La voix oubliée de la Négritude

Le mouvement antiraciste actuel se présente volontiers comme le prolongement des grandes luttes anticoloniales du XXe siècle. Il est pourtant, à bien des égards, oublieux de ce que furent les aspirations antimodernes du courant politico-littéraire de la Négritude.

En dépit de « l’émotion » suscitée en France par le #blacklivesmatter, force est de constater que ce mouvement n’est que très improprement l’héritier de ceux qui, au XXe siècle, résolurent, non de proscrire avec honte et vindicte le qualificatif « nègre », mais d’en faire un titre de gloire et un cri de guerre. Trois éléments fondamentaux, et finalement synonymes, opposent ces deux époques : la Négritude était littéraire, l’antiracisme est censeur ; elle était enracinée, il est cosmopolite ; elle était antimoderne, il est progressiste. Dit encore autrement, la Négritude était révolutionnaire, là où l’antiracisme s’avère tristement conformiste.

Aimé Césaire (1913-2008), père de la Négritude

Premièrement, donc, la Négritude était littéraire et culturelle, avant même d’être politique. Elle naquit dans les colonnes de L’Étudiant noir, revue créée à Paris en 1935, par Aimé Césaire, accompagné de ses amis Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor, tous trois poètes et écrivains. Ce jeune cénacle s’évertuait à créer plutôt qu’à censurer, à déboulonner des idées vives plutôt que des statues mortes, et cela afin d’en bâtir de nouvelles, non par seul goût de la destruction. Il puisait son inspiration chez Rimbaud, chez Lautréamont ou Breton, ainsi que dans les chants traditionnels wolofs ou mandingues, mais pas, en tout cas, chez Oprah Winfrey ou une quelconque autre star de l’industrie du spectacle.

Proche du surréalisme par son renouvellement des formes, et le primat qu’elle accorde à l’émotion sur la raison, puisant par ailleurs dans le vocabulaire et la rythmique des langues négro-africaines, et bien que tout cela puisse choquer le goût des classicistes opiniâtres, la Négritude fut indéniablement un mouvement littéraire novateur et fécond. Ces quelques vers de Césaire :

à petits pas de pluie de chenilles
à petits pas de gorgée de lait
à petits pas de roulement à billes
à petits pas de secousse sismique,
les ignames dans le sol marchent à grand pas de trouée d’étoiles[1]

sont représentatifs d’une poésie faite de répétitions et d’anaphores, foncièrement orale, voire incantatoire, pleines d’images tout droit venues de la savane ou des tropiques. Une poésie le plus souvent sans rimes, mais autrement mélodieuse, fondée sur le rythme, et qui ferait du tam-tam un genre comme l’Europe cultiva le sonnet. Une poésie usant de vers libres qui s’étendent souvent au verset, comme ici Senghor peignant la femme noire :

Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau[2]

Léopold Sédar Senghor (1906-2001)

Versification qui rappelle d’autres poètes « blancs » de la même époque, Saint-John Perse, Péguy ou Claudel, que ce même Senghor n’hésitait pas à qualifier de « poètes nègres »[3].

Comme le suggère Sartre, dans la préface Orphée noir qu’il rédigea pour l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française composée par Senghor en 1948, la Négritude a su accomplir ce que le surréalisme européen n’avait que balbutié. Si le Français, excédé des vieux carcans, s’était permis de disloquer ce grand niais de vers classique, sa subversion n’en restait pas moins un jeu abstrait, et d’une certaine façon scolaire, tandis qu’elle trouve, reprise par le Nègre, le souffle vital qui lui manquait. Le vers libre n’est pas, pour l’Africain, un simple effet de style, mais l’expression de son anarchie, de sa révolte et de sa fierté, comme en ces vers de Césaire, à nouveau :

le mot nègre
tout plein de brigands qui rôdent
des mères qui crient
d’enfants qui pleurent
(…)
le mot nègre
dru savez-vous
du tonnerre d’un été
que s’arrogent
des libertés incrédules[4]

