Lakis Proguidis est l’auteur de plusieurs essais de critique littéraire, parmi lesquels Un écrivain malgré la critique et La conquête du roman, et dirige L’Atelier du roman, revue qui paraît depuis 1993, récemment reprise par les éditions Pierre-Guillaume de Roux. Il a publié en janvier dernier Rabelais. Que le roman commence !, un essai sur les origines du roman.
PHILITT : L’ambition de votre nouvel essai semble de définir l’ontologie romanesque. D’être, en somme, l’équivalent pour l’art du roman de ce qu’est la Poétique d’Aristote pour la tragédie.
Lakis Proguidis : Tout à fait. Mais sur ce chemin de l’ontologie romanesque je ne suis pas seul. Ce qui ne signifie pas que nous disons tous la même chose. En ce qui me concerne, mon apport consiste à préparer le terrain afin qu’un jour cette dénomination d’« ontologie romanesque » ait vraiment un sens.
Pendant longtemps mes écrits tournaient autour du personnage romanesque comme élément esthétique poétique fondamental de l’art du roman. Mais j’ai découvert qu’il me manquait le langage approprié pour expliquer cette idée. Regardons bien. Tandis qu’au fil de son existence et de son épanouissement chaque art fait naître autour de lui le langage propre à son évaluation et à son assimilation par le grand public, le roman en est dépourvu. Il a beau être un art autonome, comme le théâtre, la musique, etc., la critique littéraire n’a pas manifesté beaucoup d’intérêt pour comprendre et consolider son autonomie. Il fallait alors travailler en amont. Il fallait isoler, décrire et, si possible, définir les catégories esthétiques romanesques nous permettant d’appréhender pleinement ce qui fait qu’un être fictif devient un personnage romanesque. Cette catégorie esthétique, c’est le rire romanesque. Tout mon essai tourne autour de ce rire-là. Le rire romanesque n’est pas un concept. Tel que je l’explore, c’est une conquête de l’imaginaire, consubstantielle à l’œuvre rabelaisienne – et, par conséquent, à l’art du roman dans son ensemble.
Dans son poème en prose intitulé « Les bons chiens », Baudelaire invoque « la muse familière, la citadine, la vivante » pour chanter les chiens des rues. Faudrait-il inventer une nouvelle muse pour l’art du roman ?
Non, elle existe bel et bien depuis Rabelais. À ceci près que cette nouvelle muse n’est pas le fruit de l’accouplement de Zeus avec la titanide Mnémosyne (mémoire), comme ça a été le cas pour les neuf autres. D’ailleurs elle naît beaucoup plus tard : au moment où un écrivain décide de s’intéresser à l’homme ordinaire. Pas à l’homme en général. Mais à cet homme-ci, cet homme qui fréquente les foires et prend plaisir à la lecture des chroniques populaires. Cet intérêt n’a jamais été le fort de l’imaginaire gréco-latin.
Proposant une généalogie du roman, vous remontez aux mystères médiévaux, et vous faites du roman l’art qui exprime le plus profondément la civilisation chrétienne (de même que la tragédie était l’expression de la civilisation grecque païenne). Pourquoi le roman serait-il l’art le mieux à même d’exprimer cette civilisation et sa conception de l’homme ? Et pourquoi notre société continue-t-elle plus volontiers à recourir aux figures antérieures à sa civilisation (Ulysse, Œdipe) pour s’expliquer ses mystères et se les représenter ?
