« Ici ! Confrère, Tout va Très Bien !… Tous les malades vont Très Bien ! Nous sommes tous ici, Très Bien !… Il en hurlait sur la tonique… sur le mot Bien ! »
Touvabienovitch est médecin. Pas un hygiéniste comme le docteur Destouches. Oh non ! de Semmelweis, il n’en a rien à cirer. Il apparaît dans un passage de Bagatelles, le livre sur lequel tout le monde défèque sans pour autant l’avoir lu. Un de ces rares passages où Céline épargne les juifs. Peut-être reprend-il son souffle ?
Touvabienovitch, c’est un soviet, un optimiste, pas très rigoureux mais toujours volontaire. Touvabienovitch exerce dans un hôpital bien particulier, tout le monde y est en bonne santé, même les malades, surtout eux. En fait, il n’y a que des hypocondriaques, des douillets, des patients qui psychosomatisent. Car comment mal aller avec le fils de Touvabien qui veille sur vous ? Céline est le premier émerveillé devant la grâce de son auguste confrère, comme lui médecin des pauvres. Si ses méthodes intriguent parfois, Ferdine doit se rendre à l’évidence : Touvabienovitch a du style : « Je voulais pas du tout le gêner… paraître indiscret, mais quand même je voulais savoir… Quand il a eu trifouillé comme ça des douzaines de vulves, j’ai fini par lui demander : – Vous ne portez jamais de gants ?… – Oh ! pas la peine !… pas la peine confrère ! Ici Tout va Bien ! » Céline a écrit sa thèse sur Semmelweis, un médecin austro-hongrois qui a eu la belle idée de se laver les mains avant de faire accoucher les femmes. Résultat : elles meurent moins. On comprend alors mieux la surprise de l’écrivain. Car se laver les mains, ce n’est pas le dada de Touvabienovitch. Drôle de progressiste que ce réactionnaire ! Touvabienovitch est un moyenâgeux, un joyeux obscurantiste. Une posture qui épate Céline. Peut-être que ce manque d’hygiène traduit un amour profond pour l’homme ?
En effet, Touvabienovitch n’est pas du genre anxieux. Il se délecte du corps des autres, il y plonge ravi, les mêle et fonde une unité microbienne. L’égalité face au virus, la logique soviétique sous sa forme la plus pure. C’est injuste que d’être moins tuberculeux que machin, plus pestiféré que truc, inadmissible est l’ostentation du lépreux, l’arrogance du galeux, l’égocentrisme du sidéen… Pas de problème. Dans un élan fraternel, Touvabienovitch vous réconcilie. Il nationalise, il étatise, il déprivatise. Pas de blabla, Touvabienovitch se moque des convenances, la maladie pour tous. Vision holistique !
Touvabienovitch c’est un zélé, un méticuleux, un observateur. Rien ne lui échappe. Un vrai archéologue, le salopard fait des fouilles. Mais les dînettes antiques ne l’intéressent pas, il veut de la peau, de la chair, de l’os, du tendon, du nerf. Un vrai médecin des profondeurs, un scaphandrier de la chair, la surface l’ennuie. Voyage au centre de la Terre et Abyss sont ses films préférés. C’est un explorateur sous estimé qui mérite d’être réhabilité. « Il cherchait là aussi les gonos en bringue dans le pot de lentilles, les petits replis de l’anus. Il jetait d’abord un peu d’eau et un peu de vaseline alentour, et puis encore du menthol, il grattait avec ses ongles… » Touvabienovitch est fasciné par les orifices, par tous ces cercles mystérieux, obscures et suintants. Touvabienovitch est un chaman, un apprenti-sorcier, un magicien. Il compose, improvise, aime être surpris. Touvabienovitch n’est pas un rationaliste, c’est un mystique, un créateur. Du corps humain doit surgir tous les possibles. Il exige un feu d’artifice de fluides, une irruption de jus d’homme.
Touvabienovitch c’est un petit Mea Culpa dans Bagatelles. C’est l’expression d’une déception cynique, celle d’un ancien communisant proche des thèses de Labiche, celle de l’auteur prolétarien du Voyage au bout de la nuit, copain de Louis Aragon et d’Elsa Triolet. Le moment Touvabienovitch, c’est le coup d’œil du médecin, le pamphlet du professionnel, pas de l’artiste.
M.