Ils disent aimer Louis-Ferdinand Céline, Léon Bloy, Ezra Pound… Mais qu’aiment-ils vraiment chez eux ? Leur adoration est-elle esthétique ou politique ? La littérature doit-elle se résumer à cette fascination pour les écrivains controversés ? Petite satire de cette jeune garde qui se réclame de la « droite littéraire ».
Nul n’est plus zélé qu’un nouveau converti. C’est vrai en religion. C’est vrai en politique. C’est vrai pour toutes les idéologies. Mais ça l’est aussi en art. Tout particulièrement en littérature. Dur de supporter ce juvénile donneur de leçons qui – parce qu’il vient de découvrir Léon Bloy et Joseph de Maistre – estime être passé maître dans l’art de ce que nous nous proposons d’appeler « nauséabonderie ». Tout émoustillé par ses lectures nouvelles, il se drape des commodes oripeaux de la subversion. Dès lors qu’il s’agit de littérature, ça fait chic d’aimer les maudits. À peine vous a-t-il salué et le voilà déjà qui vous explique que Céline – « incontestablement » – est le plus grand romancier de tous les temps (Cervantès, Dostoïevski et Kafka apprécieront), que les poèmes de Brasillach sont les plus beaux qui soient (Rimbaud rit sous cape) et que Julius Evola est le plus grand philosophe du XXe siècle (pourquoi pas plutôt Heidegger ?). Ce jeune nauséabond mal dégrossi commet une erreur fatale. Il n’a pas encore digéré.
Dans la foulée, il s’empresse de souligner le lien entre esthétique et politique. Puis énonce ce lieu commun : la littérature est de droite. Il commet dès lors une deuxième erreur : il oublie de rappeler le primat de l’esthétique sur le politique. Car si l’on peut dire – en France en tout cas – que la littérature est de droite, il ne faut pas oublier de préciser d’emblée qu’elle est littérature avant d’être de droite. Aimer l’art pour l’art, c’est nécessairement transcender les catégories politiques. Et si le Beau peut servir certaines idéologies, c’est toujours de manière contingente. Le Beau les précède et les excède nécessairement.
Rien de pire que celui qui interprète l’esthétique par le seul prisme du politique, qui prétend saluer le génie d’un auteur pour son art mais qui, en réalité, n’y prête attention que pour ses prises de position dans l’histoire des idées. On salue le grand style de Céline seulement parce qu’il a écrit Bagatelles pour un massacre et qu’il a séjourné à Sigmaringen. On admire Les Deux Étendards de Rebatet seulement parce qu’il a écrit Les Décombres dix ans plus tôt. On prétend aimer La Faim de Knut Hamsun mais on retient avant tout sa sympathie pour le national-socialisme. Au nom de la subversion, on relègue l’art au second rang. On fait la même erreur que l’idéologue gauchiste qui ne lit pas Céline parce qu’il était antisémite : on lit Céline parce qu’il était antisémite. Pire, au lieu d’aimer l’art de Céline, on aime son antisémitisme.
Confondre l’excès esthétique et l’excès politique
Le « bien-pensant » est terrorisé tandis que le « mal-pensant » est fasciné. Le premier brandit son indignation tandis que le second brandit son adoration. L’art, dans cette histoire, compte pour peu de choses. Il s’agit d’aimer ou de détester par principe, par conformisme, par instinct grégaire. Au final, ce brave représentant de la droite littéraire devient une caricature de lui-même. Il en vient à penser qu’un grand écrivain est toujours plus ou moins un collabo. Ce qui, soit dit en passant, limite beaucoup son champ. C’est à peine si le bougre connaît ses classiques. Homère, Dante et Goethe lui semblent bien loin. Il ne lui reste plus qu’à arborer un nœud papillon à pois, un monocle et une canne-épée.
Conséquence de ce nouveau sectarisme qui se prend pour de la subversion : on méprise les auteurs qui n’ont pas mauvaise réputation. Le scandale devient l’alpha et l’oméga de cette nouvelle théorie du bon goût. Pour cette même raison, on sort du champ de l’art de grands écrivains jugés trop conventionnels : Zweig, Gide, Hugo… On raille ces auteurs perçus comme trop modérés, ces auteurs dont la postérité n’est pas problématique. On confond l’excès artistique et l’excès politique. On se fout de Joyce, de Kafka et de Melville. C’est artistiquement colossal mais, politiquement, ça ne choque pas assez le bourgeois. Or « choquer le bourgeois » est une ambition bourgeoise ; c’est précisément parce qu’on est un bourgeois que l’on sait comment choquer le bourgeois et que l’on s’en préoccupe.
Nous ne cherchons pas à nier le fort pouvoir d’attraction des écrivains « maudits ». Nous déplorons seulement que cette fascination aboutisse à une inversion absurde, à savoir que ce qui ne sent pas le soufre n’intéresse plus. Surtout que l’heure n’est plus à la réhabilitation des auteurs controversés. Ce travail a été fait par d’autres que nous il y a longtemps, par les Hussards, par Dominique de Roux et Jean-Edern Hallier. Soyons reconnaissants et évitons, comme c’est souvent le cas, d’avoir une bataille de retard.