En matière d’art je ne crois pas à la parthénogenèse. Pour qu’un jour l’artiste s’intéresse à l’homme ordinaire, il faut que cet homme soit quelque part extraordinaire. Tel est à mes yeux le cas (eu égard à l’homme) qui attire l’attention de Rabelais. Esthétiquement parlant, c’est l’homme malaxé par deux siècles de mystères – à savoir du milieu du XIVe au milieu du XVIe siècle. Les mystères étaient ces grandes kermesses laïco-religieuses durant lesquelles les Français de l’époque et les autres peuples voisins se réjouissaient à participer au jeu de la Passion – naissance, vie, crucifixion et résurrection du Christ. Notons cependant la particularité de ce jeu théâtral en plein air qui durait plusieurs jours. Le drame liturgique a été troué, truffé, farci de petits jeux scéniques, le plus souvent de nature comique. Le peuple s’amusait alors à marier dans la même forme artistique la représentation de sa croyance au salut chrétien et la représentation de sa vie prosaïque et éphémère. S’agissait-il d’une déviation par rapport au message chrétien ? Il me semble que non. Au contraire même : ce double jeu me paraît la conséquence directe de la religion du Dieu incarné, du Dieu fait homme.
Dans le domaine de l’art, un et un ne font pas toujours deux. Avec les mystères, un jeu théâtral plus un autre jeu théâtral ne font pas deux jeux théâtraux. Ils font une nouvelle donne. Se plaire à marier dans la même forme deux natures ontologiquement différentes, celle de Dieu et celle de l’homme, crée à la longue une nouvelle condition esthétique. Pour expliquer tel ou tel phénomène humain nous avons pris l’habitude de nous référer aux conditions historiques, politiques, sociales et spirituelles. Conditions qui ne peuvent être que l’œuvre du grand nombre. Mais pour expliquer la naissance d’un grand art comme l’épopée ou comme le roman, lesdites conditions ne suffisent pas. Il faut surtout et avant tout se tourner vers leurs conditions esthétiques qui, pareillement aux autres, sont le résultat de l’activité du grand nombre. Certes, le jeu artistique (et sa réception) est une affaire individuelle. Mais le jeu des grandes formes artistiques, des arts distincts et autonomes, non : il est collectif.
Quant à la prédominance dans le discours critique des figures d’Ulysse et d’Œdipe, je ne peux avancer qu’une seule explication : l’inertie. L’horloge de l’art a beau indiquer depuis cinq ou six siècles « régime romanesque », la pensée n’est pas encore entièrement sortie du « régime mimétique » ou, si vous voulez, « tragique ». Néanmoins, cette situation ne concerne pas les romanciers. Dostoïevski disait que si un jour il se présentait devant Dieu et si Dieu lui demandait ce que lui et ses confrères avaient fait sur la Terre, il lui répondrait : nous avons fait Don Quichotte, Seigneur.
Vous mentionnez Don Quichotte, or la tradition préfère voir dans Cervantès, et non Rabelais, le premier romancier de l’histoire littéraire. Comment justifiez-vous de déplacer ainsi la naissance de l’art romanesque ?
La tradition à laquelle vous vous référez est la tradition dominante et je ne la conteste pas. Selon cette tradition, Don Quichotte est le premier personnage romanesque. Si je remonte soixante-dix ans en arrière, c’est pour montrer que Don Quichotte est inconcevable sans l’apparition de Panurge. À savoir sans l’apparition de ce proto-personnage, cet étrange farceur qui se comporte de manière à faire échouer toute tentative interprétative.
À plusieurs reprises, vous nouez un dialogue avec d’autres lecteurs de Rabelais. Les « mauvais » lecteurs se caractérisent par l’oubli de la forme romanesque. Votre travail consiste alors à rappeler que tout est dit dans Pantagruel, Gargantua, etc., par des personnages romanesques, autrement dit que Rabelais vise non à révolutionner le langage, mais à exprimer le concret de l’existence humaine. Votre propos est alors vif, transformant François Bon en émule de l’écolier limousin, et Michael Screech en nouveau Janotus : s’agit-il de ramener dans le dialogue romanesque des spécialistes qui tentent toujours d’en sortir ?
Oui. La constellation des personnages romanesques déborde nos existences. C’est juste et légitime de tenter d’expliquer leur comportement par tous les moyens conceptuels mis à notre disposition par la sociologie, la linguistique, la psychanalyse et j’en passe. Il n’empêche, eux aussi, à leur tour, ont droit de se moquer de nos motifs et de nos tentatives interprétatives.