Et si la poésie négritudiste est si vigoureuse et féconde, si elle est si jeune, c’est aussi qu’elle est très vieille, qu’elle renoue avec une énergie ancienne, qu’elle exhume, du fond des âges, le souffle puissant du mythe. Elle ferme l’ample parenthèse moderne de la représentation et du symbole, pour devenir ou redevenir vision, pour que sa créativité se fonde dans la Création, ne fasse qu’un avec les forces vitales du cosmos :

L’Afrique va parler.
L’Afrique d’une seule justice et d’un seul crime
Le crime contre Dieu, le crime contre les hommes
Le crime de lèse-Afrique
Le crime contre ceux qui portent quelque chose.
Quoi ?
un rythme
une onde dans la nuit à travers les forêts, rien – ou une âme nouvelle[5]

chante Paul Niger. Aux côtés de Claudel et Péguy, elle dépasse la Renaissance, remonte « aux sources de la celticité, mais aussi au Moyen Âge chrétien : plus exactement, au merveilleux de la Vulgate », et elle ressuscite sa fonction sacrée : « avec Platon et Aristote, les dieux s’étaient éloignés, voire les héros, tandis que nous les voyons présents en Afrique, jusqu’à maintenant »[6].

Un besoin de racines

Si la Négritude a d’abord été culturelle, c’est qu’elle devait l’être. Le Nègre, sous la colonisation, n’a pas seulement souffert politiquement et économiquement, il a souffert dans sa culture, c’est-à-dire dans sa sensibilité, dans son mode de vie, dans son être-au-monde, et c’est cela qu’il doit défendre et reconquérir. « Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse », clame Césaire dans son Discours sur le colonialisme de 1950. Et le même auteur répétera en 1987, dans son Discours sur la Négritude, que cette dernière se définit d’abord « comme prise de conscience de la différence, comme mémoire, comme fidélité et comme solidarité ». La Négritude réclame moins l’égalité que la différence. Elle est un effort pour retrouver, à travers l’art et la poésie, l’âme africaine recouverte et dénaturée par la colonisation. Elle est la réponse à ce mal-être que décrit Léon Laleau :

Ce cœur obsédant, qui ne correspond
Pas avec mon langage et mes coutumes,
Et sur lequel mordent, comme un crampon,
Des sentiments d’emprunt et des coutumes
D’Europe, sentez-vous cette souffrance
Et ce désespoir à nul autre égal
D’apprivoiser, avec des mots de France,
Ce cœur qui m’est venu du Sénégal ?[7]

De ce point de vue, la Négritude s’oppose à l’assimilation républicaine, jugée aliénante, et à l’endoctrinement de son école, comme on le voit dans la Prière d’un petit enfant nègre de Guy Tirolien :

Pourquoi faut-il de plus apprendre dans des livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d’ici ?
Et puis elle est vraiment trop triste leur école,
Triste comme
Ces messieurs de la ville,
Ces messieurs comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées.
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école ![8]

Elle s’oppose, plus globalement, aux mœurs hypocrites de l’Occident, à son refus de la nature et du naturel, déguisé en politesse, et que dénonce Léon-Gontran Damas :

J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs souliers dans leur smoking.
dans leur plastron dans leur faux col
dans leur monocle dans leur melon[9]

La Négritude, pourtant, et contrairement à certains antiracistes d’aujourd’hui, ne s’oppose pas fondamentalement à la France. Elle est même, en un sens, un mouvement français, du moins francophone. Beaucoup de ses auteurs firent en métropole de brillantes études, et tous adoptèrent la langue française, quitte à la bousculer et à l’agrémenter de quelques fruits exotiques.

De temps à autre il est bon et juste
de conduire à la rivière
la langue française
et de lui frotter le corps
avec les herbes parfumées
qui poussent bien en amont
de nos vertiges d’ancien nègre marron[10]

Jean-Paul Sartre (1905-1980), qui a contribué à faire connaître la Négritude, ainsi qu’à la détourner…

