René Descartes repense les fondements de la connaissance et met en place une philosophie unissant les sciences en un savoir universel. Pour ce faire, il élabore une nouvelle approche où l’individu est la source de toute réflexion philosophique. Il contribue donc, après Montaigne, à faire entrer la pensée française dans la modernité.
Dans la première Méditation, Descartes opère une refondation de la métaphysique de la connaissance afin d’ « établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences ». Dans cette perspective, il se détache des certitudes, des jugements fallacieux, de l’imagination et des sens au profit d’un doute radical. Ce doute hyperbolique doit faire table rase des connaissances construites sur le sensible et donc susceptibles de nous induire en erreur. Ce réajustement de la raison permet de discerner le vrai du faux et de rompre avec les préjugés. La déduction, outil privilégié pour accéder à la connaissance, est définie ainsi dans la troisième Regulae : « ce que conçoit un esprit pur et attentif, si facilement et si distinctement qu’il ne lui reste aucun doute sur ce qu’il comprend de la sorte ». Clarté et distinction seront donc les deux éléments constitutifs d’un jugement indubitable.
Cogito, ergo sum (« je pense donc je suis ») apparaît comme la première idée claire et distincte énoncée par Descartes. L’ego (du cogito) désigne le sujet pensant et plus précisément sa substance pensante (c’est-à-dire l’esprit). L’assertion est nécessairement vraie à chaque fois qu’elle est prononcée (valeur performative). Merleau-Ponty, à la suite d’Husserl, précisera cette idée : « toute pensée de quelque chose est en même temps conscience de soi, faute de quoi elle ne pourrait pas avoir d’objet. À la racine de toutes nos expériences et de toutes nos réflexions, nous trouvons donc un être qui se reconnaît lui-même immédiatement ». Le cogito permet d’affirmer la prééminence de la pensée sur tout objet et constitue le fondement même de la métaphysique chez Descartes. Ce cogito est donc primordial car il devient la condition essentielle du discours. Cependant il fait référence à une intériorité propre à chacun, variant d’un individu à un autre. L’homme, à la fois sujet et objet du monde, constitue le point de départ menant vers la connaissance.
André Comte-Sponville définira la subjectivité comme étant une chose dépendant directement du sujet pensant et sentant. C’est l’expérience faite par le sujet lui-même (contrairement à l’objectivité définie comme une chose se donnant à tous). Chez Descartes, le sujet et son intériorité constituent le centre de gravité de la philosophie. Or, à première vue, la subjectivité et la quête de vérité semblent incompatibles dans la mesure où un être pensant est nécessairement limité par sa condition (les perceptions et expériences sont propres à chacun et bornées). Voilà pourquoi le courant sceptique considère la subjectivité comme étant une barrière empêchant purement et simplement l’accès aux certitudes et à la connaissance qui en découle. Mais, Paul Ricœur ne manque pas de souligner dans L’Itinérance des sens le dépassement opéré par Descartes en allant au-delà du subjectivisme que l’on retrouve chez les sceptiques (pour eux, l’incertitude serait insurmontable) pour développer un subjectivisme de type nouveau « placé sous le signe de la quête d’une certitude apodictique ». Husserl le qualifiera de « subjectivisme transcendantal » puisque l’on se trouve devant une philosophie ayant pour fondement la pure connaissance de soi.
Chez Descartes, la subjectivité s’exprime aussi dans la valeur attribuée aux choses qui nous entourent. La valeur d’une chose ne lui est plus immanente contrairement à ce qu’énonçaient les penseurs médiévaux, de saint Augustin à saint Thomas. C’est parce que les hommes manifestent un intérêt pour ce que représente la chose qu’elle est bonne, et non parce qu’elle est bonne en soi. La philosophie de Descartes représente une réelle rupture avec la pensée médiévale. La théologie rationnelle – synthèse du christianisme et de l’aristotélisme – estime que toute connaissance procède de Dieu. Descartes marque l’entrée en modernité en déplaçant l’origine du savoir du divin à l’humain, et en faisant s’éclipser la foi devant la raison. C’est l’avènement du rationalisme. Descartes prétend s’affranchir de la tradition scolastique et de ses préjugés afin de fournir à l’homme un mode de pensée plus libre. Pour autant, il ne le fait que partiellement puisque c’est l’idée de perfection (et donc de Dieu) qui lui permettra de s’arracher à cet écueil que constitue le solipsisme.
En effet, l’homme, qui se conçoit comme un être imparfait, ne peut détenir la notion de perfection de lui-même. Elle ne peut que lui être insufflée par un être parfait, Dieu. L’argument de la concevabilité découle de cette conception théologique et métaphysique. Concevoir une chose clairement et distinctement, c’est accéder à la réalité de la chose. Dieu, vérace, parfait et infini, ne saurait nous tromper et permettre que l’on conçoive de façon claire des choses fausses : « la faculté qu’il nous a donnée pour discerner le vrai du faux ne peut se tromper quand nous en usant correctement et percevons distinctement quelque chose grâce à elle ». Mais Descartes fait aussi l’hypothèse d’un malin génie, puissant et rusé, employant « toute son industrie à [nous] tromper ». De la radicalité du doute cartésien émerge la certitude du cogito qui résiste à l’emprise du malin génie grâce à sa valeur performative. À partir de cette première certitude et d’un Dieu garant de la véracité des connaissances, l’élaboration de la science des idées devient possible. Cependant, l’homme est susceptible de se tromper du fait de « l’infirmité et [de] la faiblesse de notre nature ».