Rabelais a créé des personnages pour parodier la scolastique de son époque. C’est bien connu. Mais les personnages romanesques, cela aussi est bien connu, ne meurent pas avec ce qui a provoqué leur venue au monde. De sorte que, aujourd’hui, certains personnages rabelaisiens peuvent nous éclairer sur les transfigurations de la scolastique d’antan. Ne baignons-nous pas sans nous en rendre compte dans nos propres scolastiques, la scolastique structuralo-linguistique (François Bon), la scolastique évangéliste (Michael Screech), etc. ? Mais, au-delà de la parodie, ces personnages romanesques peuvent aussi stimuler notre dialogue avec ceux qui réactualisent l’œuvre rabelaisienne de manière à enrichir notre imagination, comme le font Mikhaïl Bakhtine, Thomas Pavel et beaucoup d’autres.
Vous vous sentez également proche de René Girard…
C’est un peu dommage pour la critique littéraire que René Girard, après la publication du Mensonge romantique et vérité romanesque, prît le virage anthropologique. Mais déjà, avec ce seul ouvrage, il a fait pour l’ontologie romanesque quelque chose d’unique, de primordial. Il a ébranlé, au niveau de la pensée, le régime mimétique qui a été l’apanage de la littérature gréco-latine. C’est manifestement sa sensibilité chrétienne qui l’a motivé pour accomplir une telle prouesse.
Le journalisme culturel risque de rester à la surface de votre ouvrage, et l’université vous reprochera de ne pas avoir les bons diplômes pour oser parler de Rabelais. N’avez-vous pas la crainte de connaître la même solitude que Bakhtine, qui construisit l’essentiel de son œuvre critique sans interlocuteur réel ?
Bien sûr. Cette crainte existe depuis trente ans. Depuis que j’ai commencé à voir en Rabelais le père fondateur du roman et à constituer mon arsenal intellectuel et affectif en relation avec cette lecture. Mais que faire ? Nous ne pouvons pas être à la fois dans le monde tel qu’il est et dans ce que nous considérons comme notre tâche.
La composition de votre essai semble directement héritée de ce que l’on pourrait appeler « l’école kundérienne » : composition musicale, polyphonique, de l’entrelacement de fils très différents les uns des autres, mais qui tous se répondent et se complètent. Il y a dans Rabelais. Que le roman commence ! un fil autobiographique, un fil esthétique, un fil polémique, un fil historique, etc. Cette composition était-elle votre objectif dès le commencement du livre, ou a-t-elle émergé au cours de sa rédaction, du fait de ce qu’il vous semblait nécessaire d’ajouter pour nourrir votre réflexion ?
Je dois à Milan Kundera ma formation d’essayiste. J’ai suivi tout au long de son existence le séminaire sur le roman centre-européen qu’il a tenu à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Ce séminaire a duré quatorze ans. C’est là que j’ai pour ainsi dire appris mon métier. Outre le fait que Kundera, en tant que directeur, a consacré beaucoup de temps à ma thèse de doctorat sur Papadiamantis et Boccace, c’était sa manière d’enseigner qui avait retenu mon attention et qui a joué un rôle essentiel dans mon apprentissage. Car j’ai eu la chance de suivre un enseignement « polyphonique ». Chaque cours consistait en une multitude d’ingrédients extra-littéraires, pour ainsi dire.
Ainsi j’ai appris que l’unité et l’équilibre d’un ouvrage artistique ou critique – qualités sine qua non pour que son existence soit justifiée – ne risquent rien des écarts, des digressions, des recours à différentes branches de savoir et de l’apport d’autres arts. Pour autant, s’entend, que l’auteur reste fermement attaché au noyau dur de sa quête. Dans le cas présent, ce noyau est, comme je l’ai déjà dit, le « rire romanesque ».
Durant plusieurs années, je tournais autour. Rabelais encore et encore, différentes idées, lectures, discussions amicales… tout cela a mijoté lentement. Jusqu’au jour où j’ai commencé la rédaction. Toujours en respectant un plan fixé d’avance et toujours à l’affût du hasard.