écrit ainsi René Depestre. Les poètes de la Négritude tenaient à leur statut de métis, au sens noble et difficile d’une véritable double culture. Contrairement à ceux qui, aujourd’hui, incriminent une histoire de France qu’ils ignorent au nom d’une histoire de l’Afrique qu’ils ignorent tout autant, pour se contenter de suivre le folklore télévisuel afro-américain, les anciens de la Négritude se voulaient à la fois profondément français et profondément africains. Ils se refusaient, en tout cas, à la haine, tentante, de l’oppresseur. Une vindicte que leur préconisait pourtant Sartre lui-même, en les incitant à un « racisme antiraciste »[11], que Senghor désavouera explicitement[12]. Césaire, dès son célèbre et fondateur Cahier d’un retour au pays natal, avait pourtant été clair :

ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine
(…)
vous savez que ce n’est point par haine des autres races
que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle

Le Nègre est capable de séparer le bon grain de l’ivraie, de dénoncer les crimes de la colonisation tout en reconnaissant la grandeur de la France éternelle, comme le fait Senghor dans la Prière de paix qu’il adresse au Dieu de sa foi catholique :

Et voilà que le serpent de la haine lève la tête dans mon cœur, ce serpent que j’avais cru mort…
Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin, et je veux prier singulièrement pour la France.
Seigneur, parmi  les nations blanches, place la France à la droite du Père.
(…)
Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France
Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n’ai que haine – mais je peux bien haïr le Mal
Car j’ai une grande faiblesse pour la France.[13]

Non seulement, donc, la Négritude ne rejetait pas entièrement l’héritage de son colonisateur, mais, au risque de surprendre aussi bien les antiracistes d’aujourd’hui que les xénophobes primaires, elle recelait une certaine parenté avec le nationalisme français. La nostalgie du sol natal, l’invocation des ancêtres, des traditions, des puissances cachées du paysage, ne sont pas sans rappeler, en effet, « la terre et les morts » de Barrès. Ainsi qu’on l’entend dans ces Souffles de Birago Diop :

Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.[14]

Maurice Barrès (1862-1923), une source d’inspiration pour la Négritude

L’auteur des Déracinés, comme les chantres de la Négritude, et avant eux, eut à affronter la colonisation, si l’on accepte de nommer ainsi cette espèce d’invasion, certes moins violente mais non moins efficace, que fut la centralisation jacobine. Et la comparaison, dans le cas du moins de Senghor, est même une filiation, puisqu’il a plusieurs fois admis l’influence décisive de Barrès sur son œuvre : « La voix de la Lorraine, l’appel de la Lorraine, c’était pour moi qui étais un exilé, sous la grisaille de Paris, c’était la voix de la terre sérère. »[15] Parce que la colonisation n’est pas uniquement un assujettissement politique et économique, qu’elle est plus essentiellement un déracinement, c’est par une quête d’identité et un retour aux sources qu’on peut lui résister, et c’est pourquoi la Négritude et le nationalisme barrésien, loin de s’opposer, se rejoignent, contre un ennemi qui est finalement identique, l’empire commun de tous les impérialismes de ces derniers siècles, l’empire de la modernité.

 

Contre l’empire de la modernité

Dès son Discours sur le colonialisme précédemment cité, Césaire avait prévenu : les sorts du colonisateur et du colonisé sont plus intimement liés qu’on ne le croit de part et d’autres, « l’entreprise coloniale est, au monde moderne, ce que l’impérialisme romain fut au monde antique : préparateur du Désastre et fourrier de la Catastrophe », car « l’Europe, si elle n’y prend pas garde, périra du vide qu’elle a fait autour d’elle », succombera à « l’américaine, la seule domination dont on ne réchappe pas. Je veux dire dont on ne réchappe pas tout à fait indemne. » Les nationalistes conséquents, au lieu de préjuger que tout anticolonialisme est ennemi de la France, devraient reconnaître dans les Nègres leurs frères d’armes, souffrant et hurlant sur le même champ de bataille, face au même ennemi. Car au fond, ce que dénonce et combat la Négritude, c’est moins la France que la France moderne, c’est-à-dire la modernité colonisant la France et, à travers elle, l’Afrique, moins la colonisation française que la France colonisée et rendue colonisatrice, et ce n’est, en dernière instance, rien d’autre que la modernité elle-même, la modernité capitaliste et techniciste qui dévaste partout les cultures et les paysages, qui exploite et aliène les hommes, d’où qu’ils soient.

