudit?) et la discrète Lucette qui dit elle-même qu’elle « n’existe pas ». Effacée, Lucette l’est volontairement, afin que Céline soit encore plus. Elle ne veut pas toucher à la légende mais n’hésite pas à faire quelques mises au point quand cela est nécessaire. Lucette a avec elle la force de l’anecdote, du vécu. Céline, clochard-gâteux face aux journalistes : acting, enfumage et auto-dérision. Lucette raconte comme ils s’amusaient après ce genre de performances. Céline, un collabo stipendié comme l’écrit Jean-Baptiste Sartre : bien plutôt un anarchiste indomptable et fouteur de merde. Lucette explique comment son Louis incitait le peintre Gen Paul à imiter le moustachu Hitler à la barbe des nazis. Il y a de meilleures manières de collaborer. Céline, un planqué amateur de châteaux ? Lucette raconte comment Céline intervenait spontanément pour interrompre des rixes entre ivrognes.
Autre aspect peu connu de la vie de Céline : l’amour hystérique qu’avait développé pour lui sa secrétaire, Marie Canavaggia. Elle était terriblement jalouse de Lucette et n’hésitait pas à jouer la proximité physique avec l’écrivain, lui qui était d’une pudeur extrême. Mal joué Marie. Jaloux. Céline l’était aussi. Lorsque Lucette disparaissait, telle une fée, Céline ne manquait pas de l’engueuler à son retour, exigeant qu’elle sorte moins. Mais Lucette n’était pas séductrice. Elle séduisait. Le Vigan, l’acteur ami de Céline, était séduit. Il n’hésitait pas à la draguer dès que Louis était de sortie. Lucette l’a toujours tu. Elle protégeait son Louis. Comme Nabe aujourd’hui protège Lucette.
Bilan : Lucette, c’est du très bon Nabe.
Parce que l’auteur a su s’effacer pour laisser place à la grâce almanzorienne. Peut-être a-t-il considéré que son tour était venu de ne «pas exister». Le fils Zannini, pourtant présent à tous les moments qu’il décrit, ne veut pas (le peut-il?) faire de l’ombre à la lumineuse Lucette. La fascination qu’elle exerce sur lui a naturellement dissipé le cacophonique écrivain.
Mais surtout parce qu’il écrit sur une femme. Qui se souvient de l’âme de Billie Holiday ? Nabe aime les femmes. La Femme. Il aime aussi Céline. Qu’arrive-t-il à Nabe lorsqu’il rencontre la femme de Céline ? Il fond d’amour. Il se répand et dégouline passionnément. Lucette est le produit de cette union.