Jack Lang a été nommé président de l’Institut du monde arabe le 25 janvier 2013. À peine débarqué, cet homme singulier a surpris son monde en organisant un cocktail en l’honneur de la ministre de la Culture de Taïwan. Occasion de dresser le portrait de cet humaniste sans peur et sans reproche.
« Vive la Reine ! Vive Jack ! » Cette clameur irréelle, c’est Jack Lang lui-même qui nous la rapporte. En 1992, alors qu’il est maire de Blois, le bel homme le plus célèbre de France ouvre les portes de son fief à la reine Elizabeth II. Une foule euphorique chante son amour pour la suzeraine et pour l’inénarrable Jack. Un peuple optimiste et gai loue l’union ponctuelle de la perfide Albion et du socialisme français. Instant inouï ! Goutte de lumière dans l’océan de l’histoire !
Aujourd’hui, l’âge d’or de Jack n’est plus qu’un lointain souvenir. Les temps de paix et de prospérité sont derrière nous. Dieu est mort, Mitterrand est mort et Jack lui-même ne se sent pas très bien. L’homme est déchu, marginalisé mais sa dignité, elle, reste intacte.
Depuis qu’il n’est plus officiellement ministre de la Culture (et des plumes dans le cul), Jack a commencé une quête : faire tout ce qui est en son pouvoir pour continuer d’agir comme s’il l’était encore, exporter et glorifier aux quatre coins de la planète la « culture française » et les « valeurs démocratiques », squatter autant qu’il le peut la scène médiatique et les postes à responsabilités. Dans cette logique, Jack, ce bel homme, publicité vivante pour Point Soleil, est devenu le 25 janvier 2013 le nouveau président de l’Institut du monde arabe (et des plumes dans le cul). Il succède à un autre bel homme, Renaud Muselier.
L’arrivée de Jack est messianique. L’Institut du monde arabe se porte mal. La fréquentation baisse. Les problèmes de programmation et la diminution des subventions sont autant de défis pour l’ancien maire de Blois. Mais Jack n’est pas impressionnable. L’homme a dirigé avec brio un ministère prestigieux, il saura – le doute n’est pas permis – redresser cette belle institution. De plus, cette nomination peut être l’occasion pour lui de briller à nouveau sur la scène internationale. En ces temps troublés, l’Institut peut s’avérer un outil précieux pour renforcer les relations de la France avec les pays arabes. Qui mieux que Jack sait utiliser la culture à des fins politiques ? Lui qui, animé par une conscience aiguë du destin, a pris tous les risques. Successivement émissaire spécial de Nicolas Sarkozy à Cuba et en Corée du Nord en 2009, puis ambassadeur itinérant en charge de la piraterie en 2012, Jack a arpenté sans trembler d’hostiles contrées. Il a défié avec audace les flibustiers de la Corne de l’Afrique, a converti Kim Jong-il (quel bel homme !) aux vertus du capitalisme, et a couché le mort-vivant Fidel Castro au cuba libre.
Jack ? Vous avez dit Jack ?
Cependant, malgré tout son talent, Jack demeure un homme d’une grande légèreté, un « festivocrate » pour reprendre l’expression de Philippe Muray. Promoteur de l’empire du bien, ministre de la Culture pour l’éternité, Jack n’en fait qu’à sa tête. À peine est-il nommé qu’il organise un cocktail – discipline dans laquelle il est triple médaillé d’or olympique – en l’honneur de Lung Ying-Tai, la ministre de la Culture de Taïwan, « une femme remarquable », à défaut d’être un bel homme. Ce premier fait d’armes témoigne d’un certain sens de l’absurde. N’en déplaise à Jack, l’île de Taïwan se situe au Sud-Est de la Chine…
Une fois de plus, Jack suscite la curiosité. Le peuple ignorant s’interroge : quelle secrète fin se cache derrière l’organisation de cet événement ? Face à l’omniscience jackienne, notre entendement fini est dépassé. Les voies de Jack sont impénétrables. Là où l’homme, dans son infirmité essentielle, voit un acte incohérent, Jack, lui, parce qu’il dispose de l’ensemble des causes qui le déterminent, sait qu’il œuvre pour le bien de l’humanité. Taïwan n’est pas un pays arabe ? Que nenni ! Le monde jackien n’est pas le même que celui du commun des mortels. Jack, homme providentiel, est capable de distordre l’espace-temps et de faire de l’Arabie Saoudite le Marais du Moyen-Orient, de la Côte d’Ivoire un modèle socialiste et de Taïwan le nouveau califat omeyyade. Rien n’est impossible pour Jack. Infatigable nomade ! Diplomate indomptable ! Demi-dieu !
Ô nostalgique ! Rassure-toi ! Aujourd’hui encore, Jack sait déployer sa somptueuse présence pour assurer la pérennité de la démocratie. Ce diffuseur infatigable de la culture, cet adepte de l’art contempourri, cet inventeur génial de la Fête de la musique, cet exportateur éclairé de la techno parade, cet ami fidèle de Laurent Gbagbo n’a pas dit son dernier mot. Parmi ses admirateurs, feu Philippe Muray, certainement ému devant tant de noblesse d’âme, évoquait ainsi le personnage : « Ce dindon suréminent de la farce festive, cette ganache dissertante pour Corso fleuri, ce Jocrisse du potlatch, cette combinaison parfaite et tartuffière de l’escroquerie du Bien et des méfaits de la Fête. »
M.