Aux militants de la dernière mode qui s’agitent à grands coups de tweets et ne rêvent, finalement, que d’être mieux intégrés, et donc mieux asservis à la Mégamachine, il faudrait rappeler l’exemple des poètes de la Négritude qui se faisaient gloire d’être inadaptés à la civilisation technicienne. Cette fierté résonne tout au long du Cahier de Césaire :

Ecoutez le monde blanc
horriblement las de son effort immense
ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures
ses raideurs d’acier bleu transperçant la chair mystique
écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites
écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !
Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé
pour ceux qui n’ont jamais rien exploré
pour ceux qui n’ont jamais rien dompté

Face à la technique, et rejoignant ici encore Barrès ou Bergson, le Nègre soutient la primauté de l’instinct sur la raison. « L’émotion est nègre, la raison hellène », déclara ainsi Senghor, reprenant à son compte, et avec fierté, un jugement à la Gobineau que beaucoup, d’Africains au premier chef, estimeraient et ont estimé raciste[16]. Cette affirmation, pourtant, loin d’impliquer l’infériorité de l’Africain, signifie qu’il a su conserver une intimité et une complicité avec la nature, depuis longtemps révolues dans le monde désenchanté de l’occidental :

ils s’abandonnent, saisis, à l’essence de toute chose
ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose
insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde

dit encore Césaire dans son Cahier. Le Nègre n’arraisonne pas la nature, ni ne la subit, il ne la manipule pas, il la caresse, amoureusement, érotiquement, avec cette main sans doigts que peint Jean-Joseph Rabéarivelo :

le sang de la terre, la sueur de la pierre
et le sperme du vent
qui coulent ensemble dans ces paumes
en ont dissous les doigts
et mis des fleurs d’or à la place[17]

La sauvagerie, la bestialité nègre, si souvent moquées, sont maintenant assumées et revendiquées, comme signes de vitalité et de virilité. Le Nègre étreint sa terre, passionnément, comme il étreint sa femme :

Oho ! Congo couchée dans ton lit de forêts, reine sur l’Afrique domptée
Que les phallus des monts portent haut ton pavillon
Car tu es femme par ma tête par ma langue, car tu es femme par mon ventre[18]

La sexualité retrouve ici, dans le panthéisme de la Négritude, la dimension cosmique que l’Europe avait occultée, et que seuls un Lawrence ou un Giono avaient dévoilée.

Senghor et Césaire, unis contre le monde moderne

Si l’ennemi est identifié, si le but est clair, les moyens restent flous, et c’est là que le bât blesse. La Négritude, si elle devait commencer par un engagement littéraire, devait aussi, tôt ou tard, et pour la survie et l’accomplissement mêmes de cet engagement, se traduire en politique. Elle a franchi ce pas, puisque Senghor fut président du Sénégal, Césaire député français et maire de Fort-de-France. A ce stade, cependant, elle apparaît nettement moins homogène. Parmi les nombreuses applications pratiques de la théorie, on peut dire que deux caractéristiques persistent. Premièrement, une inclination vers le communisme, découlant d’une part du rejet du capitalisme moderne, d’autre part de la vogue marxiste au sein des milieux intellectuels de l’époque. Espoir déçu, et dont témoignent les derniers représentants de la Négritude, résignés et comme orphelins, à l’image de René Depestre :

Accroupi sur le quai de mon chagrin j’ai pris
la tête entre les mains : je revois en pleurant
le monde moderne que j’ai aimé
au bout du long voyage
sans un mot tendre pour les musiciens de la traversée.[19]

Secondement, un échec à réaliser l’idéal. La pièce de Césaire, Une saison au Congo (1966), énumère cruellement les nombreux obstacles qui séparent une déclaration d’indépendance de sa réalisation effective : pressions géopolitiques, rivalités tribales sur le territoire, corruption au sein de l’administration, etc. « L’indépendance est une chose, la pagaye en est une autre. Nous sommes en pleine pagaye », résume le dramaturge. C’est dans cette pagaye, sans doute, que s’est perdue la voix de la Négritude, aujourd’hui largement oubliée. Reste à savoir si elle s’est éteinte, définitivement, du fait de ses contradictions, ou temporairement, du fait de son adversaire le monde moderne. Reste à savoir si elle n’est qu’un vestige du passé, ou une force pour l’avenir.

