Dans L’Affaire Maurras, Jean-Marc Fédida nous livre un récit détaillé du procès du père spirituel de l’Action française. Cette procédure judiciaire sanctionne la dérive du Martégal et d’une partie du nationalisme français durant l’Occupation.
Ce 24 janvier 1945, Charles Maurras comparait, francisque à la boutonnière, pour intelligence avec l’ennemi. Quatre jours plus tard, l’académicien est transféré, menottes aux poignets, en cellule pour purger sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. À cette peine, l’homme qui a consacré son œuvre à la France, voit s’ajouter la honteuse dégradation nationale. Au vu des lourdes charges qui pèsent contre lui, la sentence est attendue. Maurras échappe cependant à la peine de mort quand Robert Brasillach attend, lui, au fond de sa geôle du fort de Montrouge, d’être conduit devant le peloton d’exécution. Cet essai, centré sur les minutes greffières, mais auquel manque un élargissement de perspective autour de ce ring judiciaire, nous donne un compte rendu détaillé et vif de ce procès historique.
Car c’est bien un combat qui s’ouvre en cette fin janvier au Palais de justice de Lyon. Celui-ci s’annonce difficile pour le vieux lion nationaliste, persuadé d’avoir été toujours fidèle à la France, et qui se bat encore avec l’énergie du fauve intellectuel qu’il a toujours été. D’entrée combatif, droit et fier, il s’écrie : « Soyez tranquille Monsieur le Procureur, je ne vous raterai pas ! » Convaincu de son bon droit et de sa supériorité morale, Maurras se livre toutefois à une défense suicidaire et anachronique. Le vieil homme de 77 ans soutient une argumentation d’un autre temps. Des arguments autrefois développés au cours de l’Affaire Dreyfus quand l’antisémitisme était au cœur de la vie politique et intellectuelle française. On l’accuse d’avoir trahi ? Les juifs serviront sa défense irrationnelle. Sa dénonciation constante du complot juif est la preuve, selon lui, de sa fidélité à la France. Selon son analyse paranoïaque, la guerre est née de la mainmise juive sur l’Allemagne. « Comme toujours c’est l’abus des juifs qui perdit les juifs. Les boches se fâchèrent, les boches se brouillèrent avec eux. Ils mirent leurs juifs dehors, ou dedans ! » De l’Affaire Dreyfus jusqu’à l’Occupation, dénoncer le juif, c’est combattre l’Allemagne… Raisonnement proche de la déraison.
« C’est la vengeance de Dreyfus ! »
Quand Maurras, après l’armistice de 1940, évoque une « divine surprise », il ne prend pas, selon lui, une position pro-allemande, mais exprime sa satisfaction face à la déchéance de la république. Le maréchal Pétain est, dans ses éditoriaux, le successeur d’une longue série de héros providentiels ; le seul homme capable de relever le pays. Dans cette France, devenue gaulliste, sa stratégie pétainiste est désormais vouée à l’échec. Maurras soutient que son adhésion au régime de Vichy est une fidélité à la France éternelle. En l’accusant, c’est la France que l’on met sur la sellette ! Quant à lui, loin de cette défense théorique, le procureur analyse le détail de ses éditoriaux de l’Action française. Son constat est sévère : Maurras a dénoncé des gaullistes et des communistes. Il a jugé la milice comme « une sûre et bonne police ». Le STO lui est apparu comme une sage mesure patriotique… Au vu de ces nombreuses charges, sa culpabilité est sans appel. À l’énoncée de sa condamnation, Charles Maurras pousse ce cri, jailli du fond du cœur, synthèse haineuse de son antisémitisme : « C’est la vengeance de Dreyfus ! »
Durant l’Occupation, le théoricien du « nationalisme intégral » a sincèrement cru défendre la France avec laquelle il a entretenu un lien charnel et passionnel tout au long de sa vie. Mais la passion conduit parfois à la déraison et à l’aveuglement. Ses écrits, animés par son antisémitisme viscéral et sa haine de la république, l’ont amené sur le chemin de la compromission avec l’occupant. Charles Maurras est un coupable aveuglé par sa déraison et sa passion pour la France, mais un coupable tout de même.