Il y a finalement peu de passages des romans rabelaisiens directement cités ou évoqués dans votre ouvrage (l’ouverture de Pantagruel, l’apparition de Panurge, quelques autres), mais à chaque fois vos réflexions en repartent pour faire surgir de vastes mondes (les Grecs, les mystères médiévaux, le roman moderne). Pourquoi ce choix d’une construction « en étoile » ?
En effet, mon commentaire se limite à quelques « moments » à mes yeux cruciaux de l’œuvre rabelaisienne. Vous venez de mentionner les deux les plus fréquemment traités. Mon intention n’était pas d’accumuler des preuves mais d’explorer le potentiel artistique qui est niché dans chaque mot, dans chaque phrase, dans chaque fragment de Rabelais. Je me concentre sur ce qui à mes yeux peut refléter le tout. En venant et revenant sur les mêmes épisodes chaque fois par un chemin différent, je m’exerce à assimiler toute la nouveauté dont est porteur l’auteur de Pantagruel à l’intérieur du grand fleuve littéraire qui irrigue notre civilisation depuis Homère. Je pense que cet exercice peut inciter le lecteur à lire à son tour Rabelais avec une attention plus en phase avec l’importance de cette nouveauté-là.
Comment pourrait-on selon vous résumer la nouveauté de l’art de Rabelais ?
L’éclosion d’un art tel que le roman, d’un art dont s’était très rapidement emparé l’imaginaire des Européens et, par la suite, au fil des siècles suivants, l’imaginaire de tous les peuples de la Terre, ne peut pas être due au hasard. Une nouveauté esthétique de cette ampleur-là ne peut être conçue que comme une réponse à des profonds besoins psychiques de l’être humain.
Dans la première moitié du XVIe siècle, l’Europe a connu un changement civilisationnel sans précédent : du monde archaïque, clos et cyclique, elle venait de passer au monde moderne, illimité et progressiste. Tous les arts du « passé » étaient censés reproduire (mimer) dans l’âme individuelle l’éthique de l’autolimitation à l’instar du monde « limité » dont cette âme faisait partie intégrante. Maintenant que l’homme moderne s’est voulu illimité, quel était l’art qui pouvait l’accompagner ? Et quelle serait l’œuvre de cet art ? Il est clair que le régime esthétique d’antan ne pouvait rien faire. Mimer quoi ? Peut-on imiter le « dépassement » incessant ? Peut-on remplir l’âme avec l’impératif de la transgression perpétuelle de ce qui existe ? Peut-on refléter le vide ? Oui, le vide, le non-être, le néant. Car, dès que l’homme se met sur l’axe du progrès illimité, tout devient, tôt ou tard, limite à dépasser, à abolir : l’air que nous respirons, la terre, notre propre corps, la vie même. L’homme qui aspire à la suppression des limites œuvre, sans s’en rendre compte, en faveur de sa propre suppression. Nous y sommes, d’ailleurs. Je pense aux desseins absolument progressistes des transhumanistes. Fallait-il alors attendre cinq, six siècles avant que l’art ne commence à se pencher sur la condition paradoxale de l’homme moderne qui, allant d’amélioration en amélioration, aboutit à sa disparition ?
Non. C’est au moment historique où pointe à l’horizon la nouvelle donne civilisationnelle que vient aussi à la lumière du jour son art. Mieux : son nouveau régime esthétique, autrement dit, la conception artistique du monde selon Rabelais. Mais que fait-il donc, cet art nouveau ? S’oppose-t-il à ce que l’homme s’attelle au char du progrès ? Hum ! avec quel droit irait-il à l’encontre de la liberté de l’homme ? Dieu lui-même ne veut pas faire une chose pareille. S’identifie-t-il au credo progressiste qui stipule que le Mal est toujours derrière nous et le Bien devant ? Ce serait comme si l’art abdiquait son rôle ancestral d’interlocuteur de l’être pour devenir son décorateur. Mais, apparemment, personne à cette époque lointaine n’avait posé de telles questions. On n’avait pas eu le temps : la nouveauté artistique portée par Rabelais au bon moment, c’est-à-dire au moment de l’emballement général en faveur du progrès, les rendait superflues.