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[1] A. Césaire, Tam-tam II, in Les armes miraculeuses (1946)

[2] L. S. Senghor, Femme noire, in Chants d’ombre (1945)

[3] L. S. Senghor, Dialogue sur la poésie francophone (1979)feature

[4] A. Césaire, Mots, in Cadastre (1961)

[5] P. Niger, Je n’aime pas l’Afrique, 1944, publié dans l’Anthologie de Senghor (1948)

[6] L. S. Senghor, Dialogue sur la poésie francophone (1979)

[7] L. Laleau, Trahison, in Musique nègre (1931)

[8] G. Tirolien, Prière d’un petit enfant nègre, in Balles d’or (1961)

[9] L.-G. Damas, Solde, in Pigments (1937)

[10] R. Depestre, Libre éloge de la langue française, in Anthologie personnelle (1993)

[11] J.-P. Sartre, Orphée noir (1948), qui justifie ce racisme comme le moment négatif nécessaire d’une dialectique qui doit conduire à la société sans races, et sans classes. À tel point que, pour lui, « la Négritude est pour se détruire, elle est passage et non aboutissement. » Sa préface, bien qu’intéressante, tend globalement à orienter la Négritude dans le sens de son propre combat marxiste. Et on pense ici à la remarque de Michel Foucault, « la dialectique ne libère pas le différent ; elle garantit au contraire qu’il sera toujours rattrapé » (Theatrum philosophicum, in Dits et écrits).

[12] « Qu’est-ce donc que cette Négritude qui fait peur aux délicats, que l’on vous a présentée comme un nouveau racisme ? C’est en français qu’elle a d’abord été exprimée, chantée, dansée. Ce seul fait doit vous rassurer. (…) J.-P. Sartre n’a pas tout à fait raison quand, dans Orphée noir, il définit la Négritude « un racisme antiraciste » », L. S. Senghor, Liberté I (1964).

[13] L. S. Senghor, Prière de paix, in Hosties noires (1948)

[14] B. Diop, Souffles, in Leurres… et lueurs (1960)

[15] Cité dans l’article : https://journals.openedition.org/edl/1062. Senghor a également reconnu, notamment dans une lettre à Pierre Boutang, avoir été dans sa prime jeunesse lecteur régulier de L’Action française, avant que son ami Pompidou ne le convertît au socialisme : https://twitter.com/rdefranqueville/status/1111213324383985664/photo/1

[16] La formule est extraite d’un texte de 1939, Ce que l’homme noir apporte, plus tard recueilli dans Liberté I (1964). Elle a été fortement contestée, en particulier par Cheikh Anta Diop, historien et homme politique sénégalais, rival de Senghor. Ce dernier précisa pourtant, plus tard, que la véritable distinction doit être opérée entre « raison intuitive » et « raison discursive » (Liberté III, 1977). A travers ce débat, ce sont deux grandes conceptions de l’anticolonialisme qui se font face : montrer que les Noirs peuvent être tout aussi modernes que les Blancs (Diop), ou refuser la modernité blanche (Senghor). Une ligne de fracture qui parcourt encore aujourd’hui le mouvement antiraciste, partagé entre son désir d’égalité et la fierté de sa différence, mais penchant davantage vers le premier que le second. Du côté de la différence, en dépit d’une rancune antifrançaise que se refusaient les négritudistes, on peut citer parmi les auteurs récents Houria Bouteldja exposant que « le féminisme fait effectivement partie des phénomènes européens exportés » (Les Blancs, les Juifs, et nous, 2016), ou Marc-Édouard Nabe assénant que « c’est en gardant leur simiesque génie cosmique que les nègres peuvent se défendre et nous enculer » (Au régal des vermines, 1985)…

[17] J.-J. Rabéarivelo, Cactus, in Presque-Songes (1934)

[18] L. S. Senghor, Congo, in Éthiopiques (1956)

[19] R. Depestre, Grâce à la miséricorde, in Anthologie personnelle (1993), où l’auteur reconnaît sa « part de culpabilité et de responsabilité dans la tragédie du mouvement communiste international ».