Quelle est cette nouveauté ? Toute l’œuvre rabelaisienne décline d’une manière ou d’une autre la même idée, la même trouvaille. C’est comme si Rabelais, face aux enjeux soulevés par son monde, disait : « Allons-y, les amis, prenons la route du progrès, mais prenons aussi ce petit chemin de côté qui bifurque. Faisons confiance à nos capacités à aller toujours plus loin dans l’inconnu, toujours plus au fond des secrets de la création, mais quand même pas totalement. Regardons résolument vers l’avenir, mais remplissons notre imaginaire avec des êtres fictifs qui ne regardent pas dans la même direction. D’accord, allons droit au but, mais n’oublions pas l’ailleurs. Puisque tel est notre désir, restons sur l’axe du progrès, mais amusons-nous à le trahir, à le pervertir, à le farcir avec des possibilités existentielles indéchiffrables… » Voilà qui résume à mes yeux le principe esthétique de l’art dont Rabelais a gratifié les temps modernes.
Aucun artiste ne crée ex nihilo. Aucune œuvre d’art, même la plus extravagante qu’on puisse imaginer, ne représente une nouveauté absolue aux yeux de ses contemporains. Ce binôme insolite que représentent les phrases ci-dessus, ce mariage de deux entités par nature irréconciliables, ce binôme qui, à mon sens, structure l’art du roman dans son ensemble, n’est pas tombé tout à coup sur la tête de Rabelais. Il a fait la joie du peuple pendant les deux siècles des mystères qui ont précédé la parution de Pantagruel.
Le rire naît souvent chez vous de la confrontation entre Rabelais et notre temps, le premier nous aidant à voir les ridicules et même les monstruosités du second. Un peu comme Philippe Muray avec Rubens dans l’essai qu’il lui avait consacré.
Si on n’est pas sensible au comique que dégage son époque, pas la peine de s’adresser à la muse du roman. Le même avertissement vise aussi ceux qui se chargent de commenter les œuvres romanesques ou, plus en général, de se pencher sur l’histoire et l’esthétique du roman. Dans ce sens, Philippe Muray fait partie de mes écrivains de prédilection.
Dans sa récente et belle Critique du jugement, Pascal Quignard finit par classer systématiquement la critique du côté du groupe, des communautés qui briment le créateur nécessairement solitaire. Vous tenez un discours strictement inverse : pour vous, l’œuvre d’art semble avoir besoin du jugement, du dialogue esthétique qui l’accompagne. Sans critique ni dialogue, les romans ne pourraient-ils donc pas survivre ?
Pas seulement les romans, aucune œuvre d’art ne peut survivre sans le dialogue. Il ne s’agit pas là d’un avis personnel. C’est ainsi depuis l’aube des temps. Je ne partage pas les réserves de Pascal Quignard envers la critique. Je n’ai pas lu le livre en question. Mais je ne peux pas concevoir que Bakhtine, Chesterton, Starobinski et Leys ont fait du mal à l’art et aux artistes solitaires. Cela va de soi que l’œuvre d’art est le fruit d’un travail solitaire. Mais ce fruit mûrit, il est goûté, porté et transmis collectivement. Sinon l’activité et le plaisir artistiques n’auraient aucun sens.
Activité et plaisir artistiques dont n’ont apparemment pas besoin ces communautés identitaires qui, de nos jours, nous assaillent de partout – du fin fond de l’appartenance religieuse à l’obédience aveugle au divin marché. Mais d’autres communautés, des communautés créatrices ont existé. Ce sont ces communautés qui ont porté en leur sein Euripide, Virgile, Dante, Rabelais, Cervantès, Shakespeare, Gogol… Nous sommes les petits enfants de ces géants. Notre tâche consiste alors à les faire dialoguer avec le présent. À ne pas laisser notre présent sombrer dans l’insignifiance dont parlait Castoriadis il y a vingt ans déjà.